Immobilier : "Sans mesures de relance, le marché ne repartira pas tout seul", selon Olivier Roussat, directeur général de Bouygues
Olivier Roussat est le directeur général de Bouygues. Bouygues c'est la construction, l'immobilier, les télécoms, les médias aussi, avec TF1. L'entreprise vient de publier mardi 27 février ses résultats annuels. Ils sont encore en progression avec un chiffre d'affaires de 56 milliards d'euros en 2023.
franceinfo : On dit que quand la construction va, tout va. C'est plutôt de bonne augure quand on regarde votre carnet de commandes : plus de 15 milliards d'euros fin 2023.
Olivier Roussat : Pour nos actifs de construction, effectivement. La moitié de ce carnet est fait de très gros projets d'infrastructures. Et la bonne nouvelle, c'est qu'il y a également énormément d'activités "normales", fonds de commerce, construction d'écoles, d'hôpitaux, de systèmes publics, d'usines pour faire des batteries, d'usines pour faire tourner des datacenters. Un carnet qui est finalement extrêmement bien rempli.
Et c'est de la commande privé et public ?
Privé et public. Dans une période où on peut avoir le sentiment que l'immobilier ne va pas bien, on pourrait dire que c'est pareil pour la construction, mais en fait non. Et c'est la raison pour laquelle on a insisté sur le fait qu'il y avait certes des gros projets, mais que l'autre moitié, c'était des projets que l'on fait "normalement", donc que c'était plutôt de bon augure.
Si on considère que la période est difficile, c'est parce que l'immobilier ne va pas bien. C'est même la dégringolade. Les réservations dans le résidentiel sont en baisse de 25%, de 70% pour l'activité commerciale. Est-ce que vous avez déjà connu ça ?
Non, c'est vraiment un choc extrêmement brutal, avec une baisse des demandes. Le besoin est toujours là. Simplement, les différents candidats à l'achat sont désolvabilisés par l'augmentation des taux d'intérêt et ils ont perdu un pouvoir d'achat significatif. Donc le marché s'est ralenti de façon considérable.
"Sur le tertiaire, c'est-à-dire les immeubles de bureaux, c'est différent : le marché s'est arrêté. Ce n'est pas qu'il s'est ralenti, c'est qu'il n'y a plus de marché du tout."
Olivier Roussatà franceinfo
Cet immobilisme, pour le coup, est complètement nouveau.
Ce sont des choses qu'on n'avait pas connues dans ces proportions-là depuis les vingt dernières années.
Est-ce que vous avez pris des décisions, suite à cet immobilisme, cette reculade, même quand on regarde l'activité commerciale ?
Force est de constater que l'économie du tertiaire, les bureaux, ça ne repartira pas en 2024, peut-être même pas en 2025. Ils se sont arrêtés parce que les taux d'intérêt sont élevés et qu'il est plus intéressant pour un investisseur de placer son argent dans un produit financier que de le placer dans un immeuble de bureaux. Et puis vous avez un deuxième phénomène sur les bureaux, c'est que le télétravail n'est pas encore dans un régime complètement définitif dans les entreprises, si bien que les entreprises ne savent pas précisément ce dont elles ont besoin. Cela a mis le marché du tertiaire à l'arrêt, c'est un fait. Et c'est pour ça que je pense que ça va durer au moins tout 2024, et peut être plus.
Et ce n'est pas propre seulement à la France ?
Effectivement, c'est plutôt global, puisque la problématique de taux d'intérêt est quasiment mondiale. C'est donc un phénomène qui est largement réparti. En revanche, la situation sur le résidentiel est très différente d'un pays à l'autre. En France, le système d'achat se fait avec des taux fixes. Les taux ont effectivement monté et nous avons tout un tas de clients qui ne peuvent plus réussir à obtenir le prêt qui leur permettrait de pouvoir acheter.
Donc c'est un problème de prêt ?
On a des offres. Mais nous n'avons plus de clients pour les acheter. On a eu une période où nous avions beaucoup de clients et nous manquions de foncier. Nous manquions de produits, parce qu'il y avait moins de permis de construire. Ça, c'est la période 2020-21. Et puis mi-2022, les permis de construire se libèrent un peu. C'est le moment où le crédit se ferme.
Et qu'est-ce qu'il faut faire, selon vous ?
Je pense que sans une mesure particulière de relance du marché, le marché ne repartira pas tout seul. Il faut qu'on introduise des éléments particuliers, des mesures qui permettent de faire revenir les investisseurs sur le marché. Mais il ne repartira pas simplement en attendant les taux d'intérêt, parce que les taux d'intérêt vont baisser très lentement.
Est-ce qu'il faut une intervention publique ?
L'intervention publique qui consisterait à dire qu'il faut augmenter le prêt à taux zéro, par exemple, va coûter trop cher dans le contexte actuel, ça ne paraît pas raisonnable. Ce qui a déjà fait ses preuves à maintes reprises, c'est de relancer l'investissement locatif en faisant appel à des systèmes type Scellier, Pinel. Avec toutes ces choses-là, ça repart extrêmement vite.
Sauf que les finances publiques, vous savez ce qu'elles sont aujourd'hui, donc ce n'est pas d'actualité.
Quand vous avez un investissement type Pinel, que vous avez moins de rentrées d'argent, ce n'est pas pareil que de sortir de l'argent.
Dernière activité dont on n'a pas encore parlé : les télécoms. Vous vous dites intéressé par le rachat de l'activité télécom de La Poste qui est à vendre. Pourquoi ?
Parce que La Poste a un profil très particulier. Premièrement, c'est une gamme de clients qui sont des clients plutôt installés dans le monde rural, qui est une zone dans laquelle nous ne sommes pas très développés. Et surtout, lorsque vous faites l'acquisition de La Poste Mobile, vous signez simultanément un contrat de partenariat de distribution avec La Poste. Et les postiers ont démontré dans l'histoire de La Poste Mobile qu'ils étaient d'excellents vendeurs et qu'ils arrivaient, par la proximité qu'ils avaient avec leurs clients, à les garder extrêmement satisfaits. Le taux de désabonnement est plutôt assez bas. Cela en fait un réseau qui a une valeur intéressante.
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