"On est en train de glisser vers une récession", estime le président de la Fédération française du bâtiment
Olivier Salleron est le président de la Fédération française du bâtiment (FFB), qui présente mercredi 13 décembre le bilan du secteur pour 2023 ainsi que les perspectives pour 2024. Des perspectives qui lui semblent bien sombres, alors que la France fait face à une crise de l'immobilier et du crédit qui touche également la construction de logements neufs.
franceinfo : Vous écrivez que "l'entrée en récession devient inévitable." C'est notamment sur le logement neuf que 2023 a été très compliquée.
Olivier Salleron : Oui, le logement neuf entraîne le bâtiment dans la récession et nous plombe l'activité. Malheureusement, en 2023, les chiffres tombent les uns après les autres. On va être dans une situation beaucoup plus grave que l'on pensait au niveau de la récession. On pensait pratiquement à l'étale pour l'activité en volume du bâtiment. Aujourd'hui, on est à −0,6%. Malheureusement, on est donc en train de parler de défaillances d'entreprises, mais aussi de plusieurs milliers de salariés qui ne vont pas être réembauchés et il va commencer à y avoir des plans sociaux. On prévoit la perte de 3 000 à 10 000 salariés sur un nombre de 1 350 000, mais c'est quand même important. Et malheureusement, cette crise arrive beaucoup plus vite que prévu.
Il y a une contraction de 0,6% et spécifiquement pour le logement neuf. Le nombre de mises en chantier a chuté ?
Oui, on alerte tout le monde parce qu'on a des permis de construire qui depuis deux ans chutent de 35 à 40%. Les ventes de maisons individuelles et les ventes d'appartements aussi sont en régression, de 30 à 40%. Quand le permis de construire n'est pas signé et que deux ans après, il n'y a pas le premier coup de pelle, ça se comprend tout seul. Les entreprises ne travaillent plus. Malheureusement, on est en train de glisser vers une récession qui va peut-être atteindre, nous l'espérons, son paroxysme malheureux en 2024 et 2025. En 2024, nous prévoyons 90 000 salariés en danger dans nos entreprises.
90 000 emplois qui sont des équivalents temps pleins ?
Oui, donc c'est l'ensemble des salariés du secteur du bâtiment, malheureusement. Les chantiers ne se faisant plus dans le neuf, ce secteur-là, qui représente 30 % de notre activité, est fortement touché. Donc c'est mathématique, c'est ce qui va arriver dès 2024. Il faut vite réagir au niveau du gouvernement. Il faut que les solutions qui ont marché les dernières années soient en réaction très vite, sinon on va vers la catastrophe.
Quelles solutions proposez-vous sur cette question du neuf ?
On parle tout simplement de pouvoir faire accéder à la propriété nos primo-accédants, nos jeunes ménages modestes, avec ce fameux prêt à taux zéro qui leur permet d'arriver avec un apport et donc d'obtenir leurs crédits bancaires, pour simplement avoir l'espoir de s'acheter une maison individuelle modeste ou un appartement. Il faut savoir que dès le 1er janvier, il est supprimé sur 93% du territoire. Ça ne va plus concerner que les "zones tendues", mais 93% du territoire est oublié. C'est pour ça d'ailleurs que les trois-quarts des sénateurs et plus de la moitié des députés ont voté notre amendement qui dit : rétablissons ce prêt à taux zéro sur l'ensemble du territoire. C'est une mesure sociale et sociétale pour nos concitoyens, pour leur donner un espoir et, évidemment, du travail à l'ensemble de la filière construction et du logement.
Parlons justement de ce qui représente plus de la moitié de votre activité, ce qu'on appelle l'amélioration entretien, notamment la rénovation énergétique, comment se porte ce secteur-là ?
Depuis plusieurs années, ça se porte plutôt bien. Que ce soit la rénovation des bâtiments publics, des bâtiments privés, des entreprises, mais aussi le logement des particuliers. Un dispositif a été créé, il y a maintenant presque trois ans, MaPrimeRénov. Il y a des bugs, oui, et ce n'est pas forcément très facile, mais en tout cas, nos concitoyens ont commencé à comprendre le système et l'avantage pour rénover leur logement. Les artisans et entreprises aussi. Ce dispositif a été presque doublé, on est passé de deux à quatre milliards. Sauf que d'année en année, on complexifie ce système, on le charge d'obligations supplémentaires. Je crois qu'aujourd'hui, il faut avoir une simplification extrême. Il faut garder le dispositif MaPrimeRénov tel qu'il était prévu et tel qu'il fonctionne depuis trois ans. Sinon, on va dégoûter nos concitoyens de vouloir rénover leur maison, et on va aussi dégoûter les artisans et les entreprises en complexifiant administrativement MaPrimeRénov. Vous verrez, au printemps, si jamais la loi passe, on aura moins de dossiers MaPrimeRénov, et on dira que ça ne marche pas.
Si vous aviez un appel à lancer aux pouvoirs publics, quel serait il ?
Il faut rétablir le prêt à taux zéro sur l'ensemble du territoire à 40%, comme il l'était [le PTZ pouvait financer jusqu'à 40% du coût total]. Le prêt à taux zéro, c'est de l'aide pour nos concitoyens les plus modestes. Ensuite, pour ceux qui ont un peu plus d'argent et qui peuvent louer leurs biens, il faut rétablir la loi Pinel telle qu'elle était jusqu'à la fin de l'année prochaine. Et ensuite, travailler avec nous sur le statut de bailleur privé, qui permet aux Français d'investir dans quelque chose de solide et de concret qui est la pierre. Aujourd'hui, tout est bloqué. Et je pourrais parler du logement social, aussi, qui est totalement sclérosé. Il faut vite agir, sinon on arrive vraiment à une grave crise, non seulement sociale, mais sociétale.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.