"Un pays vaut ce que vaut sa presse"
Les images
du retour des désormais ex-otages sont belles, touchantes, simples. Elles tournent en boucle sur les
chaînes d'information en continu, sur les radios, mais font aussi les
"unes" de la presse ce matin (Journal du dimanche, Parisien etc.). Mais "pourquoi accorder autant d'importance
à la libération des journalistes otages", demandent certains ? N'en
fait-on pas un peu trop ? N'est-ce pas une réaction quelque peu corporatiste
des médias ?
Une liberté consacrée par les textes
"La
liberté de la presse est l'un des visages de la liberté tout court " , pour citer le jeune Albert Camus.
La question de la liberté de la presse dépasse largement celle de la presse
elle-même, et concerne la démocratie dans son ensemble. Il en va du pluralisme
des opinions, du débat d'idées, de la liberté de penser... Il n'y a pas de
liberté d'expression sans liberté de la presse, ni de liberté d'opinion sans
liberté de presse. Et c'est
pourquoi l'article 11 de la Déclaration des droits de l'Homme , en 1789,
en fait "l'un des droits les plus précieux de l'homme". C'est également ce que dit la Déclaration
universelle des droits de l'Homme dans son article 19 en 1948 qui consacre
également la liberté d'expression comme droit universel.
Et sur le terrain ?
Sur le
terrain, à travers le monde, on se rend compte de la dure réalité de ce
qu'est la liberté de la presse . Au Mexique, par exemple, des journalistes
ont été tués par dizaines, en particulier par des narcotrafiquants. En Egypte
aujourd'hui, les journalistes sont arrêtés et traînés devant les tribunaux. En
Russie, ils sont menacés et interdits d'exercer. Sans oublier la censure et les
difficultés en Turquie et en Algérie où cette semaine encore les visas ont été refusés aux journalistes, ou donnés au compte-gouttes pour 48 heures. Les cartes que diffusent Reporters sans frontières
sont un résumé saisissant de cet état des lieux.
Liberté de la presse : les lueurs d'espoir
Au-delà de
la libération des ex-otages, et de leur arrivée en France ce matin, nous
pouvons noter que cette semaine, aux Etats-Unis, le prix Pulitzer a été décerné
aux journaux qui ont révélé l'affaire Snowden. L'ONU a
également mis en place une journée mondiale contre l'impunité envers les crimes
commis contre les journalistes. C'est désormais le 2 novembre, chaque année.
Et puis il y
a enfin internet, qu'on critique - parfois à juste titre - pour ses rumeurs, sa
désinformation, etc. Mais internet permet avant tout d'accéder à
l'information, à être plus libre. Internet fait plus de mal que de bien à la liberté de l'information.
Défendre la liberté de la presse, pas seulement pour
défendre la presse
Lorsque l'on
superpose la carte de la liberté de la presse et celle de la démocratie, on se
rend compte qu'elles correspondent. Elles sont presque identiques. Et il en va
de même avec la carte de la liberté d'internet ou celle des droits des femmes.
Cela veut dire que la liberté de la presse est un bon critère pour mesurer
l'état de la démocratie à travers le monde, l'état de la liberté tout court.
"Un
pays vaut ce que vaut sa presse " , disait Albert Camus. Les grands reporters sont nos
représentants sur le terrain ; nos "yeux sur les violences du monde ",
pour citer une expression du JDD ce matin ; ils sont ces historiens "au
jour le jour" qui recherchent ces "vérités de faits" dont parlait la
philosophe Hannah Arendt.
C'est
pourquoi la libération des quatre ex-otages hier et leur retour à Paris dépasse
la question de la liberté de la presse et dépasse même leur propre sort. En exerçant
leur métier et en défendant la liberté d'expression, ils confirment - Camus toujours - que
"la vertu de l'homme est de se maintenir, face à tout ce qui le
nie ".
Frédéric
Martel
* Pour aller
plus loin :
-
"Les quatre ex-otages français en
Syrie sont rentrés en France", franceinfo.fr, 20/04/2014 -
La carte
de Reporters sans frontières "Classement mondial de la liberté
de la presse en 2014" -
"Manifestation pour la liberté de la presse à
Moscou", euronews.fr, 14/04/2014 -
"Venezuela : inquiétudes sur la
liberté de la presse", Regards Latinos (blog.lefigaro.fr),
24/03/2014 -
Olivier
Todd, Albert Camus , Gallimard -
Michel
Onfray, L'ordre libertaire, La vie philosophique d'Albert Camus ,
Flammarion- Hannah Arendt, "Vérité et politique", dans La Crise de la
Culture , Gallimard (avec la formule sur "les vérités de faits").
- Hannah Arendt, "Vérité et politique", dans La Crise de la
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