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Les collectifs contre les partis politiques : des Pigeons aux Bonnets rouges.

Les "Bonnets rouges" sont de retour. Avec les "Pigeons", les "Poussins", les "Dindons" et autres "Cigognes", ils veulent changer la politique. Retour sur des mouvements sociaux contestataires d'un genre nouveau.
Article rédigé par Frédéric Martel
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
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Les Bonnets rouges sont de retour : ils étaient entre 17.000, selon la police,
et 40.000, selon les organisateurs, à manifester hier à Carhaix dans le
Finistère. Voilà plus d'un mois qu'ils luttent contre l'écotaxe poids lourd.

Qui
sont ceux qui se font appeler "les Bonnets rouges", en
référence à un mouvement en Basse-Bretagne sous l'ancien régime – 1675 pour
être précis : ils luttaient alors contre le Roi et son projet de taxe. Une
taxe qui, à l'époque, visait à financer la guerre... contre la Hollande ! Ça ne s'invente pas !

Les
Bonnets rouges, c'est d'abord un "collectif". Ni un parti, ni un
syndicat, mais un ensemble disparate de groupes agrégés : des paysans, des
transporteurs routiers, des entrepreneurs, des salariés bretons.

Contre le Ras-le-bonnet fiscal

Le
versant sympathique de ce "collectif", c'est son caractère spontané,
en dehors des appareils syndicaux et des partis politiques. Des gens
"normaux" qui manifestent, parfois violemment, contre une sorte de "ras-le-bonnet
fiscal".

Le
versant moins sympathique, c'est l'incohérence du projet. Le MEDEF et FO sont derrière les Bonnets rouges. L'UMP faisant banderole commune
avec le Nouveau Parti Anti-Capitaliste ! Ainsi, les patrons qui
ferment les usines pourraient manifester avec leurs salariés FO mis au chômage
chez Doux ? La CGT des marins pourrait côtoyer le Front national qui s'est empressé de
récupérer ce mouvement populiste, corporatiste et régionaliste ?

Quant à l'usine Armor Lux de Quimper, elle diffuse partout en Bretagne par
milliers ces fameux bonnets rouges... mais elle les sous-traite en Ecosse !

Et
sur les réseaux sociaux, on pouvait lire hier cette remarque qui en dit
long sur les paradoxes de ces mouvements : "Est-ce qu'on va pouvoir
rejoindre la manifestation des Bonnets rouges si les routiers bloquent les routes ?"

Peu
à peu, la CGT, la CFDT et finalement FO se sont désolidarisés des Bonnets rouges comme le confirme Thierry Le Paon, le secrétaire général de la CGT, le 23 novembre à Lorient,
dans le Morbhan (AFP Audio).

Pigeons, Poussins, Moutons etc.

 
A
l'automne dernier, ce furent les "Geons-Pi", un collectif
d'entrepreneurs du secteur du numérique, qui protestaient contre un projet de
hausse de la fiscalité sur les plus values en cas de revente des start-ups. "Geons-Pi", ça fait encore plus
moderne que "Pi-Geons" et c'est plus cool sur Facebook.

Il
y a eu aussi les "Poussins" pour défendre le statut des
auto-entrepreneurs ; les "Moutons" pour les petites et
moyennes entreprises ; les "Dindons" des enseignants mobilisés
contre la réforme des rythmes scolaires.

On
peut encore citer les "Dodos" qui défendent les Véhicules de
tourisme avec chauffeur (VTC) contre les taxis ; ou encore un collectif de sage-femmes, baptisé les "Cigognes".

Jean-David
Chamboredon était l'un des porte paroles des "Pigeons"
. Le fondateur du mouvement des Pigeons s'exprimait lors des rencontres de l'UDI en juin 2013.

Au-delà
de leurs différences, ces collectifs ont bel et bien des points communs :
à chaque fois, ils se veulent officiellement apolitiques. Ça fait partie de leur communication, même s'ils sont
en fait très souvent politisés, comme l'atteste un autre collectif, "La
manif pour tous" contre la loi Taubira, ou l'une de ses dissidences,
"Le Printemps Français", proche de Christine Boutin.

Plus on se dit "apolitique", par peur d'être récupéré par les
partis, plus la récupération est fréquente.

Un
autre point commun à ces collectifs est la dénonciation du matraquage fiscal. Jean-Marc Ayrault,
l'a bien compris, lui qui allait se voir chasser de Matignon sous les huées
bretonnes (pour être remplacé par Manuel Valls, début décembre, selon les
indiscrétions ce week-end du Nouvel
Observateur
et ce matin du Monde ), un
Premier Ministre qui a réussi à retrouver de l'oxygène grâce à un coup
d'éclat : remettre à plat toute la fiscalité française.

Pour autant, si les Bonnets rouges, comme les Pigeons ou les Moutons, peuvent
trouver que les impôts sont excessifs, refuser l'impôt en tant que tel,
n'apparaît pas comme une politique crédible. C'est plutôt du poujadisme !

Le
slogan à la mode, "O-N-L-R", pour "On ne lâche rien"
est une belle formule, mais ce n'est pas un discours politique, par définition
l'art du compromis.

Voilà une autre limite de ces collectifs : la démocratie ne peut pas être
seulement directe ; les collectifs savent dire
"non" et veulent "tout casser", alors que la
politique nécessite des intermédiaires (les partis et les syndicats) pour négocier,
construire... Et elle ne peut pas vivre seulement de "jacqueries".

*Nouvelles formes de mobilisation et Internet*  **

Internet est une autre caractéristique de ces
collectifs. Faute d'être officiellement liés à des syndicats ou des
partis, ils n'ont pas les moyens militants classiques pour
s'organiser. Internet leur offre un réseau de substitution.

Ensuite, il faut bien voir que certains de ces collectifs défendent des acteurs
économiques nouveaux, nés avec internet : les
"Pigeons" existent d'abord parce qu'il y a des start-ups dans le
numérique ; les "Dodos" parce qu'il y a des chauffeurs de
taxis comme Uber et Djengo – et bientôt Lyft en France – qui se servent de la
géolocalisation des téléphones mobiles pour exister. Et contre lesquels (surtout contre Uber) le gouvernement a imposé des contraintes excessives pour protéger les taxis.

Enfin,
le gouvernement peine à comprendre que ces collectifs représentent parfois aussi un
nouveau rapport au monde du travail. Lorsque la ministre Sylvia Pinel veut
détruire le statut d'auto-entrepreneur, elle commet, par idéologie ou
incompétence, une double erreur : elle oublie que c'est un véritable phénomène
social nouveau et massif, avec 300.000 entreprises créées sous ce statut chaque
année ; et que ces petites sociétés ne pénalisent pas, en fait (comme
l'ont montré plusieurs économistes) les entreprises existantes. C'est une forme
moderne du monde du travail, avec un petit côté "Do It
Yourself" : si on est au chômage et qu'on ne trouve pas d'emploi :
alors autant créer soi-même son propre travail.

Mouvement collectifs ou individualisation de la
société française ?

Ces collectifs malgré leur nom montrent aussi une forme d'individualisation du travail. C'est leur paradoxe.

Fabienne
Brugère, dans un excellent petit livre intitulé La Politique de l'individu (qui vient de paraître au Seuil) défend
l'idée que les individus n'appartiennent plus à des catégories professionnelles
stables. L'heure n'est plus seulement aux positions, aux statuts sociaux, mais
aux trajectoires. Et c'est ce que la gauche n'a pas forcément compris.

Les
auto-entrepreneurs, par exemple – les Poussins –, incarnent une volonté très
forte de s'en sortir en période de crise. La gauche ne voit en eux que des
individus égoïstes et libéraux alors qu'ils créent vraiment de l'emploi et
redonnent aux jeunes de l'espoir.

On
a vu aussi que des députés socialistes de Paris voulaient interdire les
locations d'appartements sous Airbnb : là encore, ils n'ont pas compris
que cela concernait des jeunes en difficulté, des chômeurs qui ne trouvent pas
d'emploi, et des classes moyennes ou populaires pour qui louer une chambre chez
soi est un moyen de survivre, en toute légalité. Interdisez AirBnB et vous
aurez sans doute bientôt un collectif qui se trouvera un nom... pourquoi pas celui d'un
oiseau voyageur !

On
pourrait prendre d'autres exemples, comme la volonté du gouvernement de vouloir interdire
le cumul d'emploi dans la fonction publique (qui suscite déjà de nombreuses pétitions), ou le statut des intermittents du
spectacle qui offre un modèle original, problématique certes, mais
indispensable aux artistes, statut que d'ailleurs le gouvernement entend bien pérenniser.

Dans tous les cas, ces nouvelles formes de travail posent des problèmes :
il y a des situations d'abus chez les auto-entrepreneurs comme chez les
intermittents du spectacle ou les habitués d'Airbnb : il convient de les
corriger et de les réguler.

Mais
il faut aussi comprendre ces évolutions actuelles du monde du travail, avec son
individualisation croissante et le rôle désormais décisif du numérique ;
les syndicats peinent à comprendre ce nouveau monde et la gauche a du mal à
mettre à jour son logiciel.

Tout cela ne nous ramène pas à la veille de la Révolution française "en 1788 " (comme le dit Jean-Luc
Mélenchon qui mobilise ce dimanche contre l'injustice fiscale). Mais il y a un risque pour le gouvernement de se faire siffler à
l'Assemblée nationale... mais aussi partout sur le terrain, dans une France
transformée en véritable "basse cour" : avec ses pigeons, ses
poussins, ses dindons, ses cigognes et de devoir finalement reculer en se faisant traiter de tous les noms d'oiseaux.

Références :

  • Fabienne Brugère, La Politique de l'individu , La République des Idées / Le Seuil, 2013. Critique du livre ici et ici.

  • Une enquête de The Economist sur la nouvelle "sharing economy", autour d'Airbnb, RelayRides etc.

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