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Ils ont fait l'actu. L'avocate Marie Dosé revient sur le dossier des femmes et des enfants détenus dans des camps syriens

Sandrine Etoa-Andegue revient sur les événements marquants de l'année. Et ce sont ceux qui les ont vécus qui vous les racontent. Mardi 9 août, l'avocate Marie Dosé pointe les conditions de vie insoutenables dans les camps syriens.

Article rédigé par Sandrine Etoa-Andegue
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Maître Marie Dosé, avocate  de plusieurs enfants et femmes détenus dans des camps en Syrie.   (SANDRINE ETOA-ANDEGUE / RADIO FRANCE)

29 septembre 2021. Ultime recours pour Marie Dosé. L'avocate parisienne de plusieurs enfants et femmes détenus dans des camps au Nord-Est de la Syrie, plaide contre la France devant la Cour européenne des droits de l'homme. Refuser de les rapatrier, c'est les exposer à des traitements inhumains et dégradants, déplore l'avocate. Le jour de cette audience, Marie Dosé répète : "Les autorités qui détiennent ces femmes expliquent depuis trois ans qu'elles ne veulent pas les juger. La difficulté, c'est que ces femmes, elles font toutes l'objet d'un mandat d'arrêt international."

Le 5 juillet dernier, changement de doctrine à l'Elysée. Le premier rapatriement massif d'enfants de djihadistes présumés et de leurs mères depuis 2019 a eu lieu. Jusque là, les rapatriements étaient "choisis" au compte-gouttes, dénonce Marie Dosé. Elle pointe les conditions de vie insoutenables dans les camps pour ceux qui restent et le risque que ces familles soient récupérées par Daesh. Elle regrette surtout le temps perdu dans ce dossier.

"C'est vertigineux où nous en sommes arrivés quand même. On a laissé pendant trois ou quatre ans des enfants dans des camps de prisonniers en zone de guerre."

Marie Dosé

à franceinfo

"On a pris le risque qu'ils meurent. Une mère est morte, c'est à dire qu'elle elle a survécu à Baghouz, mais pas au camp. Elle agonisait devant sa petite fille pendant trois ans. Je suis allée à l’Élysée  avec les photos de ses bras. À 42 reprises, mes demandes de rapatriement sanitaire se sont terminées par vous allez la laisser mourir devant sa petite fille. Elle est morte. Je pensais pas qu'on en arriverait jusque là", déclare Marie Dosé.

Comment expliquer le changement de doctrine d'Emmanuel Macron puisqu'à la fin cette décision lui appartient?

"Cette décision lui a toujours appartenu", veut préciser l’avocate. "Je tiens quand même à rappeler que c'est à l'Elysée que ces décisions se prennent et nulle part ailleurs. Je pense que Emmanuel Macron a été très, très fébrile sur cette question jusqu'à son second mandat, maintenant il n'y a plus d'enjeu électoral. Je pense qu'il s'est trompé sur l'état d'une opinion publique qui n'est pas figée. Il en a eu peur. Il n'aurait pas dû. On a fait un véritable travail pédagogique depuis trois ans, trois ans et demi. Il ne veut pas rester le président de la République, qui aura laissé 200 enfants et leur mère périr dans des camps", commente Marie Dosé.

Proche des familles

Sur le débat que ce dossier suscite dans la société française, entre peur et incompréhension. "La société française fait un débat de tout. Elle passe son temps à débattre pour ou contre lui, non. En Allemagne, des enfants rentrent avec les mères. Ce n'est pas un sujet. On ne considère pas qu'il faut débattre sur doivent ils rentrer ou pas ? Les Allemands actent une décision politique qui est celle du rapatriement. Il n'y a aucun débat", Marie Dosé répond cinglante. L'avocate dit se sentir proche des familles et notamment des enfants qu’elle représente. Elle a noué des liens forts au fil notamment des nombreuses vidéos et messages reçus des camps où elle s’est rendue deux fois.

"Je me souviens très bien de la première grand-mère qui est venue à mon cabinet. Je crois que c'est en octobre 2018. Vous imaginez ? Ça fait maintenant bientôt quatre ans et elle est venue et elle m'a dit voilà, ma fille s'est rendue aux Kurdes avec mes deux petits enfants qui ont six mois et deux ans. Ils sont dans un camp. Elle m'a expliqué la situation et elle m'a dit, est ce que vous vous accepteriez de m'aider pour obtenir leur rapatriement ? Je lui ai répondu mais  madame, vous n’allez pas payer un avocat pour ça. Je peux vous aider à rédiger une lettre au Quai d'Orsay. Mais évidemment qu’ils seront rapatriés. Quatre ans plus tard, on a toujours 170 enfants et 60 mères dans ces camps." 

"On doit combattre le terrorisme avec l'Etat de droit, pas avec l'inhumanité, parce que dans ce cas, c'est eux qui ont gagné."

Marie Dosé

à franceinfo

"Quand j'ai commencé, j'ai été très, très peu soutenue. C'était un combat que d'aucuns jugeaient illégitime. Et ce qui est intéressant, je pense que ça ne m'arrivera qu'une fois dans ma vie, c'est de voir à quel point tous ceux qui ont pu décrier ce combat, le salir ou me juger allant même jusqu'à parfois me menacer ou injurier, trois ans et demi plus tard, non seulement le saluent, mais font comme s'ils n'avaient pas pensé différemment au tout début. Tout ça veut dire que rien n'est jamais perdu, mais quand même, j'ai en tête moi, tout le temps, tout le temps, je me dis mais quand ils auront quinze ans, seize ans, qu'est ce qu'on va leur expliquer ? Comment expliquer qu'on a préféré prendre le risque de les voir mourir que de les voir rentrer ? Est ce que ce n'est pas comme ça qu'on fabrique le pire ?" commente Marie Dosé.

Depuis leur retour, les mères, toutes mises en examen pour association de malfaiteurs, terroristes, criminels, dorment en prison. Leurs enfants, en foyer ou en famille d'accueil peuvent leur rendre visite. Ils tentent  aujourd'hui de se construire une vie normale en France.

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