Le pape François, "homme de l'année" selon le magazine "Time"
C'est en effet une tradition du magazine américain Time que de désigner chaque année l'homme ou, plus rarement, la
femme de l'année.
Dans le magazine qui est sorti hier aux États-Unis et qui sera en kiosque ce
lundi en Europe, Time a désigné le
pape François chez nous comme personnalité de l'année.
En général, c'est donc un classement très américain, dont la méthode de
sélection est en réalité peu scientifique, faite en fonction des avis des
journalistes et, disons-le, de l'air du temps.
Reste que celui qui fait le classement impose aussi ses normes.
C'est la force des États-Unis que d'ériger les règles qui font le "buzz" mondial. C'est
aussi cela l'influence américaine, son "soft power",
l'influence par les normes, les idées, la culture et les médias.
Pourquoi saluer ainsi un pape qui a
débuté son pontificat il y a tout juste neuf mois ?
Pour Time , il s'agit sans doute de parier sur ce que le pape François
peut faire, plutôt que de le récompenser pour ce qu'il a... déjà fait. Mais ce que Time salue aussi, c'est le symbole : le premier pape
d'Amérique du Sud ; le premier pape en fait du continent américain ; le premier
pape jésuite.
Et il faut dire que le pape François
a su depuis son élection manier les symboles : Il a abandonné la Mercedes de ses
prédécesseurs pour privilégier une simple Ford Focus ; il a baptisé le nouveau-né d'une
femme divorcée ; il a lavé les pieds d'une femme
musulmane et embrassé le visage d'un homme défiguré ; il veut être le pape des pauvres,
et rappelle souvent ses origines modestes, etc.
Et la pape François a aussi critiqué le
capitalisme, l'économie de marché, la dictature de la bourse... au point où les
talk-shows ultra-conservateurs américains l'ont dépeint comme un
communiste !
C'est aussi un jésuite,
avec tout ce que cela peut
signifier ?
Oui, moins qu'un communiste, c'est d'abord le premier pape jésuite. Et c'est là qu'il ne faut pas se tromper d'analyse. Time Magazine , dans le long article qu'il lui consacre, insiste peu
sur la compagnie de Jésus auquel il appartient. Et pourtant, c'est
essentiel.
Car le pape François n'est pas un pape "libéral". Au contraire : ce n'est pas un modernisateur de la doctrine ; c'est un pape qui entend
revenir aux sources même du catholicisme.
En un sens, c'est un évangéliste. Et s'il
apparaît peu doctrinaire, il n'en est pas moins déterminé à redonner à
l'église son autorité, et faire régner autour de lui la discipline. Il ne s'agit pas pour lui
seulement de rapprocher le clergé du peuple, il demande aussi une soumission
totale à la parole du pape.
Plus que jamais la célèbre
question : "Le pape combien de divisions ?", prend ici
tout son sens. François est un combattant qui va compter ses troupes pour
partir en croisade.
Que peut-on attendre
de ce nouveau pape sur les questions de société qui ont défrayé la
chronique ?
Sur les quatre sujets clés qui
embarrassent aujourd'hui l'église catholique, François fait davantage évoluer
la forme que le fond. Sur l'avortement déjà, le débat
est fermé : le pape n'ouvre aucune fenêtre de discussion ; il y est clairement
hostile car pour lui la vie commence à la conception.
Il reste également très attaché au
célibat des ecclésiastiques et refuse que des femmes soient ordonnées prêtres. S'agissant des scandales
pédophiles , il a nommé une commission mais il n'a pas encore choisi de faire le
grand ménage. Enfin, sur la question sensible de
l'homosexualité, il s'est montré ferme même s'il témoigne d'une certaine
compassion.
C'est
une position très prudente
On pourrait même dire que c'est
une position de "jésuite". En gros, le pape François demande
qu'on arrête de parler de tous ces sujets de société. L'église ne doit plus
être distraite par ces polémiques stériles : elle doit revenir à son ADN. Pour François, l'Eglise ce n'est
pas des "idées", des sujets qui fâchent, c'est d'abord des gens
dont on doit s'occuper.
Numéro 2 de ce classemenu de Time : Edward
Snowden
Le magazine a préféré une
figure plutôt consensuelle – le pape – à la figure controversée de Snowden, le
célèbre ingénieur de la NSA. Mais il est quand même numéro 2 de la liste.
Il y a eu, cette année un
véritable "effet Snowden", avec des révélations en cascade :
l'ampleur des écoutes téléphoniques de la NSA américaine ; les câbles
sous-marins de Google et Facebook espionnés avec ou sans leur consentement ;
le téléphone d'Angela Merkel écouté et même les conversations infiltrées de
la présidente du Brésil, Dilma Roussef, ou de l'ambassade de France à
Washington.
Snowden est-il un héros ou un
traître ? C'est toute la question. Si c'est un héros, vous le mettez à la
"une" de Time ; si
c'est un traître, vous le mettez en deuxième position. Pourtant, Snowden prétend que c'est
au nom de la Constitution américaine et de sa protection de la vie privée (le
célèbre 4ème amendement) qu'il a agi.
Pour
Snowden, une démocratie se distingue d'un régime totalitaire dans sa méthode
autant que dans son objectif. La fin ne justifie pas tous les moyens. Pour lui,
la surveillance de masse de centaines de millions de vies privées met en péril
les fondations même de la démocratie américaine.
Alors,
héros ou traître ?
En fait, les Américains sont plus
partagés qu'on ne le croit. Au-delà de 30 ans, ils sont plus de 60 % à penser
que Snowden doit être condamné pour son crime ; en revanche, entre 18 et
30 ans, ils ne sont plus qu'un tiers à le penser. En gros, les jeunes Américains le
soutiennent et les moins jeunes l'accablent.
Il y a plus : Snowden est
considéré comme un traître sur la Côte Est, à Washington notamment, mais il
pourrait bien devenir un héros sur la Côte Ouest, dans la Silicon Valley en
particulier.
Cette semaine huit géants de
l'internet américain, dont Google, Facebook, Microsoft, et Apple ont publié une
lettre ouverte au président Obama pour lui demander de clarifier les règles de
l'espionnage numérique. Ils ont peur que les jeunes
ferment leur compte Facebook, changent de moteur de recherche ou ne confient
plus leurs données aux entreprises américaines
Mais pour l'instant, Obama est
intraitable. Il
se murmure pourtant à Washington qu'Obama pourrait s'exprimer bientôt sur le
sujet et revoir complètement les règles de la surveillance d'internet.
Mais quoi qu'il fasse, le mal est fait. Il y aura un avant et un après Snowden
: une partie de la confiance en internet est brisée.
Snowden est donc bien "l'homme de l'année 2013" et le magazine Time aurait pu le choisir pour sa
"une".
Cela aurait été moins consensuel que d'y faire figurer le Pape – mais cela
aurait été plus marquant – et surtout... plus courageux.
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