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Réforme de l'assurance chômage : des arguments discutables

Tous les soirs, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.

Article rédigé par franceinfo - Clément Viktorovitch
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5 min
La ministre du Travail, Elisabeth Borne, participait à la rentrée des apprentis du CFA BTP de Rueil-Malmaison, le 3 septembre 2021. Photo d'illustration. (ALEXIS SCIARD / MAXPPP)

Jeudi 16 septembre, le gouvernement a présenté le nouveau décret d’application de la réforme de l’assurance chômage. Elle rentrera finalement en vigueur le 1er octobre, après avoir été repoussée par le Conseil d’Etat en juillet dernier. Elisabeth Borne, la ministre du Travail, était ce matin l’invitée des "4 Vérités" sur France 2. Et ses arguments sembles discutables. C’est le moins que l’on puisse dire. Je pense que le plus simple, c’est de partir de l’objectif de la réforme selon la ministre du Travail. Il tient en trois mots : encourager le travail. "Nous, on veut encourager le travail.  On veut effectivement encourager le travail. Encourager le travail. Et donc que ceux qui peuvent travailler davantage le fasse", a-t-elle insisté.

En apparence, tout le monde peut être d’accord : encourager le travail, voilà qui est louable, tout le monde peut y souscrire. Sauf que, en politique, ce qui compte, ce ne sont jamais les objectifs. Mais toujours les justifications qui les sous-tendent et les moyens d’y parvenir. Commençons par les justifications. Pour Elisabeth Borne, elles sont simples. Le mode de calcul actuel des allocations chômages n’encouragerait pas le retour à l’emploi. "C’est l’objet du nouveau mode de calcul de l’allocation-chômage de faire que ce soit toujours plus intéressant de travailler que d’être au chômage. Et ce n’est pas le cas aujourd’hui, a-t-elle affirmé. On ne gagne plus en reprenant un travail qu’en étant au chômage. Ceux qui dans le mode de calcul gagnent plus quand ils sont au chômage que dans les périodes précédentes."

Contredite par une note issue de son propre ministère sur le retour à l'emploi

Certains chômeurs retarderaient donc leur retour à l’emplois parce qu’ils gagneraient davantage en étant indemnisés. C’est un argument que le gouvernement répète depuis des années maintenant, mais sans jamais donner de sources ! Or, il se trouve qu’une source, nous en avons une désormais. Le 6 mai dernier, une étude réalisée par six chercheurs a été publiée par la DARES, c’est-à-dire l’organisme chargé des statistiques au sein du ministère du Travail. Elle conclue, je cite : "Les calculs des chômeurs semblent loin d’un comportement d’optimisation. Hormis quelques cas particuliers, notamment dans la restauration, aucun des enquêtés n’a refusé un emploi du fait de l’indemnisation". La ministre du Travail est donc contredite par une note issue de son propre ministère.

Et en même temps, Elisabeth Borne explique bien que l’objectif n’est pas d’indemniser moins les chômeurs, mais d’étaler davantage dans le temps leurs allocations. C’est effectivement le grand argument, et elle l’a répété encore ce matin au micro de Jeff Wittenberg. "Le montant global des droits ne baisse pas.  [relance journaliste : "global mais mensuel madame Borne"]  Le montant global des droits ne baisse pas. Pour ceux qui ont plus de difficultés, he bien ils seront indemnisés plus longtemps et on veut mieux les accompagner."

Contredite par un organisme officiel sur les moyens de la réforme

Je disais qu’il fallait s’intéresser aux moyens de parvenir à l’objectif visé. En l’occurrence, la réforme ne désavantagerait pas les chômeurs, elle redéploierait simplement la protection sociale dans le temps. Cela pourrait être intéressant si c’était vrai. Or, en avril dernier, une étude d’impact sur les conséquences de la réforme a été publiée par l’Unédic, c’est-à-dire l’organisme officiel chargé de gérer l’assurance chômage, à parité entre syndicats et patronat. Cette étude estime qu’en régime de croisière, la réforme conduira à une baisse de dépenses de 2,3 milliards d’euros par ans. Si, comme le disait le président de la République, il n’y a pas d’argent magique, alors la conséquence est implacable : cet argent sera économisé sur l’indemnisation des chômeurs. Le montant global de leurs allocations va bien, mécaniquement, baisser. Concernant les moyens de la réforme, la ministre du Travail est à nouveau contredite par un organisme officiel.

Il ne s'agit pas là d'un réquisitoire contre cette réforme, non ! Faut-il diminuer l’indemnisation des chômeurs pour économiser de l’argent ? C’est une question politique, chacun peut avoir son opinion. En revanche, si c’est ce que l’on décide, la moindre des choses, c’est de le dire, et de l’assumer ! Il me semble que ce n’est pas ce que fait aujourd’hui la ministre du Travail. Ce matin, elle s’est retranchée derrière les trois mêmes éléments de langage. Mais ce n’est pas parce qu’ils sont répétés en boucle qu’ils en deviennent vrais.

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