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"C’est une quête et un combat" : comment les autorités françaises traitent les "cold cases" ?

Les familles ne veulent pas baisser les bras dans ces affaires qui n'ont jamais été élucidées. La gendarmerie a récemment créé une division "cold cases" pour tenter de résoudre des crimes, des dizaines d’années après les faits.

Article rédigé par franceinfo, David Di Giacomo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Jonathan Olivier, le père de Cécile Vallin, une adolescente qui a mystérieusement disparu il y a plus de 23 ans. (DAVID DI GIACOMO / RADIO FRANCE)

L'affaire Grégory, la disparition de Xavier Dupont de Ligonnès, la tuerie de Chevaline… Ce sont quelques-uns des "cold cases" les plus médiatisés mais il existe des centaines d'autres crimes non élucidés en France. Pour mieux traiter ces dossiers qui peuvent durer des dizaines d'années, un groupe de travail a fait des propositions au ministère de la Justice, qui seront dévoilées ces prochaines semaines.

Il n'est pas question de baisser les bras pour Jonathan Oliver, le père de Cécile Vallin*, une adolescente qui a mystérieusement disparu il y a plus de 23 ans. Comme pour beaucoup d’autres familles de victimes, sa hantise, c’est le non-lieu, c’est-à-dire que l’affaire soit classée. Ce retraité anglais de 75 ans veut savoir ce qui est arrivé à sa fille. 

Nous le rencontrons chez lui, en Normandie, dans une petite maison, à deux pas de la mer. Posés sur la table, son livre sur la disparition de Cécile et son ordinateur qui contient toutes les pièces du dossier. "Perdre son enfant sans rien savoir de ce qui s’est passé, je pense que c’est la pire des choses qui puisse arriver à un parent, explique-t-il. Alors je parle avec Cécile tous les jours, ce sont des mots d’amour en anglais. Mais, j’ai une vie de famille, des amis, des activités… Je vis en parallèle avec Cécile et sans elle."

"C’est très important que le dossier reste actif"

Cécile Vallin disparaît en juin 1997 en Savoie. Elle a 17 ans et prépare son baccalauréat. La dernière fois que des témoins l'aperçoivent, elle marche au bord d'une route, près de son domicile de Saint-Jean-de-Maurienne. L'été dernier, 23 ans après, un nouvel appel à témoins est lancé. "C’est très important que le dossier reste actif, que ça soit 20 ou 30 ans après, indique Jonathan Oliver. C’est une quête et un combat quand il y a des choses importantes qui se profilent comme quand il y a pu y avoir des menaces de fermeture du dossier. Donc, je suis sur le qui-vive, prêt à agir au quart de tour."

Au départ, j’étais très en colère, par rapport à quiconque qui aurait touché ne serait-ce qu’un cheveu de Cécile. Mais cette colère est tombée. Maintenant ce qui me motive, c’est trouver la vérité. Et c’est plus important qu’une vengeance, c’est la vérité sur Cécile qui est indispensable.

Jonathan Oliver, père de Cécile Vallin

à franceinfo

Cinq juges d'instruction se sont succédé depuis le début de l'affaire. Pour Jonathan Oliver, tous n'ont pas montré le même intérêt pour la disparition de sa fille : "Il y a un juge qui a refusé de me rencontrer, c’était étrange. Ce dont je suis content, c’est que le juge actuel s’est engagé à ne pas lâcher le dossier de Cécile. Mon grand espoir c’est que cela aboutisse. Tant que je ne sais pas, cette plaie ouverte de sa disparition, il y a 23 ans, ne sera jamais fermée."

Une photo de Cécile Vallin avant sa disparition en 1997. (ARCHIVES / MAXPPP)

Le père de Cécile Vallin continue d’avoir des doutes sur la piste Michel Fourniret. Son parcours criminel intéresse toujours, d’autant qu’il y a un trou noir durant les années 1990 : "C’est une piste plausible, puisqu’il a parcouru une grande partie de la France, et il y a un trou dans son emploi du temps entre 1990 et 2000, une période pendant laquelle on ne lui a attribué aucune disparition. Et Cécile a disparu pile pendant ces dix ans là, en 1997." 

Une division à la gendarmerie

Pour savoir où en est l’enquête, Jonathan Olivier doit bientôt rencontrer les policiers de l'OCRVP. Il s'agit de l'Office central de répression des violences aux personnes. Un service qui travaille sur des dizaines de "cold cases". Il est très difficile de savoir combien il y a de crimes non élucidés en France. On estime qu'il y en a sans doute plusieurs milliers encore non prescrits. Mais pour avoir un chiffre précis, il faudrait éplucher les archives de tous les tribunaux. Ce que l'on sait, c'est que certaines de ces affaires sont traitées par des enquêteurs spécialisés.

La gendarmerie, par exemple, vient de se doter d'une division "cold cases". La méthode, c'est de miser à la fois sur l'humain et sur la technologie. Des analystes criminels, des comportementalistes, des experts en ADN travaillent donc ensemble à Pontoise, au sein de cette toute nouvelle division "cold case" du pôle judiciaire de la gendarmerie nationale. Le colonel André Brothier est le chef adjoint du service central de renseignement criminel : "On va revoir chacun ce dossier. On va le déconstruire complètement pour essayer de déterminer des pistes de travail peut-être sur des scellés ou sur des recherches de témoins. Donc ça va être le petit détail, la chose qu’on a vue d’un côté, mais on n'a pas vu la partie d’ombre de cette affaire, pour toujours apporter une réponse aux familles de victimes." 

Cette division se rend aussi sur les lieux des crimes non élucidés qu’elle réexamine des années plus tard. Les comportementalistes, les analystes criminels ont besoin de s’imprégner des lieux. Ce qui implique aussi de rencontrer les enquêteurs de l’époque, parfois à la retraite. "Quand on arrive sur une scène de crime, au-delà de découvrir des objets et de les placer sous scellés, il y a l’impression que l’on va avoir en arrivant, et ce sont des choses indescriptibles, explique le colonel André Brothier. Un crime complexe, il y a une violence sous-jacente que seul celui qui est arrivé juste après les faits a ressenti, et pour le transmettre. Il doit pouvoir l’expliquer à un autre enquêteur, qui ressent la même chose par rapport aux traitements de ce type de faits." La division "cold cases" a identifié 80 dossiers intéressants, et elle travaille à plein temps sur six dossiers prioritaires.

"Acquérir une culture cold case"

Pour résoudre plus d'affaires, des magistrats spécialisés pourraient être créés, comme sur le modèle des juges anti-terroristes ou des juges financiers. L’idée est que des magistrats s'occupent à 100% de crimes non élucidés, au sein de pôles spécialisés. Dans l’avant-projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, il est évoqué la possibilité de créer des juridictions spécialisées interrégionales (JIRS) pour les crimes sériels, et de l’étendre aux "cold cases". "Je crois qu’il faudrait que nous acquerrions dans le monde judiciaire une culture 'cold case', explique Jacques Dallest, le procureur général près la cour d’appel de Grenoble, qui a piloté le groupe de travail sur les "cold cases". C’est ce que demandent les familles de victimes : que l’on s’intéresse à leurs affaires. Et je considère que ce sont les affaires les plus graves."

Il faut considérer qu’un dossier de cette nature peut durer 20, 30 ou 40 ans. D’où l’intérêt de les regrouper dans ces pôles spécialisés.

Jacques Dallest, procureur

à franceinfo


Jacques Dallest préconise qu’avec ces pôles spécialisés, la justice se dote d’une "mémoire criminelle informatique". Il faut aussi selon lui, bien mieux répertorier et conserver les scellés car ils sont parfois détruits trop tôt, ou mal répertoriés. Les scellés, ce sont ces indices si précieux découverts sur les scènes de crime, et que les progrès de la science peuvent faire parler bien des années plus tard.


*Si vous pensez avoir des informations sur la disparition de Cécile Vallin, vous pouvez contacter l'OCRVP à l'adresse mail : ocrvp@interieur.gouv.fr

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