Retards de paiement : "15 milliards d'euros sont dans les trésoreries des grands comptes publics et privés plutôt que dans les trésoreries des TPE, PME", regrette le médiateur des entreprises

Pierre Pelouzet, le médiateur des entreprises, publie son rapport annuel ce jeudi. Sur franceinfo, il explique que les demandes de médiations ont augmenté et que les retards de paiement représentent environ 25% de leurs saisines.
Article rédigé par Isabelle Raymond
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Pierre Pelouzet le 21 mars 2024. (FRANCEINFO / RADIOFRANCE)

Son travail permet de prendre le pouls des entreprises. Le médiateur des entreprises propose un service de médiation accessible à tous les acteurs économiques, tant publics que privés. En cas de différend avec une autre entreprise ou administration, il est possible de faire appel à lui. Pierre Pelouzet, résume sa mission sur franceinfo : "Faire en sorte que les entreprises entre elles, ou entre les entreprises et les acteurs publics, plutôt que d'aller au tribunal, aillent vers le dialogue". Un service qui dépend du ministère de l'Économie et des Finances, qui est gratuit et confidentiel.

Le médiateur des entreprises publie jeudi 21 mars son rapport annuel. Et selon ce dernier rapport, de plus en plus d'entreprises saisissent le médiateur. Le "sujet numéro un" reste les retards de paiement, dont le délai en 2023 est d'environ "12-13 jours", selon Pierre Pelouzet. "Aujourd'hui, les TPE et PME ont une trésorerie difficile, tendue. Donc ce n'est vraiment pas le moment de voir les délais de paiement repartir à la hausse. C'est au contraire le moment pour que les grands comptes fassent attention à leurs fournisseurs, les aident, les soutiennent en les payant le plus tôt possible", explique-t-il.

franceinfo : Le nombre de litiges avait explosé juste après le Covid. Quel est le bilan pour 2023 ?

Pierre Pelouzet : Oui, absolument. On parlait du monde d'avant et du monde d'après. Nous, on l'a vécu et on le voit dans les chiffres aujourd'hui. C'est assez fascinant quand on regarde.

"Dans les quatre dernières années, on a fait deux fois plus de médiation que dans les dix années précédentes."

Pierre Pelouzet

franceinfo

C'est-à-dire qu'aujourd'hui, on a eu beaucoup de chocs économiques (le Covid, l'inflation, les matières premières, l'énergie) et ça a suscité une envie de dialogue, une envie de se parler, en tout cas beaucoup plus qu'avant. Les entreprises se sont tournées vers nous en disant : je n'arrive plus à parler à mon client, j'arrive plus à parler à mon fournisseur, j'arrive plus à parler à mon bailleur. J'ai besoin que vous m'aidiez et que vous créez cette discussion pour qu'on sorte en confiance, par le haut, de notre différence.

Quels sont les secteurs qui sont les plus concernés ?

Ce sont vraiment tous les secteurs. En fait, notre raison d'être, c'est plutôt d'aider les petits, les TPE, les PME, les artisans qui ont des difficultés face à des plus gros. Quand vous êtes dans cette situation-là, évidemment, vous n'avez pas attaqué au tribunal votre grand client, vous n'avez pas envie de le perdre. Vous ne pouvez pas non plus rien faire face à une facture impayée, face à un différend sur une propriété intellectuelle. Donc, vous êtes à la recherche de solutions et c'est là où, nous, nous permettons de rééquilibrer le dialogue. On va mettre autour de la table les deux acteurs et leur permettre de se parler d'égal à égal. 

"Ce n'est pas parce qu'on est un patron d'une petite TPE et qu'on a en face un grand acheteur de grands groupes qu'on ne peut pas se parler normalement."

Pierre Pelouzet

franceinfo

Et c'est ça qu'on recrée, du dialogue humain entre les acteurs économiques.

Est-ce que ceux qui vous saisissent sont ceux qui sont le plus en difficulté financièrement ?

On peut nous saisir parce qu'on est en difficulté évidemment, mais on peut aussi nous saisir et aller très bien. Même quand on va très bien faire attention à être bien payé, c'est important, histoire d'anticiper, d'éviter d'aller le plus mal possible. D'ailleurs, le message que j'envoie, c'est saisissez-nous le plus tôt possible. N'attendez pas justement d'être en grande difficulté pour nous saisir. Plus tôt, on est saisi, on peut agir, créer ce dialogue et vous aider à trouver des solutions.

Quelle est la moyenne des retards de paiement aujourd'hui ? Ont-ils augmenté ?

Les retards de paiement, effectivement, c'est notre sujet numéro un, c'est 25% de nos saisines en gros. Malheureusement, on croyait qu'on était en train de gagner la bataille des retards de paiement. C'est un vieux sujet pour moi. Ça fait onze ans que je me bats là-dessus.

Les délais de paiement, ils sont de 60 jours en règle générale et 30 jours pour les frais de transport routier ?

Ce sont les délais légaux, effectivement.

"Mais on a toujours eu des retards depuis la création en 2008 de la loi sur les délais de paiement."

Pierre Pelouzet

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On était arrivé à descendre à dix jours, en moyenne de retard avant la crise. C'était un progrès et ça progresse tous les ans. Donc on se disait ça y est, on a mis les outils en place, on va y arriver. Malheureusement, le covid est passé par là, on est repartis à 15, 16, 17 jours de retard. Et aujourd'hui, on est entre 12 et 13 jours, ça se stabilise, voire même, ça repart un peu à la hausse. Mais pour donner un ordre d'idée, ça veut dire que 15 milliards d'euros sont dans les trésoreries des grands comptes publics et privés plutôt que d'être dans les trésoreries des TPE, PME. Donc vous voyez l'impact au-delà des jours ? Ce sont des milliards d'euros dont on parle.

Qui est le plus mauvais payeur, les entreprises privées ou les pouvoirs publics ?

Malheureusement, j'allais dire les deux. C'est plus un rapport de taille, un rapport de force. Ce sont malheureusement les plus gros, parce que c'est "plus facile", qui payent plus mal les plus petits. Sans vouloir généraliser, il y a évidemment des grandes entreprises qui payent très bien. Il y a évidemment de grandes administrations, notamment l'Etat, il faut le noter, qui paie bien. Au-delà de ça, il y a de grandes entreprises qui paient très mal et il y a des administrations, des régions ou des collectivités qui paient très mal. Et ça, c'est terrible pour les TPE.

La ministre déléguée aux entreprises, Olivia Gregoire, souhaite renforcer les sanctions contre les mauvais payeurs, instaurer également du "name and shame" pour les collectivités de plus de 3 500 habitants. Est-ce que ça peut avoir un effet dissuasif ?

Alors il y a un éventail de solutions et on a vu que cet éventail de solutions produisait des effets. Comme je le disais, jusqu'à 2019, ça marchait, on avait déjà un peu de "name and shame". On avait ce qu'on fait en médiation : tout le parcours national des achats responsables pour pousser chaque acteur à changer de comportement. Et c'est évidemment là-dessus qu'on joue. Se dire qu'on va renforcer tout ça ne peut qu'accentuer, j'espère, l'effet bénéfique. Parce que ce n'est pas le moment de lâcher. Aujourd'hui, les TPE et PME ont une trésorerie difficile, une trésorerie tendue. 

"Les TPE et PME payent leur électricité et leurs matières premières plus chères. Il y a l'inflation, donc les salaires augmentent, en plus pour certaines, elles doivent rembourser les prêts garantis par l'État qu'elles ont touché. Tout ça fait que la trésorerie est tendue."

Pierre Pelouzet

franceinfo

Donc ce n'est vraiment pas le moment de voir les délais de paiement repartir à la hausse. C'est au contraire le moment pour que les grands comptes fassent attention à leurs fournisseurs, les aident, les soutiennent en les payant le plus tôt possible.

Sachant que quand un petit patron a des difficultés financières, il ne se paye plus. Un cinquième, se paye moins de 1 400 euros par mois, selon une étude récente de la CPME. Est-ce que vous craignez un appauvrissement des petits patrons ?

De toute façon, il faut qu'ils trouvent une solution. Alors j'espère que la première solution qui leur viendra à l'idée, c'est de venir saisir le médiateur pour qu'on puisse les aider. Mais effectivement, si la trésorerie diminue, qu'est ce qui arrive ? Soit on ne se paye plus, soit on ne paie plus ses ouvriers, soit ne paye plus l'URSSAF et on finit par être en situation difficile. Donc c'est une situation qui devient intenable. Encore une fois, il faut une prise de conscience. Mais j'aimerais que tous les grands patrons des grandes entreprises de France aient un point mensuel avec toutes leurs équipes en disant : où est-ce qu'on en est des délais de paiement ? Est-ce qu'on respecte la loi ? Est-ce qu'on paye bien nos petits fournisseurs ? Le jour où on fera aussi attention aux fournisseurs qu'aux clients, je pense qu'on aura résolu le problème.

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