Budget 2025 : "Le désendettement de la France ne pourra pas se faire sans un effort des retraités aisés", selon un spécialiste des questions sociales

Antoine Foucher, également ancien directeur de cabinet ministériel, approuve le gel des retraites pour six mois décidé par le gouvernement, rappelant "qu'en moyenne, les retraités ont un niveau de vie supérieur à ceux qui travaillent".
Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Antoine Foucher, spécialiste des questions sociales, ancien directeur de cabinet ministériel et auteur du livre Sortir du travail qui ne paie plus, aux Editions de l'Aube. (RADIO FRANCE)

Avec 60 milliards d'euros d'effort au total à effectuer en 2025, Michel Barnier a annoncé, mardi 1er octobre, que deux tiers devaient porter sur les dépenses publiques et un tiers sur la fiscalité. Le Premier ministre a énoncé que l'effort serait porté par les très grandes entreprises, qui réalisent des profits importants, et par les Français les plus fortunés.

Antoine Foucher, aujourd'hui à la tête du cabinet de conseil RH Quintet, est un spécialiste des questions sociales et ancien directeur de cabinet de la ministre du Travail Muriel Pénicaud, entre 2017 et 2020. Pour lui, le désendettement de la France ne pourra se faire demander un effort aux retraités les plus aisés.

franceinfo : Bercy annonce aujourd'hui que les pensions de retraite seront indexées sur l'inflation non pas au 1er janvier, mais au 1er juillet prochain, six mois plus tard, ce qui va générer 4 milliards d'euros d'économies. Qu'est-ce que ça envoie, selon vous, comme signal ?

Antoine Foucher : C'est le début d'une prise de conscience du poids des retraites dans notre endettement. Parce que ces retraites représentent aujourd'hui 14% du PIB, la revalorisation de l'année précédente a représenté 20 milliards d'euros de dépenses supplémentaires.

"Pour bien se rendre compte, la revalorisation précédente des retraites, c'est comme si on avait augmenté l'ensemble des enseignants en France de 30%."

Antoine Foucher, spécialiste des questions sociales

à franceinfo

Donc c'est absolument considérable. 20 milliards d'euros, c'est aussi, par exemple, deux fois le budget du ministère de la Justice, donc c'est énorme. Et donc, le fait de, non pas désindexer ces pensions de retraite, mais de demander un tout petit effort en revalorisant un peu plus tard, c'est le début, je pense, d'une prise de conscience. L'ajustement des finances publiques et le désendettement ne se feront pas et ne pourront pas se faire sans demander un effort aux retraités, au moins les plus aisés, et pas un effort ponctuel, un effort durable.

Vous pensez que c'est bien que le gouvernement Barnier demande aujourd'hui un effort aux retraités ?

Oui, c'est bien et ce n'est pas fini. La vérité, c'est que ce n'est pas fini parce qu'encore une fois, les retraites représentent presque 400 milliards d'euros dans les dépenses publiques. C'est 25% de nos dépenses publiques. Donc si on veut ajuster, de toute façon, on sera obligé de demander un effort et un effort durable. Là, il n'est pas dit que chaque année, désormais, l'indexation se ferait le 1er juillet.

D'ailleurs rien n'oblige à indexer les pensions de retraite, ce n'est pas automatique. Comme le smic, c'est un choix politique.

C'est dans la loi, mais c'est un choix, et la loi, ça se change. Donc c'est un choix politique. Et il faut juste avoir en tête que, pour la première fois de l'histoire, en moyenne, les retraités ont un niveau de vie supérieur à ceux qui travaillent.

Donc il faut corriger ça ?

Il y a plus de logique à demander un effort à ceux qui ont le plus, c'est-à-dire à la majorité des retraités qu'à la majorité des travailleurs. Même si c'est compliqué électoralement.

D'ailleurs, il ne l'a pas dit hier.

Effectivement, mais durablement, on sera obligé de solliciter une partie des retraités, peut-être pas tous, parce qu'il y a des petites retraites qu'il faut revaloriser, et que ces personnes ont besoin de cette revalorisation.

Il faut désindexer ?

"Il faut désindexer au moins partiellement, pendant plusieurs années, sur certaines retraites."

Antoine Foucher, spécialiste des questions sociales

à franceinfo

Après, la question est de faire un choix entre une désindexation totale, à zéro ou par exemple à une inflation -1% ou -0,5%… Est-ce qu'on prend en compte tous les retraités, ou 50% des retraités, ou les 20% des retraités les plus aisés ? Si on prend 20% des retraités les plus aisés, c'est intéressant parce que le seuil est à 2 000 euros. Et 2 000 euros, c'est le salaire médian. Ce qui veut dire que ce sont des personnes qui gagnent plus à la retraite que les gens qui gagnent leur argent en travaillant.

D'ailleurs, pour que le travail paye mieux, le smic est réévalué de 2% dès le 1er novembre - au lieu de janvier prochain. Ça, c'est une bonne nouvelle ?

Oui, mais là aussi, ce sont des choses qui devaient être faites, qu'il fait soit plus tard, soit plus tôt. Donc c'est une manière de faire un geste pour le smic sans que ça coûte plus cher, tout en permettant de dire qu'il a fait quelque chose. Mais c'est plus de la communication.

Mais ça va coûter de l'argent aux finances publiques, les fonctionnaires, le point d'indice, les fonctionnaires territoriaux...

Certes mais ça va coûter majoritairement aux entreprises, sur deux mois de plus. Mais la question, c'est qu'il faut que le travail paye mieux, or le smic, c'est 17% des salariés, alors qu'est-ce qu'on fait pour les 83% qui restent ? Donc on voit bien qu'il marche sur des œufs. Et sur les retraites comme sur le smic, ce sont des petites mesures qui sont symboliquement efficaces mais, disons la vérité, qui ne changeront pas grand-chose à la vie des Français.

Un autre chantier un peu complexe concerne les exonérations de cotisations, faut-il les garder ou faut-il les répartir différemment pour les rendre plus efficaces? Un rapport va être remis demain au gouvernement, il avait été commandé par le précédent gouvernement Attal, pour "désmicardiser la France". Là, si on revoit un petit peu le chantier des exonérations de cotisations sur les salaires, ça peut faire augmenter le net?

Ça peut rendre les augmentations par les entreprises moins difficiles. Aujourd'hui, quand vous augmentez quelqu'un de 100 euros, ça vous en coûte 238 et la personne, il lui en reste 61. Donc demain, si on "reprofile les exonérations", comme on dit techniquement, ça peut faire que pour donner 100 euros, ça n'en coûte plus 238 à l'employeur, mais 200. Mais du point de vue du salarié, ça ne changera rien, il aura toujours 61. Donc on diminue le problème, mais on ne résout pas le problème.

Michel Barnier a parlé de remède hier, avec un effort fiscal qui doit être demandé aux plus fortunés, aux entreprises également qui réalisent des profits. Est-ce que selon vous, il y a d'autres leviers fiscaux à activer aujourd'hui ?

Alors, si on veut que le travail paye plus pour tous ceux qui travaillent, les salariés, les fonctionnaires et les indépendants, à court terme, on n'a pas d'autre choix que de diminuer l'écart entre le brut et le net.

"Si on veut garder le même modèle social avec un travail qui paye davantage, il faut que ce qui est aujourd'hui supporté par les travailleurs soit demain supporté un peu plus par les rentiers, les héritiers et donc, les retraités."

Antoine Foucher, spécialiste des questions sociales

à franceinfo

Et donc, oui, ça suppose de revoir en partie notre système de financement de la protection sociale. Donc de demander d'avoir une augmentation légère des droits de succession au-delà de 500 000 euros nets de droits, d'avoir un gel temporaire des retraites pour les 20% des retraités les plus aisés, et de revoir la fiscalité des dividendes.

Donc il faut augmenter la fiscalité du capital ?

Personne ne dira que c'est plus facile de gagner son argent en travaillant que de gagner son argent en touchant des dividendes, donc il faut équilibrer.

Ce n'est pas facile politiquement.

C'est pour cela qu'on voit que le Premier ministre marche sur des œufs. Et peut-être que dans la situation où il est, on ne peut pas faire mieux.

Avec Emmanuel Macron au pouvoir, il y avait quand même toute une politique de l'attractivité autour d'une fiscalité qui ne bougeait pas. Donc c'est un peu facile, maintenant que vous êtes de l'autre côté, de dire qu'il faut augmenter la fiscalité, non ?

Non parce que c'est complémentaire à ce qui a été fait avant. En 2017, le sujet le plus important dans le pays, c'était réduire le chômage. Maintenant, on est arrivé à presque 7%. Et le sujet le plus important maintenant n'est plus le chômage, c'est le pouvoir d'achat. La situation a changé. Donc il faut changer les remèdes ou les solutions, mais ce n'est pas contradictoire, c'est complémentaire. Depuis 2017, il y a eu le triplement de l'apprentissage, la résolution du droit du travail, la création du CPF [compte personnel de formation], tout ça, il faudrait le refaire et plutôt deux fois qu'une, y compris l'attractivité avec le PFU à 30% [qui simplifie et d’allège la fiscalité de l’épargne]. Mais on est sept ans plus tard et sept ans plus tard, la solution, ça ne peut pas être la même qu'il y a sept ans.

Merci Antoine Foucher, vous êtes auteur du livre Sortir du travail qui ne paie plus, aux Editions de l'Aube.

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