Edouard Martin dans le haut-fourneau du PS
C'est un
peu les deux. Quand cette belle gueule de la lutte sociale a jailli hier soir sur
le plateau milieu du 20h de David Pujadas pour annoncer sa conversion à l'aventure
politique, je vous avoue avoir lâché ma cuillère à soupe. Pleine.
Oui, c'est
un joli coup, et pas seulement médiatique, pour un PS depuis trop longtemps en
mal d'imagination. Il faut savoir qu'un bruit persistant donnait Edouard Martin
candidat aux européennes, mais sur la liste d'Europe Ecologie les Verts. C'était
un bel écran de fumée. Et le Parti Socialiste réalise également une prise de
guerre. Non pas à l'ennemi : annoncer Nadine Morano tête de liste PS pour
le Grand Est eut été un vrai débauchage politique en règle, pour ne pas dire un
cataclysme. Mais il est indéniable qu'en enrôlant celui qui a mené la vie dure
au gouvernement, et l'a mis face à ses contradictions sur le thème du sauvetage
raté de notre belle industrie, François Hollande enfonce un coin dans une
contestation ouvrière qui monte au gré des délocalisations et des fermetures
d'usine. C'est du grand art.
A quoi
sert cette nomination ?
Edouard
Martin est d'abord une bête de scène : le désormais ex-leader syndicaliste
CFDT de Florange, par-delà son franc-parler qui crève le petit écran, sait
donner dans la franche et saine colère, notamment quand il a défié le président
en lui promettant : " nous allons être votre malheur si vous ne
cessez pas votre mensonge ". Ce coup de gueule devant les caméras de télé
a fait trembler le gouvernement, l'a déstabilisé, après la rediffusion en
boucle des images du candidat Hollande en campagne présidentielle, hissé sur
une estafette, qui promettait monts et merveilles à une industrie exsangue, que
son prédécesseur s'était fait fort de remettre à flot, en vain. Tout le monde a
déjà oublié qu'Edouard Martin était également au cœur de la guerre Montebourg-Ayrault,
à l'automne 2012, à propos de l'avenir d'Arcelor-Mittal, qui a failli mal finir
entre le ministre du redressement productif et le Premier ministre, devenu
arbitre des petites haines gouvernementales. Arnaud Montebourg qui était allé
promettre en personne sur le site, une nationalisation temporaire des hauts
fourneaux, avait dû avaler son chapeau face à Jean-Marc Ayrault, favorable à un
accord avec Lakshmi Mittal, incarnation honnie du grand capital. La suite est
connue : Montebourg est rentré dans le rang, Arcelor a dégraissé deux
mille salariés. Et Edouard Martin, qui a servi de bouclier humain à François
Hollande lors de sa récente visite à Florange, est entré en politique. C'est du
donnant-donnant.
C'est
une trahison de sa part ?
La gauche
de la gauche et le monde syndical vont sans doute le vivre comme tel. Le Front
de Gauche de Jean-Luc Mélenchon pourrait
titrer : "Haute trahison dans les hauts fourneaux". Et l'UMP
va en faire son miel. Nadine Morano qui l'affrontera dans le Grand Est,
l'accuse déjà de ne pas s'être battu pour les salariés de Florange, mais
d'avoir mené "un combat personnel et surtout politique" . François
Hollande a eu raison de pardonner l'affront que lui a fait ce militant en rage
pour la bonne cause, pour lui offrir une sacrée vitrine, avec le secret espoir de
faire bouger, même de quelques centimètres, l'image d'un PS encalminé. Edouard
Martin, après tout, a bien le droit de changer de trajectoire. Ses preuves
restent à faire. Jugeons sa future prestation sur pièces. Après tout, l'affiche
Martin vs Morano aura de la gueule, dans une campagne des Européennes qui
s'annonce passionnante, au vu des enjeux, pas seulement industriels, d'une
Europe en pleine crise.
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