Autodidacte, boulimique de travail, emblème de Marseille : sur les traces du rappeur phénomène Jul
À seulement 32 ans, l'artiste marseillais, qui sort vendredi 9 décembre son 26e album studio "Cœur Blanc", est devenu récemment le deuxième plus gros vendeur de disques de l'histoire en France, derrière Johnny Hallyday et devant beaucoup d'autres. franceinfo est allé à la rencontre de celles et ceux qui ont croisé son parcours à Marseille.
Après dix ans de carrière, il est improbable que le phénomène Jul vous ait échappé, ou que vous n'ayez jamais entendu son nom. Mais si c'est encore le cas, et que vous avez plus de quarante ans, et des enfants, il est fort à parier que votre progéniture le connaisse. C'est lui qui, entre autres, est à l'initiative parmi d'innombrables projets de la compilation 13 Organisé, et du morceau-phare Bande organisée, écouté plus de 200 millions de fois en ligne depuis sa sortie en 2020, sur lequel on danse désormais dans des mariages, et auquel on doit la désormais célèbre expression "C'est Marseille, bébé".
À seulement 32 ans, Jul a déjà sorti 26 albums studio, au rythme effréné d'environ trois par an. Dont vingt-et-un disques de platine (plus de 100.000 ventes chacun), soit le deuxième total derrière le record français de trente, détenu par un certain Johnny Hallyday.La plupart ont été enregistrés et mixés au Studio Recording, quartier Saint-Just à Marseille, par Nicolas Romano, ingénieur du son et proche de Jul depuis une quinzaine d'années : "On ne s'attend jamais à ce que ça prenne autant d'ampleur, mais il avait un vrai talent dès l'adolescence, sur sa manière de rapper, sa technique, et ses textes aussi."
"Dès son premier album, 'Dans ma paranoïa' en 2014, on a senti qu''il y avait quelque chose qui se passait. Un nouvel oxygène pour la musique française. Il a cassé énormément de codes."
Nicolas Romano, ingénieur du son et proche de Julà franceinfo
"Il a ramené son univers au premier plan sur la scène musicale française, et ce renouveau sur la musicalité, la sonorité. Avec un engouement qui s'est emballé très vite derrière", poursuit l'ingénieur du son.
Stakhanoviste autodidacte
Jul est un boulimique de travail qui écrit ses paroles, compose la plupart de ses mélodies, sort ses morceaux et albums sur son propre label, "D'or et de platine" fondé en 2015, et fait sa promo sur les réseaux sociaux, sachant qu'il ne parle jamais aux médias.
Pourtant, la sortie de ce nouvel album à Marseille ne suscite pas d'effervescence particulière. Tout au plus quelques affiches aperçues dans certains quartiers ou sous les bretelles d'autoroute. Peut-être qu'en sortant ses albums à la chaine, Jul a fini par les "banaliser", et même s'il remporte les suffrages des Marseillais plus jeunes (12-25 ans), et de beaucoup de femmes et jeunes filles, les plus âgés vous répondent qu'ils préfèrent d'autres rappeurs locaux plus sombres, plus trash, comme SCH, autre gros vendeur de disques, à Jul qui ferait "du commercial".
Pour Maxime Parola, coordonateur au centre social Air Bel, dans le 11e arrondissement, quartier voisin de Saint-Jean du Désert, celui de Jul, "la perception qu'on a de Jul comme rappeur emblématique de Marseille n'est pas la même à l'extérieur de la ville et à l'intérieur. Si vous demandez aux habitants d'ici, s'ils le trouvent très sympathique, ils vont plutôt citer Naps, YL ou Kofs, autres rappeurs locaux. Jul s'adresse à un public différent, il y a un côté un peu 'variété'."
"Hystérie collective"
Jul, né Julien Mari en 1990, d’origine corse, a grandi dans les HLM Louis-Loucheur, immeubles de quatre étages, dans un quartier ni dégradé ni sensible de l'est de Marseille, et c'est dans sa chambre d'ado qu'il a composé ses premiers morceaux. Mais quand il a commencé à avoir du succès, ses retours au quartier provoquaient un certain désordre, se souvient Bruno Gilles, sénateur LR des Bouches-du-Rhône et ancien maire du 3e secteur de la ville : "C'était no limit. Il s'est mis à tourner des clips de manière totalement illégale, sans aucune autorisation, avec du bruit, des scooters, des voitures, des fumigènes et compagnie. Ils sont même montés sur certains toits d'immeuble. Une forme d'hystérie collective. Et rapidement les voisins de la cité et du quartier ont commencé à ne plus en pouvoir, c'est un quartier en plus où il y a beaucoup de retraités."
"Le retour de Jul c'était sympa une fois, deux fois, mais à la troisième fois les riverains sont eux aussi devenus hystériques, et la police a même dû intervenir."
Bruno Gilles, sénateur LR des Bouches-du-Rhôneà franceinfo
Bruno Gilles avait tenté de dialoguer avec Jul pour organiser, autant que possible, ses retours à Saint-Jean-du-Désert. Réponse provocatrice du rappeur : "Appelez mon producteur".
Emblème de Marseille
Mais qu'on l'aime ou pas, le succès et l'aura de Jul restent considérables. Et s'il est clivant, comme tous les gros vendeurs d'albums de son envergure, même si ceux qui n'aiment pas sa musique disent respecter sa réussite et son parcours. On n'accumule pas 100 disques d'or, en comptant les singles, et on ne remplit pas le Stade Vélodrome - au mois de juin - par hasard.
Des mélodies minimalistes et accrocheuses, des paroles simples qui racontent son quotidien (moto, musique, glande et fumette) et qui parlent aux jeunes, voilà la recette de ce succès. Sans oublier le "signe Jul" consistant à former un "J" avec ses mains que plein de gamins refont. Et surtout cette authenticité, comme quand il arrive sur scène au Vélodrome en claquettes-chaussettes, un style qui peut faire ricaner mais qui est le sien, sans tricher.
Benoit Payan, le maire de Marseille, parle même de lui comme figure emblématique de la ville : "C'est une histoire très marseillaise, partir de loin pour arriver au plus haut. Il va s'amuser sur un ordinateur, en étant très loin de la musique et du solfège, et il se construit tout seul. Mais il n'est pas comme les autres, il est extraordinaire. Et en cela, ici, on peut comme ça très vite exploser."
Vendredi soir, 6 000 fans de Jul étaient invités pour une écoute en avant-première de ce nouvel album au Dôme, salle de spectacle marseillaise.
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