Ils ont fait l'actu. Sabyl Ghoussoub, Goncourt des lycéens 2022, évoque les rencontres avec ses lecteurs
Le 24 novembre 2022, le Goncourt des lycéens est attribué à Sabyl Ghoussoub pour son troisième roman Beyrouth sur Seine, aux éditions Stock. Ce livre autobiographique avait été sur la liste du Goncourt. C'est un hommage à ses parents, exilés libanais, venus se réfugier à Paris en 1975, alors que la guerre va ravager leur pays. "C'est le plus beau des prix", a réagi l'auteur de 34 ans, très fier. "Je suis ravi, honoré, comblé de d'obtenir ce prix. J'ai l'impression que c'est le plus sincère, le plus honnête. J’étais un très mauvais lycéen, donc je suis assez touché, assez heureux que ces lycéens me donnent un prix." ajoute Sabyl Ghoussoub.
Au début de la pandémie,Sabyl Ghoussoub , écrivain, chroniqueur et commissaire d'exposition, qui a grandi entre la France et le Liban, prend son enregistreur et commence à questionner son père et sa mère sur leur histoire familiale au Liban. Kaïssar, metteur en scène passionné de poésie, et la rayonnante Hanane se sont installés à Paris mais resteront branchés sur le Liban en permanence. C'est un récit de l'exil grave, touchant et drôle, traversé par l'art. Un document aussi, Sabyl Ghoussoub puise dans les archives familiales, les correspondances, les photos, mais aussi les articles de presse de l'époque.
Des rencontres grace à ce prix
Grâce au Goncourt des lycéens, il a entrepris une longue tournée cette année, à la rencontre de ses lecteurs. Il raconte à quel point ce prix a changé sa vie d'écrivain, "il faut être très concret. Une vie d'écrivain ou d'artiste est très compliqué. Avant de remporter le Goncourt des lycéens, c'est une vie où tu essayes chaque mois de gagner ce que tu peux à travers des piges, à travers des projets, à travers des écrits que tu fais à gauche, à droite. Et là, tout d'un coup, grâce au prix Goncourt des lycéens, parce que c’est prescripteur et qu'on en vend de beaucoup, ça me permet de me poser et de pouvoir faire des projets auxquels je pensais avant mais dans lesquels je ne pouvais pas me plonger parce que financièrement, c'était compliqué. C'est une chance inouïe dans la carrière d'un écrivain, c'est rare. Je connais beaucoup d'amis écrivains qui ont 40 livres derrière eux, qui ont jamais vécu ça. Et je crois que cet été, je vais commencer à réaliser un peu ce qui m'est arrivé durant toute cette année." déclare Sabyl Ghoussoub.
Lors de la tournée des lycées avant l’attribution du prix, Sabyl Ghoussoub a pu pu échanger avec plusieurs élèves qui lui ont dit pourquoi ils ont choisi et pourquoi ils ont aimé son livre. "Pour eux, qui entendent beaucoup parler de la guerre en Ukraine, de la guerre en Syrie, ces histoires d'exilés à travers des articles de journaux, tout d'un coup, à travers l'histoire de mes parents qui racontaient des exilés d'une autre guerre, d'une guerre qu'ils ne connaissaient pas du tout d'ailleurs, généralement la guerre du Liban de 75, ils arrivaient à humaniser un peu ces grands mots de réfugiés, d'exilés de guerre. Et là, tout d'un coup, il y avait des personnages dans lesquels ils pouvaient s'identifier." suggère Sabyl Ghoussoub.
"Je veux avoir des enfants comme eux !"
Certains moments l’ont touché plus que d'autres, comme lorsqu’il a rencontré pour la première fois des lycéens au Liban, "je suis sorti de la première classe d'un collège-lycée. et j’ai écrit à ma mère, j'ai écrit ce livre pour ça, pour me retrouver là, à parler de cette guerre avec eux, avec qui on ne veut pas parler de la guerre parce qu'on n'apprend pas à cette guerre quand on est jeune, Libanais au Liban. En fait, on n'apprend pas l'histoire nationale du Liban quand on est un jeune Libanais et c'est complètement tabou. La guerre, c'est un sujet dont on ne parle pas. Et donc, quand je sortais de cette classe là, entre ces histoires de guerre et ces histoires d'exil qui touchent encore malheureusement beaucoup le Liban, encore aujourd'hui, il y a des vagues de jeunes exilés et pas que des jeunes d'ailleurs, qui s'en vont du pays, c’était vraiment beaucoup, beaucoup d'émotion." ajoute Sabyl Ghoussoub. Et en France, une classe à Bordeaux lui a laissé un souvenir particulier. "C’était une classe de seconde, ils étaient bouillants, plein d’énergie, ils avaient envie de tout savoir. C’était un établissement scientifique, je ne m’y attendais pas du tout. Je me suis dit, ils n’auront même pas lu mon livre, c’était tout le contraire. J’ai eu une sorte de bouffée d’air à leur contact et je suis sorti de la classe, j’ai appelé ma compagne et je lui ai dit, je veux avoir des enfants comme eux ! Ils m’ont donné une telle énergie, c’était très beau. Ça fait du bien de voir des jeunes, pas dépités, plein d’envies et qui te font croire en l’avenir." annonce l'écrivain.
La genèse de ce livre est multiple, une conversation avec une amie à qui il a évoqué son premier projet de livre sur Walid Joumblatt avant de se consacrer à celles et ceux qui n’avaient pas fait la guerre et puis le Covid a été un accélérateur pour qu’il aille interroger ses parents sur leur vie au Liban, comme une urgence en raison du contexte sanitaire, "concrètement l’urgence de les voir mourir concrètement avec le Covid, mon père est un peu fragile. Et puis je ne sais pas si on s'en souvient tous mais on se disait, ils vont tous y passer. Et puis il y a eu un long processus avec d'abord une découverte des photos d'archives de ma famille il y a six ou sept ans, quand je vivais au Liban. Donc ça a été une plongée dans le Paris de mes parents, ce Paris arabe des années 70–80 que je n'ai pas connu parce que je suis né en 88, après, comme tout écrivain libanais de ma génération, des générations précédentes, on revient tous sur cette guerre au moins une fois dans notre parcours et donc je voulais raconter cette guerre.” dit Sabyl Ghoussoub.
Sabyl Ghoussoub évoqué ces lettres écrites il y a une quarantaine d'années et les compare à la situation du pays aujourd'hui, ce sont les mêmes mots qui sont employés, le manque d'argent, le manque de pain, l'inflation folle, le désespoir face à la situation. Ce qui selon lui est, “très troublant. Malheureusement, le pays va très mal. On a tous été surpris par l'explosion du port en août 2020. C’était complètement surréaliste, hallucinant. Il y a la crise économique aujourd'hui sans fin, une situation politique complètement bloquée. Voilà, ça, c’est un sujet malheureusement qui malgré moi, me suit.” affirme Sabyl Ghoussoub.
Cet été sera consacré à l'écriture de son quatrième roman, avec cette fois le Cap-Vert en toile de fond.
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