L'info de l'histoire : la Nouvelle-Calédonie entre violence et paix

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Article rédigé par Fabrice d'Almeida
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Un pont tenu par le FLNKS près de Thio le 29 novembre 1984, au début d'un cycle de violences entre loyalistes et indépendantistes sur l'archipel (GABRIEL DUVAL / AFP)

Cette semaine, la Nouvelle-Calédonie s’est embrasée. La violence et la paix ne cessent d’alterner sur ce territoire depuis que la France en a pris possession, en 1853. Certes, à ce moment, les choses se passent plutôt pacifiquement. Les Kanaks avaient déjà été en contact avec des missionnaires et avaient embrassé pour certains le christianisme. Et de plus les premiers colons sont peu nombreux.

Pour renforcer la population, l'idée nait dix ans plus tard de créer un bagne dans ce territoire lointain. Opposants algériens, détenus de droit commun et surtout communards s’y retrouvent. Certaines tribus kanaks s’allient avec les nouveaux venus, d’autres les rejettent. Au prétexte de la mise en valeur du sol et de la protection de leurs droits, les Kanak sont cantonnés dans des réserves supposées correspondre à leur sol coutumier, en réalité des espaces restreints.

La tension monte entre colons et indigènes. Elle explose en 1878. Le chef de tribu Ataï fédère plusieurs villages et groupes et lance une offensive contre les colons, suivie de plusieurs massacres. L’armée, ses auxiliaires kanaks et même des bagnards mènent la contre-offensive. Ataï est tué par un Kanak qui découpe sa tête comme trophée. Elle sera envoyée en France pendant plus d’un siècle avant d’être rendue aux siens.

La répression s’abat sur les indigènes, la domination coloniale bat son plein. Cette paix forcée dure jusqu’à la Grande Guerre. La France fait alors miroiter de possibles attributions de citoyenneté contre des engagements dans l’armée, mais elle ne change pas le code de l’indigénat qui ne donne pas une vraie citoyenneté aux Kanaks.

La Seconde Guerre mondiale entraîne des changements plus substantiels

L’archipel choisit la France libre en 1940. Surtout, en 1942, les Américains y installent une base stratégique dans la guerre du Pacifique. La puissance française est remise en question et les soldats de l’Oncle Sam dépensent des dollars sans compter en payant aussi bien les vieux colons caldoches que les indigènes. Les Kanaks entrent vraiment dans l’économie de marché avec un autre modèle de citoyenneté. De fait, après 1945, les Kanaks obtiennent progressivement le droit de vote et commencent à exprimer leur voix en politique. D’autres groupes viennent s’installer sur "le Caillou", tels des pieds-noirs après la fin de la guerre d’Algérie. Caldoches et nouveaux arrivants confluent vers le parti créé par Jacques Lafleur en 1977, le RPCR, version locale du RPR de Jacques Chirac. Pour eux, la colonisation a fait progresser le pays et rien n’est dû aux anciens occupants du territoire.

À l’inverse, les Kanaks victimes de la colonisation pensent venue l’heure de l’indépendance, comme leurs voisins des Nouvelles-Hébrides ou des Fidji. Ils organisent un mouvement indépendantiste comme les Antillais et les Corses, avec lesquels ils correspondent, et créent en 1984 le FNLKS. Ce dernier organise le gouvernement provisoire de Kanaky cette même année. Blocages, barrages, la situation ressemble à ce qui se passe sous nos yeux aujourd’hui. Tirs, morts, état d’urgence, envoi de troupes… Le drame culmine en 1988, entre les deux tours de l’élection présidentielle. La répression absurde, décidée par Bernard Pons et Jacques Chirac, d’une prise d’otages dans la grotte d’Ouvéa entraîne la mort de 19 indépendantistes et de deux gendarmes. Cela montre l’abîme où le territoire peut tomber. Juste après, à l’initiative de Michel Rocard, les responsables des deux parties se retrouvent pour négocier et finissent par signer les accords de Matignon et de la rue Oudinot, qui ouvrent un chemin vers la paix. Jacques Lafleur pour le RPCR et Jean-Marie Tjibaou pour le FNLKS ont négocié 15 jours pour y parvenir. L’accord repose sur un pardon réciproque, le gel du corps électoral et des votes d’autodétermination renvoyés dix ans plus tard. Le but est que les deux groupes finissent par former un peuple, au fil du temps. Et que soient corrigées les inégalités de la colonisation. Les Kanaks obtiennent ainsi la gestion d’une partie du nickel.

Ainsi l’indépendantisme progressait lentement. Malheureusement, le gel du corps électoral a été remis en cause car de nouvelles personnes sont venus s’installer sur le territoire. En voulant leur accorder le vote aux élections locales, l’équilibre a été rompu. Les Kanaks ont l’impression que l’horizon de naissance de leur pays s’éloignent, sans concertation. Il faut donc redonner un cadre qui puisse les rassurer et obliger les acteurs locaux à chercher un consensus. Sinon, la violence risque de s’installer. Et l’ensemble du peuple calédonien en souffrira.

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