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A la veille de l'élection présidentielle en Egypte, où en sont les révolutions arabes ?

"Printemps arabe", "révolutions arabes"... Demain, en Egypte, certains prédisent une "restauration, avec l'élection du maréchal Sissi. Si l'on cherche à donner un sens, un nom et à interpréter tous ces événements, on oublie souvent que l'histoire continue de s'écrire. Et que le monde arabe est loin d'être une exception historique. Analyse.
Article rédigé par Frédéric Martel
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
  (Manifestation en Egypte © Amr Dalsh/ REUTERS Reuters)

Demain et mardi aura lieu l'élection présidentielle en Egypte. Peu de suspense : le maréchal Sissi est donné grand favori. Il a banni les Frères Musulmans, fait condamner à mort un millier d'islamistes, il a  muselé la presse, au point que l'on parle de mascarade électorale et de restauration trois ans après la révolution égyptienne marquée par la chute de Hosni Moubarak.

Alors "Printemps arabe", "Révolutions arabes", "restauration" ou "rupture" : on ne cesse de commenter ces événements. On cherche à leur donner un nom, un sens ou à les interpréter alors même que l'histoire continue de se faire.

Qu'est ce qu'une révolution ?

Il ne faut pas oublier, lorsque l'on parle de révolution(s),  qu'il a fallu un siècle à la France pour achever la sienne. Les historiens ne racontent plus guère aujourd'hui 1789 en s'arrêtant à la chute de Robespierre. Ils vont jusqu'à l'avènement de Bonaparte, la révolution de 1830, la révolution de 1848 ou même, comme l'historien François Furet, jusqu'en 1890, c'est à dire l'instauration durable de la République. Trois ans pour juger les révolutions arabes, c'est donc un peu court...

Ce que l'on peut déjà dire c'est que l'on trouve aujourd'hui dans les pays arabes les débats suscités comme partout, par toute révolution. L'interprétation sociale , disons marxiste, qui place au centre la lutte des classes sociales, face à une interprétation libérale , qui privilégie le symbolique, le culturel et l'idée d'une dynamique politique propre, autonome. Le débat sur l'ordre versus le désordre , la question de la volonté humaine face à la révolution qui serait manipulée ou confisquée quand elle n'est pas voulue par Dieu – les catholiques révolutionnaires le disaient déjà en 1789 et les Frères Musulmans l'ont répété en Egypte.

Arrêtons de comparer les révolutions

Les révolutions arabes sont moins un événement situé dans le temps qu'une promesse dans la durée. Ce sont des événements humains qui débordent les hommes. C'est un jeune vendeur ambulant de fruits et légumes qui, en s'immolant par le feu dans le sud de la Tunisie, a déclenché en décembre 2010, d'abord en Tunisie puis un peu partout dans le monde arabe, l'une des mobilisations les plus extraordinaires de ces dernières années.

La dimension sociale est donc essentielle. Mais d'autres lectures sont possibles. Une lecture islamiste, comme en Tunisie ou en Egypte, c'est à dire l'affrontement entre le nationalisme arabe et l'islamisme ; entre progressistes et conservateurs ; ou une analyse de révolution de palais, un dictateur remplacé par un maréchal ; ou encore une lecture démographique, avec le basculement de la jeunesse. C'est la thèse d'un ouvrage récent, Jeunesse arabes . On sait qu'environ 60 % de la population au Moyen-Orient et au Maghreb a moins de 30 ans.

Et la "révolution Facebook" ?

C'est la singularité du Printemps arabe : révolution internet, révolution Facebook... On se souvient du rôle que cela a pu jouer, son influence déterminante. En Tunisie, ce fut le blog collectif Nawaat, en Egypte le groupe Facebook de Wael Ghonim, ou encore en 2012 le rôle des cyberactivistes du Tamarod. On a donc parlé de révolution des réseaux sociaux, de révolution Twitter... Ce qui est bien sûr abusif, comme l'a reconnu le journaliste Michael Gladwell. Néanmoins, les vidéos sur Youtube, Facebook, ont été des catalyseurs. Les technologies ont accéléré une dynamique qui n'a pas été créée par elles . Si les réseaux sociaux ont prouvé leur efficacité pour organiser la mobilisation des foules, il leur reste à prouver qu'ils peuvent aider à construire un programme politique et à permettre l'institutionnalisation de la démocratie.

En résumé, les révolutions ne sont ni bonnes ni mauvaises en soi. Ils leur arrivent de détrôner des rois, et parfois d'en rétablir. Elles sont sources de progrès (révolution américaine, 1789) et parfois de régression (révolution russe, iranienne). L'Egypte va t-elle renouer avec la dictature de Moubarak, et avec elle le maréchal Sissi fera-t-il une restauration ? C'est possible. L'esprit de la révolution peut-il renaitre ? Nous verrons.

Reste des critères indéniables : ceux de la liberté d'expression, ceux de la liberté politique, avec des élections justes. Sur tous ces critères, nous en sommes encore loin dans l'Egypte du maréchal Sissi.

 

* Pour aller plus loin :

Sur les révolutions

François Furet, La Révolution, 1770-1890 (2 tomes, Pluriel).

François Furet, Penser la révolution française (Folio, Gallimard)

Mona Ozouf, "La Révolution", dans Dictionnaire critique de la Révolution française , (tome Idées, Champs/Flammarion)

Hannah Arendt, De la Révolution (rééd. dans L'Humaine condition, Quarto, Gallimard).

François Furet et Mona Ozouf, Dictionnaire critique de la Révolution française (tome Interprètes et histoirens, Champs/Flammarion).

Sur les révolutions arabes

Le Monde diplomatique / Manières de voir : L'Egypte en mouvement (juin 2014).

Laurent Bonnefoy et Myriam Catusse, Jeunesses arabes , préface de François Burgat, La Découverte, 2013.

Sur les révolutions et internet

Evgeny Morozov, The Net Delusion : the Dark Side of Internet Freedom , Public Affairs, 2011 and To Save Everything Click Here : the Folly of Technological Solutionism , Public Affairs, 2013 (Morozov est un opposant à l'idée qu'internet est un accélérateur de démocratie)

Michael Gladwell, « Small Change, Why the Revolution will not be Tweeted », The New Yorker , Oct 4, 2010.

Joe Trippi, The Revolution will not be Televised, Democracy, The Internet and the Overthrow of Everythin g, Regan Books, 2004.

 

John Mcginnis, Accelerating Democracy, Matching Governance to Technological Change , Princeton University, 2013.

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