Grève SNCF : "Un très mauvais signal envoyé" à ceux qui utilisent le fret ferroviaire, selon l'Association française du rail

"Ce que les clients demandent pour transporter leurs marchandises, c'est de la fiabilité", réagit, mercredi, Solène Garcin-Berson, déléguée générale de l'Association française du rail, alors que des grèves sont attendues à la SNCF.
Article rédigé par Isabelle Raymond
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Solène Garcin-Berson, directrice générale de l'AFRA, le 20 novembre 2024. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

"Ce que les clients demandent pour faire transporter leurs marchandises, c'est de la fiabilité. Et des grèves, c'est leur envoyer un très mauvais signal", réagit mercredi 20 novembre Solène Garcin-Berson, déléguée générale de l'Association française du rail (l'AFRA, qui regroupe les opérateurs du rail, comme le français Transdev, l'italien Trenitalia, ou encore l'allemand DB Cargo), alors que les syndicats de la SNCF appellent à une grève d'une journée le lendemain, ainsi qu'à une grève illimitée à partir du 11 décembre.

L'un des motifs de l'appel à la grève lancé par les syndicats de cheminots, est la fin annoncée pour le 1er janvier 2025 de Fret SNCF, l'entreprise leader du fret ferroviaire en France. Celle-ci doit renaître sous la forme de deux sociétés distinctes, baptisées Hexafret pour le transport de marchandise et Technis pour la maintenance des locomotives. C'est le compromis trouvé entre la Commission européenne et l'entreprise ferroviaire. Les syndicats demandent un moratoire, ce que refuse le gouvernement.

franceinfo : Le gouvernement a-t-il raison, la SNCF n'a pas d'autre choix aujourd'hui que de démanteler le fret ?

Solène Garcin-Berson : Ce que les auditeurs doivent déjà bien comprendre, c'est que le plan de discontinuité qui peut être qualifié par certains de démantèlement ou de casse de Fret SNCF, en réalité, c'est un plan qui vise à sauver Fret SNCF de la faillite, si elle devait être condamnée à rembourser les 5,3 milliards d'euros d'aides illégales qu'elle a perçues.

Donc, de toute façon, la SNCF n'a pas d'autre choix ?

Pas le choix. Et si la Commission européenne, justement, risque de la condamner à ce remboursement qui la mettra en faillite, c'est parce qu'elle poursuit un objectif de développer le rail et un objectif qui est celui de doubler la part des marchandises qui sont transportées par le rail. Et ça, c'est un impératif écologique. Ce sont nos objectifs environnementaux qui l'imposent, il faut doubler cette part modale du transport de marchandises par train. La question aujourd'hui, c'est comment y parvenir ?

"Le démantèlement, c'est la solution qui a été envisagée pour justement donner de la rentabilité à un opérateur."

Solène Garcin-Berson

sur franceinfo

Ce que je veux rappeler et ce que je veux préciser ce soir, c'est que l'ouverture du marché du fret ferroviaire en France, elle s'est opérée à partir du milieu des années 2000. Et ça, ça a déjà commencé à permettre d'enrayer le déclin du fret ferroviaire qui lui avait débuté dès le milieu des années 70.

Donc, en gros, c'est le sens de l'histoire et c'est ce qui va permettre au fret de se développer et de devenir rentable. Donc ce que vous dites aujourd'hui aux syndicats de la SNCF, c'est que ce n'est pas le moment de se mettre en grève sur ce sujet ?

Sur le sujet des grèves justement, il ne m'appartient pas de commenter des mouvements qui sont des mouvements internes au groupe SNCF, dont les opérateurs que je représente ne font pas partie, en tout cas pour Fret SNCF...

Mais ça donne un mauvais signal ?

Ça donne un très mauvais signal. En fait, il y a deux choses sur le sujet des grèves, parce que je vous dis que les opérateurs alternatifs, eux, ils sont mobilisés pour assurer le service qui est dû à leurs clients. Ils ne sont pas en grève, ils sont quand même susceptibles d'en subir les conséquences. Et ça arrive très régulièrement puisque, en fait, ils dépendent du gestionnaire d'infrastructure SNCF réseau, c'est l'aiguilleur du ciel du rail, et donc qui assure la gestion opérationnelle des circulations. Donc si les agents de SNCF Réseau sont en grève, ça empêche les opérateurs alternatifs, qui eux ne le sont pas, de circuler.

Donc, ce n'est pas bon pour l'ouverture à la concurrence ?

Ça, c'est la première chose. Mais la deuxième, et qui est d'autant plus importante, et finalement à contresens, c'est que les entreprises qui ont des marchandises qu'elles souhaitent faire transporter, si les trains ne peuvent pas circuler, elles vont se reporter sur d'autres modes de transport et notamment la route.

Dans l'accord qui a été conclu avec la Commission, il y a déjà eu l'abandon par la SNCF d'une vingtaine de flux de marchandises, 20% de son chiffre d'affaires à des concurrents des opérateurs belges, allemands et français, vos adhérents donc. Pouvez-vous nous dire aujourd'hui que c'est une opération rentable pour les acheteurs ?

Si vous voulez, avec ces flux qui ont été remis sur le marché, ce qu'il faut bien avoir en tête aussi, c'est qu'aucun de ces flux ne va repasser à la route. Et pourquoi ? Parce que justement les opérateurs alternatifs y sont mobilisés pour les reprendre. Ils y ont consacré des ressources, qu'ils auraient pu consacrer à du développement, et donc ils vont reprendre l'ensemble de ces trafics et aucune marchandise ne va repasser à la route. Et, ça, c'est une très bonne nouvelle.

Depuis le début de l'année 2024, ces flux ont été cédés à des concurrents de la SNCF. Pour l'instant, pouvez-vous nous dire que ça se passe bien ?

Les flux sont repris effectivement. Les opérateurs alternatifs ont pris leurs responsabilités, justement. Voilà, c'est un sens de l'intérêt général, de ne surtout pas abandonner des flux qui sont abandonnés par Fret SNCF dans cette opération.

Sachant que le fret ferroviaire a diminué de 17% sur un an, en 2023, selon l'Autorité de régulation des transports. Pensez-vous qu'avec la reprise de ces flux par des concurrents de la SNCF, la tendance va s'inverser ?

Vous évoquez l'année 2023. C'est une année, et tout le monde s'en souvient, marquée par des grèves autour de la réforme des retraites, une année noire pour le ferroviaire, alors que justement le ferroviaire commençait à regagner des parts de marché. Et c'est pour ça que j'insistais tout à l'heure sur le fait que véritablement, ce que les clients demandent pour faire transporter leurs marchandises, c'est de la fiabilité. Et des grèves, c'est leur envoyer un très mauvais signal.

"Si ceux qui aujourd'hui ont recours au ferroviaire subissent une grève qui les empêche de faire livrer les marchandises, le lendemain, ils passent à la route."

Solène Garcin-Berson

sur franceinfo

Ils ne peuvent pas supporter de manque de fiabilité, en dépit de tous les efforts qu'on peut faire pour offrir un bon service.

Des efforts, y compris financiers, 4 milliards d'euros d'investissements publics étaient dans les tuyaux à l'horizon 2032 pour le fret. Sont-ils toujours d'actualité ? En avez-vous besoin ?

On en a un énorme besoin. Parce que, comme je l'indiquais, il ne suffit pas d'avoir des entreprises compétitives qui sont mobilisées pour assurer un bon service. Elles dépendent du réseau sur lequel elles circulent.

Avez-vous l'assurance que ces 4 milliards d'euros d'investissement seront maintenus ?

On est mobilisé pour travailler sur le plan d'investissement pour justement les obtenir. Le gouvernement a confirmé que ça restait la feuille de route. Sur ces 4 milliards, aujourd'hui, il y en a 2 milliards qui sont financés et on recherche 2 milliards complémentaires pour clore ces financements.

Il y a beaucoup de nouveaux opérateurs : Trenitalia sur l'axe Paris-Lyon, la Renfe entre Barcelone et Lyon, entre Madrid et Marseille, et des liaisons dans l'ouest de la France prévues en 2027. Est-ce qu'il y aura d'autres opérateurs ?

Le marché français commence à s'ouvrir à la concurrence. Il y a déjà des acteurs connus, parce que Trenitalia France circule déjà sur le Paris-Lyon. Il a déjà su séduire de nombreux voyageurs et faire augmenter justement le nombre de voyageurs sur cette ligne et attirer des nouveaux clients.

Avec des baisses de prix ?

Avec des baisses de prix, effectivement, c'est un des effets. C'est un des effets dont on parle beaucoup de la concurrence. Ce n'est pas le seul. Si un des effets de la concurrence, c'est la baisse des prix, je crois que l'effet principal et l'effet qui est particulièrement important, qui permet justement de continuer à attirer des nouveaux voyageurs, c'est l'amélioration de la qualité de service d'une part, et puis c'est surtout l'offre.

Donc de nouveaux opérateurs à venir ?

Tout à fait, de nouveaux opérateurs venir. On est qu'au début de l'ouverture à la concurrence, avec déjà des beaux succès sur le terrain. Mais les ferroviaires, vous savez, ce sont des temps longs, ça met du temps à se mettre en place, c'est bien normal d'ailleurs. On a déjà des premiers exemples et ça a effectivement vocation à continuer à grandir, à faire grossir, à finalement faire grossir l'ensemble du marché ferroviaire pour justement continuer à attirer de nouveaux voyageurs.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.