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La fête de la musique : une grande fête populaire laïque

Tous les 21 juin depuis 1982 a lieu la fête de la musique en France. Retour sur cette fête populaire laïque, accessible, hétéroclite et économique, mais dont l'évolution n'est pas dépourvue de critiques et qui est révélatrice de certains dysfonctionnements de notre société culturelle.
Article rédigé par Frédéric Martel
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
  (La Fête de la musique, partout en France ce samedi © Maxppp)

La fête, en effet, battait son plein encore tôt ce matin, jusque dans le plus petit village : on jouait, on chantait, on dansait, partout en France, pour cette 33ème édition de la fête de la musique.

"Faites de la musique", F-A-I-T-E-S, du verbe faire, tel était le slogan initial de cet événement inventé par Maurice Fleuret, directeur de la musique au ministère de la Culture, et Jack Lang, en 1982. Le concept, alors, était de valoriser les pratiques amateurs ; être actif dans sa pratique de la musique et pas seulement passif ; bref pratiquer soi-même l’art plutôt que de le subir.

Comme André Malraux, le premier ministre de la Culture français, Jack Lang croyait à l’art qui ne s’apprend pas mais à celui qu’il faut pratiquer ou auquel il faut être confronté.

À cela s’ajoutait une idée de décentralisation : la musique devait être accessible partout, à Paris comme dans le plus petit village de France. Enfin, et en filigrane de cette invention, il y avait aussi l’idée que toutes les musiques se valent, qu’il fallait reconnaître tous les genres musicaux à égalité, sans hiérarchie.

Invention géniale donc, la fête de la musique l’est aussi par un élément souvent méconnu : ça ne coûte rien à l’Etat. La fête de la musique a peu de subventions. Jack Lang a dit aux Français : faites de la musique – et ils l’ont fait.

Il est difficile de se souvenir combien cette fête de la musique a été critiquée et conspuée depuis 33 ans. Les ministres d’abord : François Léotard, lorsqu’il était devenu ministre de la Culture en 1986 ; Jacques Toubon lorsqu’il occupa à son tour le poste, ont été très critiques vis-à-vis de ces "fêtes". Les intellectuels conservateurs aussi : Alain Finkielkraut critique dès 1987 dans La Défaite de la pensée , la fête de musique avec le nivellement culturel auquel elle donnerait lieu ;  Marc Fumarolli dénonce pour sa part "l’état culture l" ; quant à Michel Schneider il fustige la "comédie de la culture ".

Au départ, la fête de la musique était dédiée aux pratiques amateurs. Chacun et chacune était invité à descendre dans la rue, bénévolement. Cet esprit demeure, mais bien souvent la fête de la musique c’est aujourd’hui des méga-concerts lourdement financés, des initiatives coordonnées / labellisées / subventionnées par les municipalités ou des concerts sponsorisés, parfois – horreur suprême – en play-back, par des cafés et des bars. Les professionnels ont remplacé les amateurs. Les fêtes ont perdu leur spontanéité. La SACEM a longtemps rechigné à percevoir des droits d’auteurs pour la fête de la musique ; mais désormais elle encaisse les royalties sans rechigner, un processus d’institutionnalisation peut-être contraire à l’esprit d’origine.

Autre évolution : ce 21 juin festif serait l’arbre qui dissimulerait la forêt de l’ennui ! La fête une fois par an, masquerait la fin des fêtes le reste de l’année. À Paris, dans le quartier de Ménilmontant, les bars ont volontairement baissé leur rideau hier soir pour dénoncer ces centres villes qui se musé-i-fient. Ils veulent qu’on les autorise à faire de la musique tous les soirs, et non pas seulement une nuit par an.

Enfin, débat plus contemporain, mais lié à cette professionnalisation : la question des intermittents du spectacle. La menace planait hier soir, réelle. Mais si les intermittents se sont bien invités à la fête, un peu partout, prenant ici ou là la parole, ils n’ont pas perturbé la soirée. À Matignon, Thomas Dutronc a pu chanter sans problème et cette nuit le rappeur français Oxmo Puccino a triomphé dans les jardins du palais royal. Le mouvement des intermittents du spectacle semble s’essouffler d’autant plus que les trois directeurs des festivals d’Aix en Provence, d’Arles et d’Avignon ont annoncé, hier soir, leur soutien à la concertation.

Les festivals de l’été – ces autres grandes fêtes culturelles laïques sous le ciel de Provence – sont-ils en train d’être sauvés ? Nous verrons bien. Les Français ont besoin de moments de ferveurs populaires et continueront, en dépit des critiques, ou des dérives, à faire la fête.

Et que les amoureux de ces fêtes culturelles populaires et laïques se rassurent ; et que leurs pourfendeurs prennent leur mal en patience : dès le week-end prochain commence la fête du cinéma !

** Pour aller plus loin : *

  • Emmanuel de Waresquiel (sous la direction de), Dictionnaire des politiques culturelles, Larousse.

  • Claude Mollard, Le 5ème Pouvoir , Armand Colin.

  • Laurent Martin, Jack Lang, Une vie entre culture et politique , éd. Complexe.

    Auteurs qui critiquent les "fêtes" :

  • Alain Finkielkraut, La Défaite de la pensée , 1987

  • Marc Fumarolli, L'Etat culturel , 1991

  • Michel Schneider, La Comédie de la culture , 1992

  • Philippe Muray, Après l'Histoire , 1999

  • Philippe Urfalino, L'invention de la politique culturelle , Pluriel, 2004

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