"AG du futur" : "Les spectateurs d'un soir vont se glisser dans la peau d'actionnaires", explique la fondatrice
Prophil, société de recherche et de conseil en stratégie, organise la deuxième édition de l’AG du futur, mardi 6 février au théâtre des Variétés, à Paris. Il s'agit d'une conférence-spectacle, sous la forme d'une assemblée générale, qui interroge le rôle des entreprises et celui des actionnaires.
Geneviève Ferone Creuzet, cofondatrice du cabinet de conseil Prophil et de l’AG du futur, affirme qu'il est "évident" que les petits actionnaires ont un pouvoir qu'ils ignorent. Et elle espère avec cette initiative leur faire comprendre "qu'ils sont actionnaires, qu'ils ont des intérêts à défendre et à réfléchir autrement".
franceinfo : Pourquoi, selon vous, faut-il faire de la pédagogie autour des assemblées générales ?
Geneviève Ferone Creuzet : Les assemblées générales d'actionnaires, c'est du théâtre, c'est des postures, donc on s'est dit "pourquoi pas en détourner les codes ?". On a donc créé une entreprise complètement fictive qui s'appelle Mirliton, un beau fleuron de l'agroalimentaire, familial et coté en bourse, comme ça, on se met toutes les contraintes. Cette entreprise n'existe pas, mais, à travers un script extrêmement exigeant, on va faire en sorte de poser des questions sous forme de résolutions aux spectateurs, qui sont les actionnaires. Donc les spectateurs d'un soir vont se glisser dans la peau d'actionnaires de cette entreprise, ils vont épouser sa légende et au moment de voter, ils vont se dire : "Est-ce que je vote pour ou contre ?" Et on les amène à réfléchir.
"Effectivement, c'est une assemblée générale d'actionnaires fictive, mais très pédagogique."
Geneviève Ferone Creuzetsur franceinfo
Parce que l'intérêt de l'"AG du futur", c'est de les amener à se poser des questions et à sortir de cette idée selon laquelle les actionnaires sont une masse informe de personnes qu'on ne connaît pas, qui sont lointaines, hors sol.
Les actionnaires, notamment les petits actionnaires, ont-ils un pouvoir qu'ils ignorent ?
Bien sûr, c'est évident. On oublie toujours que les actionnaires vivent la même vie que nous. Donc on va leur redonner du pouvoir en allant les chercher et on espère qu'ils vont comprendre, parce qu'ils sont actionnaires, qu'ils ont des intérêts à défendre, qu'ils ont intérêt à réfléchir autrement, à penser autrement, où mettre leur argent et quoi faire de leur argent.
Vous dites qu'il faut rentrer dans l'ère de la post-croissance. Qu'est-ce que ça signifie ?
La post-croissance, c'est assez simple, c'est simplement se coltiner le réel. Le réel, c'est qu'on a fait à peu près n'importe quoi, au-delà des limites planétaires. On a emballé le climat, on est dans des situations extrêmement tendues sur l'eau, sur le cycle du phosphore, de l'azote, des personnes vivent de façon indigne, on n'est pas sûr de garantir l'accès aux services essentiels. Donc la post-croissance, c'est vraiment atterrir à partir de la dette qu'il faut purger et reconstruire un nouvel imaginaire, mais un nouvel imaginaire qui ne soit pas une pensée magique, quelque chose qui soit tangible. Donc la bonne croissance, c'est entreprendre dans un monde écologiquement et socialement juste.
Il y a quand même des résolutions qui concernent l'action climatique des entreprises, mais, selon vous, les actionnaires les votent sans savoir de quoi ils parlent ?
En fait, je me demande parfois s'ils ne votent pas sans savoir, sans avoir vraiment des connaissances approfondies sur ce qui est en train de se passer. Je pense qu'il faut les sortir de ce rôle passif parce qu'ils votent à travers des intermédiaires. Ce sont des intermédiaires en fait, qui leur disent comment voter.
Des intermédiaires qui leur disent comment voter, en fonction du dividende et non en fonction de l'intérêt général ?
On leur dit comment voter en fonction du dividende qu'ils pourraient toucher à court terme et sous un angle uniquement financier. Nous, on les amène à penser dans une dimension sociale et environnementale, et à intégrer des enjeux de moyen et long terme. On leur dit "attention, la valeur de demain, ce n'est pas cette valeur de court terme que vous pensez avoir, elle va vous glisser entre les doigts".
Selon une lettre financière, les entreprises du CAC40 ont rendu à leurs actionnaires 97 milliards d'euros en 2023, un record. Donc finalement, les actionnaires ont raison de continuer à voter comme ils le font, ça leur apporte de l'argent ?
Encore une fois, ils ont raison à court terme. Et encore, quand on dit les actionnaires, on pense sûrement à des grands actionnaires institutionnels, à des grands fonds de pension. Et ces grands fonds de pension, ils sont aussi pris en tenaille, ils doivent donner aussi de l'argent à des retraités à l'autre bout du monde. Et donc on voit bien que ce système marche sur la tête.
"Si on réfléchit, l'intérêt de tous, c'est de revoir ce qui va créer la valeur de demain et ce n'est certainement pas cette fuite en avant climatique et sociale."
Geneviève Ferone Creuzetsur franceinfo
Donc se réapproprier un peu de pouvoir en se posant les bonnes questions, en s'informant et surtout en se posant cette question qui est centrale : Est-ce qu'on va être de bons ancêtres ? Parce que ce qui se joue, c'est l'économie de demain.
Avec ce discours que vous appelez post-croissance, est-ce que vous n'avez pas peur de faire fuir les grands groupes dans des pays où on se pose moins de questions ?
Ce qui est sûr, c'est que ce sujet est politique, très clairement. Mais je ne vois pas comment on va pouvoir l'éviter. Demain, dans un monde où la température globale aura monté de quatre degrés, la question des dividendes ne se pose absolument plus. Donc, c'est aujourd'hui qu'il faut investir. Un peu comme vous le savez, nos arrière-grands-parents investissaient.
"Au début le capitalisme n'était pas une rente, c'était prendre un risque."
Geneviève Ferone Creuzetsur franceinfo
On veut renouer avec cette culture du risque, c'est pour ça qu'on dit "post-croissance" et pas "décroissance". On se coltine le réel, on renoue avec des inventions, du progrès, mais on réencastre le progrès dans les limites planétaires et c'est ça qui fera la valeur demain. Donc aujourd'hui, on est dans un monde qui est réellement celui où on est, dans un crépuscule, et où on prépare l'avenir. C'est pour ça que ça s'appelle l'AG du futur.
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