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AG Total : qui est Lucie Pinson, l’activiste qui défend le climat en parlant aux financiers ?

L’intrus de l’actu donne chaque soir un coup de projecteur sur une personnalité qui aurait pu passer sous les radars de l’actualité.
Article rédigé par franceinfo - Bérengère Bonte
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5 min
L'activiste française fondatrice et directrice de l'ONG Reclaim Finance à Paris en 2022 (JOEL SAGET / AFP)

À la veille de l’Assemblée générale de Total Energie prévue le 26 mai, Lucie Pinson, la fondatrice de l’ONG Reclaim Finance, expliquait à franceinfo qu’elle serait là tôt le lendemain matin, dans le quartier de la salle Pleyel, dans le XVIIe arrondissement de Paris, pour soutenir les autres ONG qui appelaient au blocus et faire un peu de pédagogie sur le climat auprès des actionnaires qui se retrouveraient bloqués sur le trottoir. Mais l'organisation elle-même n’appelait pas à ce blocus.

Lucie Pinson ne fait pas partie de ces militants qui s’enduisent de colle et fixent leurs mains sur l’asphalte à Londres ou Paris. Son arme à elle consiste à parler finance avec les banquiers, les grands patrons et les actionnaires minoritaires de ces groupes, pour les convaincre en amont des Assemblées générales. En clair, elle parle leur langue.

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Ceux qui l'ont vu en présence de certains grands chefs d’entreprise pourront vous dire qu'ils écoutent Lucie Pinson attentivement. Il y a trois ans, elle a d’ailleurs été primée et elle a reçu ce qu'on considère comme le prix Nobel Vert. Au moment de la remise du prix, on pouvait entendre le speaker la présenter de cette façon. "Ses réalisations exceptionnelles dans le domaine environnemental en Europe. Le prix Goldman 2020 pour l'environnement est attribué à Lucie Pinson, Paris, France."

Avec ce prix, Lucie Pinson se présente ainsi son projet : "Je m'appelle Lucie. Il y a sept ans, comme beaucoup d'entre vous, je me demandais ce que seul, je pouvais faire face aux injustices croissantes et aux alertes des scientifiques sur le climat. J'ai découvert le secteur le plus polluant au monde, la finance, et j'ai décidé de m'y attaquer. Nous pouvons gagner la guerre climatique." 

Petite brune à lunettes très énergique, Lucie Pinson aura 38 ans dans l'année. Elle a grandi près de Nantes dans un contexte "très protestataire" comme elle le dit elle-même. Son père facteur n’était même pas syndiqué car animé d'un sentiment trop "anti-syndicat". Après son bac, Lucie Pinson choisit d’étudier dans une école d’Angers, l’institut Albert-Legrand, fondé par "un prêtre tradi, et vieille aristocratie", ce qui lui a "appris la différence" explique-t-elle. Elle étudie les langues, la littérature, les sciences politiques, puis enchaîne une année en Afrique du Sud et enfin la Sorbonne où elle obtient deux Masters, en recherche politique africaine et en politique humanitaire. À l’époque, son engagement militant tourne essentiellement autour des droits de l’homme. 

L'engagement en faveur du climat

Le lien entre le climat et la finance s’opère alors à l’occasion d’un stage dans une association qui s'appelait l'AITEC, comme elle l'a raconté à Mathieu Bidart sur France Inter. "Moi, j'ai compris ça à la fin de mes études, lorsque je me suis impliqué avec l'AITEC dans l'organisation des contre sommets du G8 et du G 20. Je travaillais à l'époque sur le rôle de la spéculation sur la volatilité des prix sur les marchés agricoles. Concrètement, pourquoi spéculer peut entraîner des milliers de personnes à ne plus pouvoir se nourrir à la fin de la semaine ? Et puis également, j'ai découvert la campagne des Amis de la Terre, qui allie la défense de la justice sociale avec les enjeux de justice environnementale et climatique."

À l'époque, Les Amis de la Terre lancent justement une campagne à destination des banques. Elle m'a expliqué qu'elle avait postulé quatre fois pour rentrer aux Amis de la Terre et à l'époque, ce qui est sans doute l'une de leurs grandes victoires, celle d'avoir réussi à faire reculer la Société Générale. C'était en pleine COP, à Lima, au Pérou, à la conférence de l'ONU. On était à un an de la COP21 de Paris de 2015. La banque a renoncé à financer un grand projet de mine de charbon à ciel ouvert, Alpha Coal, en Australie. Du charbon avait été déversé dans pas mal d'agences bancaires, notamment à Bayonne, et la banque avait donc fait marche arrière.

Face au groupe Total

Dans le cas de Total, justement, il y a trois ans, Lucie Pinson a commencé à littéralement travailler le groupe au corps. Par exemple, elle a encouragé les actionnaires minoritaires, entre autres la Financière Meeschaert, pour qu'ils présentent ensemble une résolution climat dans laquelle le groupe s'engagerait à stopper ses financements de projets d'énergies fossiles. À l'époque, la résolution n'avait pas obtenu la majorité loin de là, mais ce fut un début. L'année suivante, il y a deux ans, le groupe avait été obligé de rédiger à son tour une résolution climat trop peu ambitieuse aux yeux des ONG, mais ça a continué. Inlassablement, Lucie Pinson pousse les banques à s'engager, à ne plus soutenir et à ne plus financer les projets de forage, entre autres. En novembre, avec d'autres lauréats du fameux prix Goldman pour l'environnement, elle a adressé un courrier à 78 banques, assurances et investisseurs pour les exhorter à renoncer à nouveau à tout financement de ces nouveaux projets. Vendredi 26 mai, on constatera évidemment que la résolution de Total a recueilli plus de 88 % des votes des actionnaires, mais selon Lucie Pinson, ces actions ne sont pas du temps perdu.

Mais elles "sont cependant intéressantes parce qu'elles permettent de mettre la pression sur ces entreprises et de les pousser à publier de plus en plus d'informations et donc moins de greenwashing puisque ça permet quand même de montrer par A plus B que non ces entreprises ne sont pas en transition." Autrement dit, Total n'est pas devenu une entreprise d'énergie renouvelable. Mais Lucie Pinson reconnaît bien volontiers que le groupe joue désormais un peu plus la transparence.

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