Cet article date de plus d'onze ans.

La charte de laïcité

La laïcité a été cette semaine au cœur de l'actualité avec la mise en place d'une "charte de la laïcité" par le ministre de l'Education nationale, Vincent Peillon - affichée dans toutes les écoles. Charte qui repose donc le débat sur la laïcité.
Article rédigé par Frédéric Martel
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
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Alors commençons par la charte. Un texte ferme mais ouvert, simple à lire par les enseignants (et un peu moins par les élèves) avec ses 15 articles.

On
peut le juger banal ; d'autres diront qu'il est de bon sens.

Il est
plus subtil qu'il n'y paraît,  car il vise à désamorcer des tensions,
notamment entre les professeurs et les élèves sur la question de la
religion. Cette charte doit apaiser le débat et donner confiance en soi.

Le texte qui a été plutôt bien accueilli pose toutefois des questions. D'abord de savoir s'il s'applique aux écoles libres sous contrat, soit 8 800 établissements privés. La réponse est non. D'ailleurs, il faut savoir que la loi sur l'interdiction des signes
religieux ne s'appliquait pas non plus aux écoles privées, en France.

Sur le terrain, les enseignants semblent avoir bien réagis même si j'ai
interrogé plusieurs proviseurs et enseignants hier, loin de la
capitale, et ils m'ont dit n'avoir toujours pas reçu la charte. Ça va
venir, on suppose.

La laïcité, c'est quoi ?

La laïcité, au sens juridique, c'est d'abord une loi qui a été votée en 1905, il y a plus de 100 ans. Depuis, d'autres lois l'ont complétée et elle a même été
"constitutionnalisée", ce qui veut dire que la loi de 1905 fait partie
de notre constitution.

Cette loi, si importante, dit deux choses - et c'est cette dualité qui la rend formidable et en même temps si difficile à appliquer.

Elle contient un article premier qui affirme que "La République assure
la liberté de conscience (et) garantit le libre exercice des cultes".
C'est donc un article, je dirais libéral, au sens où il fait preuve de
tolérance et d'une grande liberté.

Mais il y a aussi un article 2, lequel affirme, à l'opposé de l'article
1 : "La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun
culte."

D'un côté la loi est libérale – de l'autre elle est stricte. D'un côté elle est positive – de l'autre elle est négative. D'un côté elle autorise – de l'autre elle interdit.

Faut-il choisir entre ces deux conceptions ?

Certainement pas. La laïcité, quoi qu'en pensent les laïcards ou au contraire les
communautaristes n'existe que dans cette double
affirmation : la liberté de croire ou de ne pas croire et la liberté de
conscience sont protégées mais aucune religion n'est reconnue. C'est la neutralité de l'État qui est la clé.

L'école a toujours été au cœur de la question de la laïcité. Les batailles homériques entre le curé et l'instituteur font même parties du patrimoine national. François Hollande, on l'a peut être oublié, a promis durant sa campagne de "constitutionnaliser la loi de 1905". Et il a parlé de la laïcité le jour de son investiture comme président
de la République en allant saluer la mémoire de Jules Ferry au jardin du
Luxembourg.

Que serait la France sans la laïcité ?

S'il n'y avait pas eu l'instauration d'un cadre laïque, dès la
révolution française, le mariage civil n'existerait pas et le divorce
non plus. La laïcité a rendu possible l'autorisation de la contraception, en
1967, et l'Interruption volontaire de grossesse, en 1975, en dépit des
réticences de l'église. Et puis bien sûr le mariage pour tous qui s'inscrit pleinement dans ce que l'on peut appeler une "laïcisation des mœurs".

On a l'impression que l'islam est la seule religion à être au cœur du débat ?

Historiquement, ce n'est pas vrai. En fait, les Catholiques ont été beaucoup plus violemment victimes de la laïcité que les Musulmans. Pendant la révolution française, on estime qu'environ 3 000 prêtres
catholiques ont été guillotinés, fusillés ou noyés par les
révolutionnaires, au nom d'une laïcité radicale. Pendant plusieurs années, elle interdit même le port de la soutane dans
les rues au motif que cet habit irait contre la dignité de l'homme ! Du coup, après la loi de 1905, on estime à plus de 30 000 les religieux qui ont fuit la France. Notre pays, on l'a oublié, a même rompu ses relations diplomatiques avec le Vatican.

Mais aujourd'hui, c'est surtout de l'Islam dont on parle

Alors qu'on fête les 30 ans, cette année, de la
"marche des beurs", la question n'a jamais été aussi présente. Et une multitude de débats ces dernières années en témoignent : la loi sur l'interdiction du voile à l'école en 2004 ;
la question des cimetières et des carrés où sont enterrés les musulmans ; ou encore les jours fériés, les prisons, les menus des cantines scolaires, le halal..

Les tensions ne peuvent-elles pas se régler par le dialogue ?

La plupart du temps, ces questions se règlent par le dialogue. Prenez la question des médecins masculins à l'hôpital public : une
femme musulmane peut souhaiter être traitée par une femme
médecin. Il y a débat bien sûr. Mais depuis une circulaire de 2005, il est rappelé qu'un malade peut choisir librement son praticien... à condition que cela soit conciliable "avec l'organisation du service ou la délivrance des soins". C'est le bon sens qui l'emporte. 

Cette notion de laïcité est-elle partagée à l'étranger ?

Elle existe ailleurs. Mais elle est souvent incomprise.

Cette semaine on a vu que le Québec entendait, comme en France, défendre une charte de la laïcité. 

En
Allemagne, la justice fédérale a refusé ce mercredi à une jeune
musulmane de s'abstenir des cours de natation au prétexte qu'elle y
côtoyait des garçons torse nu. Elle avait le droit de porter un maillot
de bain intégral, un bikini, ce qui suffisait, aux yeux de la haute cour,
à garantir sa liberté religieuse.

En fin de compte, la laïcité n'est pas une idéologie, elle n'est pas une doctrine. Elle est le contraire d'une idéologie ou d'une doctrine. Elle n'est pas la religion de ceux qui n'ont pas de religion.  Elle est un compromis.

Un "compromis", historiquement daté, mais aussi une "évidence", au fond un "lieu de mémoire" qui résume bien la France. Il ne faut donc pas parler de laïcité "ouverte", ou "positive", ou "d'indifférence". La "Laïcité" doit se comprendre seule, sans épithète.

Sur ce sujet très passionnel, et parfois très technique, Vincent Peillon a voulu apaiser les tensions grâce à la laïcité. Il a voulu créer un nouveau consensus républicain. On verra comment cela va évoluer.

Ce qui est sûr, c'est qu'on n'en a pas fini avec la laïcité. Ça a été le sujet de cette semaine, mais ce sera sans doute aussi le sujet majeur des mois et des années à venir.

Et pourtant il faudra bien trouver des solutions, intégrer les Français
issus de l'immigration, divers certes, mais en voie
de sécularisation aussi. C'est l'enjeu. C'est la question.

Car la laïcité c'est d'abord "l'art de vivre ensemble".

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