CHRONIQUE. Mixité scolaire : l'inégalité des chances ?
À son arrivée rue de Grenelle, Pap Ndiaye avait annoncé vouloir faire de la mixité sociale à l’école sa priorité, son cheval de bataille. Quelques mois plus tard, en octobre, l’Éducation nationale avait été contrainte à rendre publiques les indices de position sociale (IPS) des établissements scolaires. En gros : la sociologie des élèves. Il était alors apparu combien notre école est ségréguée, avec une séparation de plus en plus grande entre élèves favorisés et défavorisés. Cette publication avait suscité une certaine prise de conscience. Le moment semblait propice à une action volontaire en faveur de la mixité scolaire.
D’une part, il y a ce que nous savions : la séparation des élèves au sein de l’enseignement public, par le seul jeu de la carte scolaire. S’il se trouve que vous habitez dans le centre de Paris, par exemple, là où le prix au mètre carré est l’un des plus élevés de France, vos enfants seront naturellement scolarisés dans les établissements du centre parisien, avec des camarades issus, eux aussi, de familles très aisées.
Mais surtout, il y a ce que nous pressentions, et dont nous avons désormais la preuve : l’enseignement privé est massivement utilisé par les familles les plus favorisées pour contourner cette carte scolaire. Sur les 100 collèges avec l’IPS le plus élevé, 81 sont des établissements privés sous contrat. Dans leur ensemble, les collèges privés scolarisent moins de 20% d’élèves venant de familles défavorisées, et 40% d’élèves très favorisés. Ces proportions sont strictement inverses dans le public. Je pourrais continuer avec un torrent de chiffres, mais tous vont dans le même sens : l’école française s’avère, de l’avis de tous les sociologues de l’éducation, être l’une des plus ségréguées au sein des pays développés.
En disant cela, je ne porte pas de jugement de valeur : je me contente de dresser un constat. Que les familles qui en ont les moyens choisissent d’offrir à leurs enfants les meilleures conditions d’enseignement possible, je vois mal comment on pourrait leur reprocher. En revanche, il faut avoir l’honnêteté de décrire la réalité telle qu’elle est.
La loi Debré de 1959, qui garantit l’existence de l’enseignement privé, avait pour justification de respecter la liberté de conscience des familles. Elle est aujourd’hui totalement détournée de son esprit, puisqu’elle sert, avant tout, à la recherche d’une scolarité privilégiée. Et ce, précisons-le, aux frais du contribuable, puisque les établissements privés sont très largement financés par l’Etat. Voire surfinancés : ils captent 20% des moyens budgétaires, pour 20% des effectifs, tout en ne prenant pratiquement pas en charge, par exemple, les élèves en grande difficulté scolaire, ou en situation de handicap. Dans ces conditions, s’il y a une critique à formuler, elle est à destination des gouvernements successifs, qui ont laissé s’installer cet état de fait.
Le plan présenté par Pap Ndiaye : insuffisant et flou
En ce qui concerne le public, il se borne à deux annonces : la création d’une "instance académique de dialogue, de concertation et de pilotage de la mixité sociale et scolaire". Bon… Et l’objectif de "réduire les différences de recrutement social entre établissements de 20% d’ici à 2027". Objectif flou, dont on ne sait pas comment il sera mesuré, ni sur quels moyens il reposera. Quant au privé, c’est encore pire : aucune décision contraignante n’a été annoncée. Tout au plus, les établissements privés ont-ils accepté "l’objectif" d’accueillir davantage d’enfants boursiers, mais sans qu’aucun moyen de pression, qui avaient pourtant été évoqués par le ministre, ne soit finalement retenu. Comme je vous le disais : une occasion manquée !
De nombreux responsables politiques appellent à ne pas déstabiliser un enseignement privé qui, d’après eux, fonctionne bien. Je leur réponds avec une question très simple : quel rôle conçoit-on pour l’école républicaine ? Si on estime qu’elle est vouée à reproduire et, même, accroître les inégalités, alors, en effet, ne changeons rien ! Parce que, oui, la sociologie l’a démontré à maintes reprises : il est un peu plus facile de réussir à l’école quand on a grandi avec des parents professeurs, avocats, ingénieurs, journalistes ; quand depuis la plus tendre enfance les repas de familles sont une accumulation de milliers d’heures de cours particuliers ; et quand on côtoie, à l’école, des camarades ayant exactement le même profil. Dans ces conditions, en effet, c’est vrai, l’école privée fonctionne bien !
Mais à quel prix ? Comme le rappelle le sociologue François Dubet, ensemble les meilleurs élèves sont un peu meilleurs ; mais les moins bons sont très sensiblement moins bons. Le résultat, c’est une école de l’inégalité des chances.
Il me semblait, pourtant, avoir entendu que le cœur du macronisme, c’est la lutte pour "l’émancipation des individus", et le combat contre les "assignations à résidence". Tant que le gouvernement n’agira pas réellement en faveur de la mixité scolaire, ces mots ne resteront rien d’autre qu’un slogan vide de sens.
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