Histoires d'info. Les catholiques s'en prennent à Godard et Scorsese
À l'heure où le film de François Ozon pourrait être repoussé en raison de la plainte déposée par le prêtre accusé de pédophilie dont le réalisateur raconte l'histoire, souvenons-nous qu'il y a une trentaine d'années, les relations entre le cinéma et les catholiques étaient éminement plus conflictuelles.
Dans les années 1980, sur fond de rivalités au sein de l'Église, deux films sont pris pour cible par des fidèles. En février 1985, sort un nouveau film de Jean-Luc Godard, Je vous salue Marie. Le réalisateur y transpose le récit de la Nativité dans le monde moderne. Les scènes de nu de Marie "blessent profondément les sentiments religieux des croyants", selon les mots de Jean-Paul II.
Intégristes contre punks devant le film de Godard
Des croyants se réunissent devant les cinémas qui projettent le film en février 1985, et en particulier à Nantes, où les tensions sont très fortes : "Chaque soir depuis une semaine, une poignée d'intégristes installe un autel improvisé devant le cinéma. Seulement hier soir, les choses ont bien failli se gâter avec l'intervention de punks armés de sceaux d'eau, de boules puantes et de pétards", peut-on entendre dans les archives.
Le fait que cela ait eu lieu à Nantes n’est pas un hasard. Nantes est une place forte de l’intégrisme catholique. On y trouve Georges de Nantes, surnommé l’abbé de Nantes et fondateur de la contre-réforme catholique, mais aussi la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X, fondée par monseigneur Lefebvre au début des années 1970, connu notamment pour son rejet de Vatican II et la modernisation de l’Église. Mais Nantes n’est pas le seul lieu de tensions. A Tours, le cinéma de la ville est incendié.
Attentat contre le film de Scorsese
Le film de Martin Scorsese, La dernière tentation du Christ sort en 1988. Mais dès 1985, exactement au moment du film de Godard, l’Église s’inquiète du film de Scorsese, qui n’est même pas encore tourné. Scorsese n’a pas eu les financements suffisants aux États-Unis en raison de l’opposition de l’Église catholique américaine. Il demande alors une subvention au CNC. C’est alors que monseigneur Lustiger se rend personnellement à l’Élysée pour faire annuler cette subvention de trois millions de francs. François Mitterrand accédera à cette demande, légèrement contraire au principe de laïcité.
Le film sort finalement en septembre 1988. "Blasphématoire", hurlent les fervents catholiques qui ne supportent pas ce Christ essentiellement humain, un être faible, saisi par le doute et cherchant à se dérober à son destin. Pour les intégristes qui ont suivi le schismatique monseigneur Lefebvre, excommunié par le pape trois mois plus tôt. L’occasion de se faire entendre et voir comme les vrais défenseurs de la foi chrétienne est bien réelle, les projections sont là aussi l’occasion de prières de rue, mais aussi d’incidents très graves : "Dix blessés dont un grave. Un bilan qui aurait pu être encore plus lourd dans le cinéma Saint Michel à Paris", relate-t-on sur France Inter le 23 octobre 1988.
Cette brusque tension entre les catholiques et le cinéma dans les années 1980 doit beaucoup aux rapports de force conflictuels au sein même de l’Église et ne doit pas nous faire oublier que dans l’immense majorité des cas, l’Église de France accepte la laïcité et fait preuve d’une grande tolérance y compris face à des œuvres qui peuvent choquer sa foi.
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