Documentaire "Le collège de Monsieur Paty" : "Les témoignages pourraient être utiles aux professeurs et aux élèves" après l'attentat d’Arras, espère la réalisatrice
La réalisatrice de documentaires, Christine Tournadre, a passé une année au sein du collège où enseignait Samuel Paty, assassiné il y a trois ans par un islamiste pour avoir montré des caricatures de Mahomet en classe. Avant un débat animé par Marie Drucker, France 2 diffuse mardi 17 octobre à 21h10, son documentaire "Le collège de Monsieur Paty", une immersion dans le quotidien de ce collège du Bois d’Aulne dans les Yvelines, un an après l’assassinat du professeur, et qui recueille la parole des professeurs et des élèves qui tentent, ensemble, de se reconstruire.
franceinfo : Même si le contexte est évidemment différent, un drame similaire s'est produit dans un lycée d’Arras vendredi dernier. Dominique Bernard, professeur de lettres, a été tué par un musulman radicalisé. Qu'avez-vous ressenti en apprenant ce nouveau drame ?
Christine Tournadre : J'ai été sidérée, choquée, bouleversée comme tout le monde. Je mesure l'ampleur du séisme qui est en train de se produire au lycée d'Arras. L'impact pour moi est double car je pense évidemment à ces familles, ces élèves, ces professeurs qui sont meurtris à Arras et je pense aussi au choc que cela représente pour les professeurs et les élèves du collège du Bois d'Aulne.
Avez-vous pu parler avec eux depuis vendredi ?
Parlé, non. J'ai échangé avec eux par messages pour respecter aussi, leur temps à eux. Évidemment ils sont très choqués, mais là où je les trouve vraiment admirables, et c'est ce que montre aussi le film, c'est que tout de suite, ils se sont ressaisis en se disant que finalement, la force de leurs témoignages dans ce film pourra peut-être être utile. Ils sont passés par ces traumatismes, par de terribles moments, mais ils ont aussi fait un cheminement qui peut peut-être aider leurs collègues à s'en sortir.
C'est le chemin d'une reconstruction que vous racontez et on voit bien qu'après la sidération, il y a des solutions pour dépasser ce traumatisme. Cela va probablement, hélas, servir au corps enseignant et aux élèves à Arras ?
J'espère. Le film raconte vraiment ça, c'est-à-dire qu'on commence par rentrer dans le collège au moment du premier hommage rendu à Samuel Paty. C'était la première fois que tout le collège se réunissait pour lui rendre hommage et à ce moment-là, on voit effectivement le désarroi, les traumatismes.
Dans le film, on voit comment ces professeurs vont essayer de mettre des mots là-dessus, vont essayer de faire avancer leurs élèves, vont réfléchir ensemble à comment finalement essayer de réparer aussi un certain nombre de choses.
Christine Tournadrefranceinfo
Au début, c'est très compliqué et notamment parce qu'il y a un lien de confiance qui est rompu entre les professeurs et les élèves puisque des élèves ont été complices de cet assassinat.
Il y a cinq élèves qui ont été mis en examen et surtout, il y a eu une rumeur qui a circulé au sein du collège à partir d'un mensonge. Il y a évidemment beaucoup de culpabilité, à la fois de la part des élèves mais aussi des professeurs, de ne pas avoir vu suffisamment tôt cette rumeur qui a été finalement relayée à l'extérieur et manipulée, instrumentalisée par des adultes. Quand on rentre dans ce collège, à ce moment-là, tout est électrique, tout est compliqué. C'est très difficile pour tout le monde d'en parler parce qu'il y a beaucoup de souffrance. Les profs se sentent aussi un peu trahis. Avec un groupe de professeurs qui est extrêmement courageux, ils se sont dit qu'ils ne pouvaient pas rester dans cette situation et avec l'aide d'intervenants extérieurs qui sont : l'Association française des victimes du terrorisme et un éducateur, ils vont essayer de faire tout un travail pour que justement, la parole se libère. C'est vraiment ce que raconte le film, c'est comment on arrive petit à petit à essayer de surmonter ces traumas et essayer de créer une famille.
Dans votre documentaire, on entend des jeunes filles qui évoquent leur douleur d'avoir perdu un professeur, mais aussi le harcèlement des journalistes. C'est un aspect dont on ne parle pas assez et c'est ce qu'il faut absolument éviter avec les élèves d'Arras ?
Oui, on peut tirer des expériences de ce qui s'est passé au collège du Bois-d'Aulne. Les élèves ont été triplement traumatisés. D'abord, par l'assassinat de leur professeur. Ensuite, par les répercussions que ça a eues sur tout le corps enseignant en voyant leurs professeurs s'effondrer, pleurer, se mettre en retrait. Et il y a aussi cette troisième voie de traumatisme, celle des médias, la pression médiatique très importante qu'il y a eue à ce moment-là sur des jeunes... C'est ce qu'ils disent, ils avaient 13 ans à l'époque et étaient poursuivis par des journalistes qui voulaient avoir des informations sur le professeur, sur leurs ressentis. Comment mettre des mots à ce moment-là ? Quand on est jeune, c'est impossible. Ça m'a aussi posé beaucoup de questions éthiques dans mon rôle de documentariste, de donner cette parole, mais de faire attention à la donner dans de bonnes conditions.
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