"Droit de regard" : une grande soirée sur le handicap visuel sur France 2

La chaîne publique propose ce soir la fiction "Droit de regard", suivie du documentaire "Les enfants d’Ullis" et du témoignage d’Anne-Sarah Kertudo, coscénariste du téléfilm inspiré de sa propre vie.
Article rédigé par franceinfo
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Anne-Sarah Kertudo co-scénariste du téléfilm "Droit de regard", le 31 janvier 2024. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

France 2 propose, mercredi 31 janvier, une soirée consacrée au handicap visuel avec une fiction Droit de regard à 21h10 suivie d'un documentaire Odyssée des enfants d'Ulysse, puis d'un débat. Le téléfilm évoque l'histoire d'une jeune femme, mère de deux enfants, qui progressivement perd la vue à cause d'un glaucome. Anne-Sarah Kertudo en est l'une des scénaristes, mais aussi directrice de l’association Droit Pluriel, qui œuvre pour une justice accessible à tous.  Cette histoire est inspirée de sa propre expérience. "Beaucoup de films qui tournent autour du handicap sont souvent un peu dramatiques, souligne Anne-Sarah Kertudo. On a voulu montrer que je suis comme tout le monde. J'ai une vie avec des moments positifs, des moments négatifs." 

fanceinfo :  Anne-Sarah Kertudo, c'est effectivement votre vie, à quelques détails près que vous racontez dans cette fiction. Même si on s'y prépare, même si on sait qu'on va perdre la vue, ça doit être très violent ? 

Anne-Sarah Kertudo : On fait face. Ce n'est pas du tout ce qu'on pense. Moi, je suis comme vous, je m'imaginais plein de trucs sur ce représentait le fait de devenir aveugle. Et ça ne se passe pas du tout comme ça. Ce sont des questions très concrètes qu'on essaye de régler. Comment je vais aller acheter une boîte de sauce tomate ? Comment je vais faire pour aider ma fille à faire ses devoirs ? Toutes les grandes angoisses, comme, je ne vais plus voir mon visage, ou la beauté du monde passent en revanche au second plan. 

Il faut tout réapprendre à l'âge adulte ?

Il faut se réinventer. Et ça, c'est le côté très très positif. Beaucoup de films qui tournent autour du handicap sont souvent un peu dramatiques. Là, ce n'est pas ce qu'on a voulu faire. On a voulu montrer que je suis comme tout le monde. J'ai une vie avec plein de choses, avec des moments positifs, des moments négatifs. C'est une vie qui est aussi surtout très joyeuse. Ce côté, je suis obligé de me réinventer, c'est un truc auquel on est tous confrontés. C'est un moment qui peut arriver à plein de personnes et ça parle de ça. 

Vous avez totalement réussi. Comment est née cette idée de fiction ? 

Moi, j'avais fait un documentaire qui a abordé la question des parents solos aveugles parce que mon frère élevait seul son enfant. Il est aveugle. Des questions se posaient sur sa manière d'assurer sa sécurité ? Comment fait-il pour faire les courses ? Comment fait-il les devoirs, etc. ? Il y a un vrai sujet là-dedans, donc j'en ai fait un documentaire. Notre productrice a vu le documentaire et elle a tout de suite dit : Il faut en faire une fiction, parce qu'il y a un ressort de suspense en fait. Humainement, c'est très riche. Je me réinvente, je repars sur une nouvelle vie avec plein de choses nouvelles. C'était ça qu'on voulait montrer. 

La déficience visuelle  touche 1, 7 million de personnes en France. Vous voulez montrer à travers cette fiction qu'il est possible d'élever ses enfants seule malgré son handicap. Finalement, c'est un message d'espoir pour tous les parents qui sont dans cette situation. Parce que vous dénoncez une présomption d'incapacité pour les parents non-voyants

Déjà, je voudrais qu'on repense un peu le vocabulaire. Moi, je ne suis pas déficiente visuelle. Je suis aveugle. Ensuite, effectivement, ce n'est pas propre au handicap visuel, c'est valable sur toutes les situations de handicap. On a ce regard, et quand je dis on, c'est tout le monde.

"On a grandi avec ces préjugés-là, avec ces regards très négatifs. C'est ça qu'on raconte dans le film, regardons nous en face !"

Anne-Sarah Kertudo , scénariste

à franceinfo

On a ce regard-là sur les personnes en situation de handicap. Tout le monde, nous tous. Et ce n'est pas du tout accusateur. C'est l'histoire de la France et c'est ça qu'il faut faire changer aujourd'hui. C'est ça qu'on veut faire bouger. 

Quand on a un handicap, c'est ce qu'on voit aussi dans le téléfilm, il faut être une mère parfaite. On n'a pas le droit à l'erreur. 

Oui, il y a une exigence, et notamment devant les tribunaux, effectivement, il faut tout prouver. Tout est à interroger. Est-ce que vous allez être capable d'amener vos enfants à l'école ? Je suis aussi fondatrice de l'association Droit Pluriel qui répond à toutes les personnes en situation de handicap sur leurs droits. Nous avons des parents qui se retrouvaient mis en accusation simplement parce qu'ils se baladaient dans la rue avec leur enfant. Pourquoi un enfant est plus en danger avec un parent aveugle qu'avec un parent qui va être, je ne sais pas, alcoolique, violent ?

Le travail c'est un autre sujet absolument essentiel dans la fiction. L'héroïne du téléfilm est en quelque sorte rétrogradée de son entreprise. Il y a une triple peine. Comment cela s'est passé pour vous à ce niveau-là ? 

Pour moi le travail ça s'est extrêmement bien passé, mais je ne représente pas toutes les situations. Moi j'ai eu énormément de chance parce que d'abord je venais d'un milieu socio éducatif, culturel privilégié. J'ai eu la chance d'avoir une famille extraordinaire, d'avoir des amis qui étaient là. Moi j'ai eu tout pour moi donc ça s'est très bien passé. 

Sauf que vous vouliez être avocate et que vous n'avez pas pu. 

Oui, effectivement, parce que le handicap ! Je ne vais pas vous raconter toute l'histoire parce qu'elle est dans un livre que j'ai écrit et qui s'appelle Est-ce qu'on entend la mer à Paris ou dans un autre livre qui s'appelle Anne-Sarah K dont l'auteur Mathieu Simonet a fait un procès à l'université. C'était étrange que je me sois, comme ça, plantée aux multiples reprises au concours d'avocat. Finalement, à l'issue de ce procès, il a montré qu'il y avait une discrimination. Effectivement, je n'avais pas été traité comme les autres.

Il y avait un H comme handicap. 

Oui, et ma copie avait été mise à part. 

La comédienne qui joue le rôle principal Camille Goudou est aveugle, c'était une condition sine qua none ?

Pardon, je vais vous embêter. Mais elle n'est pas aveugle, elle est malvoyante, ça veut dire qu'elle voit. Elle est malvoyante et surtout comédienne. Elle est extraordinaire et c'était important qu'elle soit malvoyante parce qu'on ne s'invente pas en situation de handicap. Si vous avez un personnage noir. Vous n'allez prendre un blanc et le peindre noir !  Sur une personne en situation de handicap, vous avez un personnage qui est aveugle. Il faut prendre quelque chose, un personnage, un comédien, une comédienne en l'occurrence, qui connaît ça dans son corps. 

Retrouvez cette interview en vidéo : 

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