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Naoto Matsumura, le dernier homme de Fukushima

Depuis deux ans, depuis le tsunami et l'accident nucléaire au Japon, ce fermier refuse de quitter la zone interdite autour de la centrale. Il s'est donné une mission : nourrir les centaines d'animaux abandonnés.
Article rédigé par Jean Leymarie
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
  (©)

Des centaines de bêtes sont
abandonnées : des chiens, des chats, mais aussi des cochons, des vaches, des
poules et même une autruche... Il y a deux ans, quand la population a dû fuir
la zone de Fukushima, elle a tout laissé derrière elle, y compris les animaux.

Un seul homme est resté : Naoto Matsumura. Il a 52 ans.

Il est fermier. Il
habite la commune de Tomioka. Avant la catastrophe, il vivait dans ce qu'il
appelle "la plus belle région du monde", entouré par la mer, la
montagne et la forêt. Le 21 mars 2011, dix jours après l'accident, les
autorités ont ordonné aux habitants de quitter la zone. Matsumura a refusé. Il
ne voit pas pourquoi il déménagerait. Sa famille habite ici depuis cinq
générations.

Le journaliste Antonio
Pagnotta est allé le voir plusieurs fois. Il l'a pris en photo. Les clichés ont
fait le tour du monde. Aujourd'hui, deux ans après le tsunami, le reporter
publie un livre pour raconter la vie de ce Japonais ("Le dernier homme de
Fukushima", Don Quichotte). Il nous emmène là où personne n'a le droit
d'aller, dans cette zone de vingt kilomètres autour de Fukushima. Il nous
raconte en détails le quotidien de Matsumura. Après la catastophe, le fermier a
commencé une vie d'ermite, sans eau et sans électricité. Il a appris à s'éclairer
à la bougie. Pour se nourrir, il consomme parfois des produits locaux mais
depuis quelques mois, il privilégie les colis que des Japonais lui envoient. Il
mange des nouilles lyophilisées. Ca ne l'empêche pas d'être contaminé, peu à
peu : "je suis un irradié, dit-il. Je pisse et je chie le césium. Je dors
et je mange dans la radioactivité".

Pourtant, il refuse de
bouger. C'est une question de principe. Matsumura pense que s'il quitte la
zone, il deviendra un paria, comme les anciens habitants de la région. Les
familles qui ont dû fuir sont souvent mal vues. Elles vivent dans des logements
provisoires. Pour le dernier homme de Fukushima, "il vaut mieux être mort
que subir la ségrégation". Régulièrement, il dénonce Tepco, l'opérateur de
la centrale, son ennemi juré, l'entreprise qui a bouleversé sa vie. Au début,
les médias japonais hésitaient à l'écouter. Aujourd'hui, au contraire, le
fermier apparaît comme une icone. C'est aussi grâce à son combat pour les
animaux de Fukushima. Quand le gouvernement japonais a voulu abattre les vaches
encore présentes dans la zone, Matsumura s'y est opposé. Il veut continuer à
nourrir les bêtes, jour après jour. Il y passe des heures, seul. Des
associations récoltent des fonds afin de l'aider. Pour Antonio Pagnotta, le journaliste qui
l'a suivi, Matsumura est devenu "le maitre d'une ville irradiée dans un
monde éteint".

 

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