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Données médicales : comment Doctolib bouscule le secteur de la santé numérique

La plateforme Doctolib revendique aujourd'hui 60 millions de patients, en France comme à l'étranger. Elle s'est définitivement imposée dans notre quotidien, à la faveur de la crise du Covid, en écrasant la concurrence. Mais cela n'est pas sans conséquences, notamment pour la gestion de nos données médicales.

Article rédigé par Agathe Mahuet
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
La plateforme Doctolib est devenue incontournable pour prendre un rendez-vous dans un centre de vaccination contre le Covid-19. (S?BASTIEN MUYLAERT / MAXPPP)

C'est une plateforme que l'on connaît désormais tous, à la faveur de la campagne de vaccination menée pour lutter contre l'épidémie de Covid-19 : Doctolib, carrefour numérique lorsque l'on veut prendre un rendez-vous pour recevoir une dose, revendique désormais quelques 60 millions de patients, en France comme à l'étranger. Aujourd'hui, un tiers des soignants français sont aujourd'hui équipés avec au minimum l'outil de l'agenda  en ligne, pour gérer les rendez-vous en quelques clics. Doctolib revendique 150 000 utilisateurs chez les personnels de santé.

Pour parvenir à s'étendre, la plateforme a racheté certains de ses concurrents comme MonDocteur. Elle démarche aussi les praticiens avec des méthodes parfois un peu insistantes, comme l'explique Marie, généraliste dans le Finistère. "C'est arrivé parmi mes collègues qu'un rendez-vous soit pris pour un motif médical, c'était en fait un représentant de Doctolib qui souhaitait accéder au bureau du médecin. Cela a été encore plus fort au moment du début de la crise Covid, avec un gros forcing commercial : à ce moment-là, ils voulaient positionner leurs logiciels de téléconsultation".

Pour pouvoir utiliser l'agenda de base, la gestion des rendez-vous, Doctolib réclame à chaque soignant 129 euros par mois, 79 de plus s'ils veulent aussi l'outil de téléconsultation. Au printemps 2020, le nombre d'utilisateurs a été multiplié par dix. Doctolib continue de démarcher ; sur le millier de postes créés d'ici un an, un tiers seront des commerciaux. 

Une position quasi-hégémonique qui interroge 

Ce statut de leader du marché agace parfois la concurrence, avec une enquête pour "abus de position dominante", toujours en cours. Une deuxième enquête a également été lancée quand les hôpitaux publics parisiens de l'AP-HP ont eux aussi choisi Doctolib pour organiser les consultations. La concurrence, qui a porté plainte, souhaitait aussi pouvoir accéder aux réservations. 

Cette position quasi-hégémonique pose également la question de la gestion des données. Les informations sur l'identité des patients sont stockées sur un cloud de Doctolib, hébergé par l'américain Amazon Web Services. Doctolib va même aujourd'hui un cran plus loin avec "Doctolib Médecins", un nouveau logiciel dans lequel le praticien rentre non seulement l'identité du patient mais aussi toutes ses données médicales, après chaque consultation.

Avec le logiciel 'médecin' on change de niveau. On a tout le dossier médical en ligne, c'est à dire toutes vos données, vos antécédents, vos prises de sang, vos comptes rendus de scanner, d'IRM, d'échographie... c'est sécurisé, mais c'est en ligne.

Jean-Jacques Fraslin, médecin généraliste

à franceinfo

Le docteur Jean-Jacques Fraslin est toutefois enthousiaste sur l'utilisation de ce nouvel outil qui lui fait déjà gagner une heure de travail par jour. Il pourrait aussi demain partager ses données avec le patient et d'autres soignants. 

Une réussite liée au retard des dispositifs publics

Doctolib a pu forger son modèle en se glissant dans les brèches laissées par l'Assurance maladie et les pouvoirs publics. "La puissance de Doctolib est à l'aune de la faiblesse de l'État français depuis quasiment vingt ans à numériser notre système de santé, estime l'économiste de la Santé Frédéric Bizard. Il suffit d'aller sur ameli.fr pour voir qu'on est face à un site qui correspond à un site d'il y a une vingtaine d'années."

Pour l'économiste, "A partir du moment où l'État est incapable de le faire, on pourrait penser qu'un gouvernement se dise : laissons Doctolib compiler et gérer les données de santé à la place de l'Assurance maladie. Mais là, ce serait l'effondrement de notre système de santé. La faute est quand même plus du côté de nos pouvoirs publics que de celui d'un acteur privé qui cherche à se développer."

L'État n'a pas tout à fait abandonné la partie. L'an prochain, il veut généraliser un nouvel outil, "Mon espace santé", qui doit remplacer le dossier médical partagé (DMP). Ce dispositif, lancé il y a une quinzaine d'année avait été un flop total avec moins de 10 millions de Français à avoir ouvert un dossier, qui la plupart du temps était même resté vide. 

"Pas de vocation" à remplacer l'Assurance Maladie

Le directeur général de Doctolib,  Arthur Thirion l'assure : "On n'a aucune vocation à faire le travail de la Caisse nationale d'assurance maladie. On va travailler avec eux, potentiellement dans le cadre de Mon espace santé, mais ce sont deux choses très différentes."

En attendant, Doctolib met un pied dans la porte pour la numérisation des données médicales. Comme pour la vaccination contre le Covid-19, la start-up sait se rendre très utile, voire indispensable quand les pouvoirs publics ne sont pas totalement au rendez-vous.

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