Cryptomonnaies : "Avec plus de 2 000 milliards de dollars, elles pèsent dans l'économie mondiale", décrit Quentin Demé dans un livre de vulgarisation

Quentin Demé, économiste enseignant à la Sorbonne et à l'EDHEC et co-auteur de "100 mots pour comprendre les cryptomonnaies", est l'invité éco de franceinfo, vendredi 4 octobre.
Article rédigé par Sophie Auvigne
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7min
Quentin Demé, économiste et co-auteur, avec Kevin Ricoult, de "100 mots pour comprendre les cryptomonnaies", aux éditions Gereso. (RADIO FRANCE)

Quentin Demé, économiste et enseignant à la Sorbonne et à l'EDHEC, veut rendre simple ce qui échappe à une grande partie de l'humanité : les cryptomonnaies. Avec Kevin Ricoult, il tente de nous faire entrer dans le monde virtuel des bitcoins et autres ethers, grâce à leur livre 100 mots pour comprendre les cryptomonnaies, aux éditions Gereso.

franceinfo : La Banque de France nous répète que ces jetons virtuels ne sont pas des monnaies. Est-ce que vous auriez dû parler de crypto-actifs plutôt ?

Quentin Demé : Vous avez raison. On a suivi le diktat de la vulgarisation, on a préféré faire le choix de "cryptomonnaies".

"Techniquement, si je reprenais ma casquette d'économiste, on devrait dire 'crypto-actifs' car les cryptomonnaies ne correspondent pas aux trois règles de la monnaie que l'on connaît."

Quentin Demé, économiste et enseignant à la Sorbonne

à franceinfo

Dans votre livre, on parle du bitcoin, qui représente en gros la moitié des crypto-actifs. Il y a aussi l'ether, mais il y a encore beaucoup d'autres noms pour ces devises numériques.

Oui, complètement. Le grand public connaît surtout le bitcoin, l'ether, c'est pour ceux qui ont commencé à rechercher un peu. Tout le reste, ce sont des choses un peu vastes et compliquées et on a souhaité justement en pointer un certain nombre. Impossible d'en faire la liste tellement celle-ci est vaste, mais on a voulu présenter différents projets, différentes monnaies qui pourraient être intéressantes.

Quel poids ont ces actifs en dollars, ou en euros aujourd'hui ?

Plus de 2 000 milliards de dollars, c'est quelque chose dans l'économie mondiale qui pèse lourd.

Pour être encore didactique, on ne peut pas parler de ces devises sans évoquer la blockchain. Cette sorte de grand livre de comptes, vous validez la formule ?

Oui, quand on essaye d'expliquer ça, c'est toujours un peu difficile en quelques mots. 

"La blockchain est un peu comme un livre, dans lequel on pourrait renseigner un certain nombre d'informations et surtout les rendre infalsifiables et non modifiables par la suite."

Quentin Demé, économiste et enseignant à la Sorbonne

à franceinfo

Le caractère infalsifiable, est-ce que ça existe réellement dans notre monde ?

Oui, depuis la création des premières blockchains, on n'a pas eu d'expérience de blockchain falsifiée ou truquée. Donc aujourd'hui, en tout cas, l'expérience nous montre qu'elles le sont.

Les arnaques, en revanche, existent ?

Tout à fait. Souvent on fait l'erreur entre la blockchain qui aurait été piratée et le "projet". Ce sont deux choses assez différentes. La technologie de la blockchain, aujourd'hui, l'expérience nous montre qu'il n'a jamais été possible de "l'arnaquer", si je puis dire. En revanche, il y a beaucoup de projets qui ont connu des failles, que ce soit dans des contrats spécifiques, ou même des failles humaines, qui existent partout ailleurs.

Pour alléger un peu cette description, vous évoquez un monde fascinant, ludique, où on peut acheter du Vuitton, un terrain virtuel pour près de 2,5 millions d'euros, ou une œuvre d'art tout aussi immatérielle pour plus de 60 millions. Est-ce un grand club de loisirs ou bien est-ce vraiment l'avenir de notre système économique ?

C'est très vaste en fait, la cryptomonnaie est un faisceau assez limité par rapport à la pléthore de ce qui existe dans ce monde-là. Vous l'évoquiez, on peut acheter aujourd'hui à peu près tout ce qui existe en physique, mais en virtuel. Et puis grâce à la blockchain, c'est ça qui est vraiment intéressant, on arrive à tracer et à obtenir le phénomène d'unicité, qui n'existait pas sur Internet avant. À l'époque, si on envoyait un film, on pouvait le copier ou le partager sans qu'on sache même d'où il vient, ni qui avait la première version originale.

On dit le bitcoin assez stable. Est-ce qu'il s'est bien comporté pendant la période d'inflation ? Avec des conflits comme au Proche-Orient par exemple, qu'est-ce que ça donne ?

Elles sont très volatiles, elles dépendent beaucoup du marché et des tensions sur le marché. C'est d'ailleurs ça qui fait une vraie distinction par rapport aux monnaies qu'on connaît, et qui fait qu'il faudrait les appeler crypto-actifs et non cryptomonnaies.

"La volatilité est importante, il ne faut pas l'oublier."

Quentin Demé, économiste et enseignant à la Sorbonne

à franceinfo

On l'a vu notamment avec la crise du Covid il y a quelques années, la valeur du bitcoin a été divisée par deux, par trois, ce qui heureusement n'a pas été le cas sur les autres marchés financiers.

Ça fait peur quand on est investisseur. Depuis cet été, il y a un PER, un plan épargne retraite qui inclut ces actifs virtuels. Est-ce que ce n'est pas imprudent ?

Comme tout portefeuille, il faut réussir à diversifier, surtout dans une période d'inflation, pour essayer d'avoir un peu de rendement. Et pour avoir des intérêts assez intéressants, il faut avoir des offres plus risquées. On le connaît, ce fameux couple en économie : rendement-risque. Donc c'est l'intérêt aussi, sans pour autant faire 100% de son portefeuille sur ce genre d'actifs.

Pour stabiliser ces jetons virtuels, on les adosse par exemple encore à l'or, ce bon vieux métal. Est-ce que ça signifie que ces monnaies en sont encore à leur tendre enfance finalement ?

Oui, concrètement, si on les compare à toutes les monnaies qu'on connaît, que ce soit le dollar ou l'euro qui est plus récent, ces actifs sont des nouveau-nés par rapport aux autres, et donc elles ont encore beaucoup à apprendre de leurs grandes sœurs et elles ont encore beaucoup à faire pour se diffuser et se stabiliser, pour l'ensemble de l'économie.

Le problème tout de même aujourd'hui, c'est l'énergie nécessaire pour faire fonctionner cette fameuse blockchain dont vous parliez au début de cet entretien. Il y a énormément d'ordinateurs qui travaillent ensemble pour des calculs hyper puissants. On dit que c'est aussi coûteux pour la planète que la production de la viande de bœuf. Est-ce qu'on peut continuer comme ça ?

Alors non. C'est d'ailleurs un des enjeux les plus importants sur les cryptomonnaies aujourd'hui. On se demande comment réussir à gérer ce sujet écologique, et ce côté énergivore des cryptomonnaies. Aujourd'hui, il y a déjà des pistes qui sont assez intéressantes. Je pense notamment à la deuxième plus grande cryptomonnaie qui est l'Ethereum. Elle, elle utilise un autre format pour essayer de valider, ou pour essayer d'échanger tout simplement. Le bitcoin est sur un format assez énergivore, alors qu'Ethereum utilise beaucoup moins de puissance de calcul d'ordinateur et donc est beaucoup moins énergivore.

Comment cette énergie est-elle consommée ?

Pour faire très simple, pour valider les transactions entre vous et moi par exemple, il va falloir résoudre une équation mathématique si complexe que seul un ordinateur peut le faire. Cela se fait par une méthode où on va tenter tout un tas de solutions pour essayer d'atteindre cette solution de l'équation mathématique. Et c'est ça qui consomme beaucoup d'énergie.

Donc derrière les 100 mots, il y a aussi des équations mathématiques que vous nous aviez cachées. Merci Quentin Demé.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.