Arrêts-maladies : "Il est difficile de montrer l'existence de comportements frauduleux", explique l'économiste de la santé Nicolas Da Silva

Nicolas Da Silva, économiste, spécialiste de la santé et de la protection sociale, était l'invité éco de franceinfo lundi 28 octobre. Il répondait aux questions de Camille Revel.
Article rédigé par franceinfo, Camille Revel
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Quand ils sont en arrêt-maladie, les salariés du privé ont 3 jours de carence, le gouvernement envisage d'allonger ce délai à 5, 6, voire 7 jours. Photo d'illustration. (RICHARD VILLALON / MAXPPP)

Alors que le budget de la Sécurité sociale arrive dans l'hémicycle, les députés continuent d'examiner le budget en commission des finances. Le gouvernement en a détaillé une nouvelle partie. Nicolas Da Silva, économiste et maître de conférences à l'université Paris XIII, spécialiste de la santé et de la protection sociale qui a signé La bataille de la Sécu, une histoire du système de santé aux Éditions La Fabrique, éclaircit le sujet.

franceinfo : Le gouvernement vient de l'annoncer. Il veut durcir l'indemnisation des arrêts maladie des fonctionnaires en passant à trois jours de carence, réduisant l'indemnisation à 90 % de la rémunération. Il dit que c'est pour lutter contre l'absentéisme dans la fonction publique. Est-ce qu'il a le bon diagnostic et est-ce qu'il a les bons remèdes ?

Nicolas Da Silva : Le récit du gouvernement est celui d'un dérapage des dépenses publiques. L'idée, c'est de dire que ces dernières années, les dépenses publiques auraient augmenté de façon exagérée. Maintenant, il faut reprendre le contrôle sur ce dérapage non contrôlé. C'est pour ça qu'il propose de faire tout un tas d'économies, notamment sur les arrêts-maladies du public, mais aussi du privé. Or, ce que montrent les rapports publics, notamment la Cour des comptes, c'est que l'une des principales raisons pour lesquelles il y a un déficit de la Sécurité sociale, c'est parce qu'il y a eu une politique "des caisses vides". C'est-à-dire que les recettes qu'on pouvait attendre plus importantes sont moins importantes.

Le rapport de la Cour des comptes du mois de juillet explique que le manque à gagner en 2023, c'est 62 milliards d'euros. Donc là, ce qui se passe, c'est que le gouvernement pointe le doigt vers certaines dépenses sans qu'on sache véritablement si c'est justifié de le faire. Mais dans le cas de l'assurance qui couvre les indemnités journalières, ce que montrent les études, c'est qu'il n'y a pas vraiment de problème, ni d'abus. Il est vrai qu'il y a des augmentations, mais elles sont légitimes et c'est ça l'enjeu. Et dans le cas des arrêts-maladies, mais comme dans d'autres cas, en ce qui concerne notamment le système de santé, il est difficile de montrer l'existence de comportements frauduleux.

Mais il y a un déficit de la Sécurité sociale qui arrive à 18 milliards cette année.

Forcément, quand on annonce ce chiffre sans contextualiser, ça dramatise un peu la situation. Or, quand on regarde le rapport à la commission des comptes de la Sécurité sociale, les déficits sont liés à des recettes moins importantes qu'attendu, parce qu'il y a une politique délibérée. C'est la politique, notamment des exonérations de cotisations sociales, des déductions d'assiette sur les cotisations sociales qui peuvent s'élever à environ 100 milliards d'euros par an. Donc, quand on compare 100 milliards à 18 milliards, on se dit que peut-être que c'est là qu'il faut aller voir et peut-être un peu moins du côté des arrêts-maladies.

Il y a aussi d'autres choses dans ce rapport qui sont assez étonnantes. C'est notamment le fait qu'il y a eu des nouvelles dépenses qui n'ont pas été financées, comme le Ségur de la Santé. Il coûte environ 13 milliards d'euros par an. C'est essentiellement des mesures de rémunération pour les personnels et c'est ce qu'avait dit le président de la République "Il faut mieux rémunérer les personnels de santé", sauf que finalement, il n'y a pas eu de recettes nouvelles.

Si vous étiez Premier ministre ou ministre des Comptes Publics ou de la Santé, que feriez-vous pour le budget de la Sécurité sociale ? Ce serait quoi la priorité selon vous ?

Je pense que mon avis personnel ne compte pas. Mais on peut se nourrir de ce qui existe parmi d'autres économistes qui ont ce type de réflexion. En fait, si on considère que les dépenses sont légitimes, par exemple, parce que la population vieillit, est de plus en plus malade, ou plus nombreuse, alors il faut trouver des recettes. Ces recettes, on peut les trouver. Des économistes se sont intéressés à cette question, notamment en revenant progressivement sur les exonérations de cotisations sociales dont on sait qu'elles ont des effets assez limités sur le niveau de l'emploi. C'est d'ailleurs ce que dit le communiqué de l'intersyndicale qui a été publié la semaine dernière, qui explique qu'il faut que les entreprises apprennent à être désintoxiquées des exonérations de cotisations sociales.

Les entreprises, et notamment le patron des patrons, Patrick Martin, n'en veulent pas de cette baisse des exonérations patronales. Il y en a 4 milliards qui sont prévus dans le budget de la Sécu. Ça va créer des centaines de milliers de destructions d'emplois, dit le MEDEF.

C'est ce qu'il a intérêt à dire. Mais ce n'est pas ce que montrent les études qui se sont accumulées ces dernières années et pas uniquement par des économistes critiques. Elles permettent de montrer qu'en fait, les réductions des exonérations de cotisations sociales ne sont pas très efficaces. En plus, on n’est pas capable de le démontrer, mais on pense qu'elles créent, des formes de trappe à bas salaires. Elles coûtent très cher aux finances publiques, parce qu'à chaque fois que le SMIC augmente, ça coûte cher pour les finances publiques. Puis, il y a d'autres économistes, par exemple, mon collègue Clément Carbonnier, qui disent qu'une autre politique de l'emploi est possible, qui consiste à dire que les entreprises, ont besoin d'abord de services publics efficaces et des travailleurs en bonne santé. C'est ce que dit aussi, par exemple, la note du pôle économique de la CGT, qui explique, comme d'autres syndicats, qu'il est temps de revenir sur ces politiques.

Sur la question des arrêts-maladies des fonctionnaires. Le raisonnement, c'est "on va s'aligner sur ce que fait le privé". Est-ce que la comparaison a du sens ?

La comparaison, elle a du sens, mais il faut comparer des choses comparables. Tout d'abord sur les droits, ils ne sont pas tout à fait comparables puisqu'il y a déjà un jour de carence pour les fonctionnaires. Il y en a en théorie trois pour les salariés du privé. Mais en fait, dans la plupart des conventions collectives et des accords d'entreprise, c'est l'entreprise qui paye. On a de l'ordre de 60 à 70 % des gens qui ont zéro jour de carence dans le privé. D'ailleurs, dire ça, c'est monter les salariés du privé contre les fonctionnaires. 

"Les études qui existent montrent qu’effectivement, ces dernières années, il y a eu une augmentation du nombre de jours d'arrêts-maladies pour les salariés du privé, et pour les fonctionnaires. Mais que ces augmentations ont des explications très concrètes qui sont loin de l'idée d'opportunisme."

Nicolas Da Silva, économiste

à franceinfo

Le gouvernement se base sur un rapport de l'IGAS, l'Inspection générale des affaires sociales, réalisée dans le cadre de la revue de dépenses, réclamé par l'ancien Premier ministre Gabriel Attal. On y lit que le nombre de jours d'absence dans la fonction publique, c'est 15 milliards. En 2022, il a augmenté de 80% entre 2014 et 2022 a annoncé Guillaume Kasbarian. Ce sont les chiffres bruts. Quelles sont les causes ?

C'est d'abord le vieillissement de la population. Les gens sont plutôt plus vieux, et sont donc plutôt plus malades. Les causes vont être aussi liées, quand on regarde les différences entre le public et le privé, a des différences de composition des professionnels. Les gens qui travaillent dans le privé n'ont pas du tout le même profil que les gens qui travaillent dans le public. Par exemple, dans le public, les gens sont plutôt plus âgés et donc c'est normal qu'ils soient plus malades. Par exemple, ils ont plus souvent un dispositif qui s'appelle le dispositif d'affection longue durée. Et donc ça signifie que s’ils sont plus malades, et si on reconnaît déjà qu'ils sont plus malades, c'est normal qu'ils soient plus arrêtés. Il y a aussi une plus grande féminisation dans le public et on sait que les arrêts sont associés au fait d'être une femme, parce que la femme s'occupe des enfants et de tout un tas d'autres choses, ce qui rend plus difficile le travail.

Alors, c'est un levier de prévention qu'il faut mettre en place pour qu'il y ait moins d'arrêts-maladies ? Est-ce que ce levier, qui est celui finalement de l'incitation financière, n'est pas le bon ou est-ce que c'est une question de philosophie finalement ?

Ça dépend ce qu'on veut faire. Il n'est pas le bon, si l'objectif est un objectif de santé publique, de bien-être au travail. Il est le bon si on veut faire des économies. C'est comme avec les médicaments. Si on rembourse moins bien les médicaments, les gens achètent moins de médicaments. Ça ne veut pas dire qu'ils n'ont pas été malades. Mais les arrêts-maladies, c'est pareil. C’est-à-dire qu'avec des mesures telles qu'elles sont prévues dans le public et dans le privé, forcément, il y aura des économies qui seront faites. Mais est-ce que ça veut dire que la qualité de vie au travail sera améliorée ? Pas du tout. Est-ce que ça veut dire qu'on aura réussi à endiguer une forme d'abus ? Pas du tout. Parce que les études montrent quoi ? Que quand on augmente les difficultés pour accéder aux arrêts-maladies, c'est que les gens, en effet, prennent moins d'arrêts, mais quand ils les prennent, ils sont plus longs. Ça signifie que probablement leur état s'est dégradé.

Quelles seraient les bonnes solutions selon vous ?

À mon avis, encore une fois, il faut se poser la question : est-ce que cette dépense est légitime ? Et si elle est légitime, alors tout simplement, il faut décider de la financer. Et c'est la même chose avec toutes les dépenses sociales et tous les objectifs d'une politique publique. C'est : est-ce que ç'a du sens de faire ça ? Et si ç'a du sens, alors il faut trouver des financements qui vont en face.

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