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Peut-on vraiment "sanctuariser" l'école ?

L'idée de la "sanctuarisation de l'école" devait mettre fin à la polémique Leonarda. Une sorte de formule magique. Largement reprise par la classe politique et la presse, elle a fait consensus. Pour autant, si la formule est efficace, peut-on véritablement "sanctuariser" l'école ?
Article rédigé par Frédéric Martel
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
  (©)

Vincent Peillon, le
ministre de l'éducation nationale, a demandé mercredi,
à la sortie du conseil des ministres, que l'on "sanctuarise
l'école". Aussitôt, cette formule est devenue "virale", reprise par Najat Vallaud-Belkacem, Cécile Duflot,
puis le premier ministre, Jean-Marc Ayrault et jusqu'à la première
dame, Valérie Trierweiler. Le président François Hollande
lui-même a confirmé cette "sanctuarisation"
dans une intervention solennelle hier, mais sans reprendre la formule.

"Sanctuarisation

de l'école" : de quoi parle-t-on ?

L'expression est apparue,
pour le gouvernement, comme la formule magique pour mettre fin à la
polémique sur l'affaire Leonarda. Rappelons que la jeune fille,
ni kosovare, ni véritablement italienne, ni encore française, a
été interpellée dans un cadre péri-scolaire, c'est à dire à l'extérieur d'un bus à l'occasion d'une sortie scolaire.

En réalité, ce n'est pas "l'éloigneent" de Leonarda - pour utiliser un euphémisme policier, "éloignement" - qui a suscité la polémique car des
centaines, peut-être des milliers d'enfants, notamment Roms, sont
reconduits chaque année à la frontière, y compris depuis que la
gauche est au pouvoir, puisque, l'an dernier, en 2012, on a
dénombré en France 36.822 reconduites à la frontière
.

Ce qui est différent,
cette fois-ci, et explique la forte émotion, c'est précisément
l'intervention de la PAF (la police aux frontières), dans le cadre
scolaire. Beaucoup ont dénoncé une faute. Pour eux, l'école doit
être un lieu de paix, de tranquillité, et on ne doit pas
interpeller à l'école une enfant mineure, surtout en urgence,
alors que sa présence sur le territoire était illégale depuis
plusieurs années.

D'ou vient cette

idée que l'école doit être sanctuarisée ?

En fait, cette
expression, a une connotation clairement religieuse : c'est un
"lieu saint" en quelque sorte, sanctus
signifiant "saint" en latin. Le verbe  "sanctuariser"
est redevenu à la mode dans les années 1970, cette
fois à partir de l'anglais - to sanctuarize - au sens de "lieu protégé".

Pour autant, l'expression
"sanctuariser", surtout appliquée à l'école, n'a
ni fondement juridique, ni réalité historique. Même si elle paraît
un peu évidente à tout le monde.

Traditionnellement, en
France, et depuis le Moyen-Age, les universités bénéficient d'un
régime un peu particulier appelé "franchise universitaire". C'est à dire que
la police ne pouvait pas y entrer sans l'accord explicite
du doyen d'université. Cela visait à garantir l'indépendance et
la liberté d'opinion des universités, notamment face à la
religion.

Avec la IIIème
République, et les lois de 1881-1882, l'école est devenue
gratuite, obligatoire et laïque. C'est ce cadre qui sert
toujours aujourd'hui de référence. Et lorsque les professeurs de
Leonarda l'ont défendu cette semaine, ils se pensaient, un peu,
au fond, comme les héritiers des instituteurs, les hussards noirs,
de la IIIème République : pour eux, l'école peut tout, elle
a permis à cette jeune fille d'apprendre le français et,
croyaient-ils, espéraient-ils, elle pourrait lui permettre de s'émanciper de sa
famille et, peut-être même, de son père violent.

Ces lois de 1881-1882,
dites loi Jules Ferry, n'appartiennent donc pas seulement au
passé : elles sont très actuelles, et d'ailleurs elles ont
valeur constitutionnelle car elles ont été intégrées en 1977 par
le Conseil Constitutionnel à l'esprit de notre consitution, c'est-à-dire à ce qu'on appelle le "bloc de
constitutionnalité"...

C'est un peu technique,
en droit constitutionnel, mais ça veut dire, en gros, que notre
Constitution ne se limite pas au texte de 1958 (celui de la Vème
République), mais qu'il inclut d'autres textes qui y sont cités,
comme la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen, le
préambule de la Constitution de 1946, ou encore les principes des
lois de la République. La liberté d'association, la liberté de
la presse, la laïcité ou encore la liberté de l'école en font
partie. Et c'est comme si elles étaient dans la constitution de
1958.

Concrètement, que va-t-on sanctuarisé ?

Si l'idée de la
"sanctuarisation de l'école" a fait cette semaine
plutot consensus, elle a des objectifs contradictoires.

François Bayrou, alors
ministre de l'éducation nationale, avait déjà avancé l'idée
de la "sanctuarisation de l'école", mais il
employait l'expression à rebours de son emploi cette semaine, pour dire que l'école devait échapper à
toute forme de violence. Ce qui signifiait... y faire intervenir la
police si besoin. Et Ségolène Royal avait voulu faire
appel, on s'en souvient, non pas seulement à la police, mais à
l'armée pour mâter les élèves indisciplinés.

En réalité, la police
intervient fréquemment dans les établissements scolaires, et elle
va continuer à le faire même si Vincent Peillon a déclaré hier
que le principe de la sanctuarisation de l'école "ne doit
souffrir aucune exception".

Pourquoi la

police va-t-elle continuer à intervenir à intervenir ?

D'abord parce qu'il y
a les nombreuses formations assurées dans les collèges et
les lycées par la police : les présentations du code de la
route, ou, plus fréquemment encore, les modules pédagogiques sur la
prévention de la toxicomanie.

Mais il y a plus. La
police intervient également pour interpeller des élèves
violents, ou en cas de délit. Si
un éleve est suspecté, par exemple, de détenir de la drogue, les
enseignants et le personnel encadrant n'ont pas le droit de le
fouiller. Le
principal du collège ou le proviseur du lycée font donc
systématiquement appel à la police pour fouiller le jeune en
question.

L'idée de la "sanctuarisation" devient donc bien
ténue, même s'il est vrai qu'une circulaire de 1996 précise
que "c'est au proviseur, au principal ou au directeur d'école
qu'il revient d'apprécier" si la police peut pénétrer dans
un établissement scolaire.

Sanctuarisation de l'école : formule efficace pour une inefficacité concrète ?

La "sanctuarisation de
l'école"
voulue par Vincent Peillon et reprise par François
Hollande, même s'il n'a pas utilisé le mot, est donc une
formule efficace qui sera nécessairement partielle
.

En fait, c'est parce
que la véritable "sanctuarisation" de l'école n'est
pas possible – ni même souhaitable – que François Hollande n'a
pas repris hier l'expression. La violence a décuplé,
ces dernières années, non pas tant dans les écoles ou les lycées,
mais essentiellement dans les collèges. Le collège unique est
souvent considéré comme un lieu de violence endémique dans
certaines villes ou certains quartiers puisque l'école est obligatoire jusqu'à 16 ans. La police
intervient donc fréquemment dans les collèges où les directeurs et
les enseignants disent avoir besoin des forces de l'ordre
régulièrement - parfois plusieurs fois par semaine.

L'historien Patrick
Weil a déclaré, dans une interview au journal Le
Monde
,
qu'il fallait "que l'école soit un sanctuaire ou la police ne saurait intervenir
pour procéder à des interpellation". Manuel Valls préfère lui parler de "protection du cadre scolaire" ce matin dans Le Journal du Dimanche . On voit bien la nuance et la différence des mots.

C'est donc bien une
"mini"-sanctuarisation qui a été décidée.
Et
celle-ci se limitera à la question des expulsions
d'enfants étrangers qui, tout le monde le reconnaît, ne doivent
pas avoir lieu dans le cadre scolaire. C'est l'objet de la
circulaire aux préfets annoncée hier par le président de la
République et déjà transmise par le ministre de l'Intérieur. Circulaire qui reprend la formule du "cadre scolaire qui doit être préservé". 

C'est évidemment très
hypocrite
, parce que ces enfants seront interpellés ailleurs, avant
ou après l'école, mais cela confirme sinon une
"sanctuarisation", du moins une singularité de
l'école, son humanisme aussi
, car comme l'écrivait le ministre
Jules Ferry dans sa très belle "lettre aux instituteurs" :
"Ce que vous communiquez à l'enfant, ce n'est pas votre
propre sagesse, c'est la sagesse du genre humain
."

* Bibliographie :

  • Jules Ferry, Lettre aux instituteurs , 1883

  • Jean-Pierre Azéma,
    Michel Winock, La Troisième République , Pluriel, 1970, rééd.
    1976

  • Maurice Agulhon, La
    République, tome I
    , 1880-1932, Pluriel, 1990, rééd. 2010

 

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