"Dry January" : comment expliquer la prudence des pouvoirs publics pour dénoncer les dangers de l'alcool sur la santé ?
"Pas plus de deux verres d'alcool par jour et pas tous les jours". Voilà le message des autorités sanitaires vu et entendu sur les affiches, à la télévision et à la radio pour informer les Français sur la dose recommandée pour éviter les maladies et les accidents. Malgré ces messages de modération, il n'existe pas en France de campagne de choc, comme pour la sécurité routière ou le tabac, pour dénoncer les effets de l'alcool, substance à l'origine de quelque 50 000 morts chaque année en France. Mais pour autant, la plupart des Français respectent ces recommandations d'après les chiffres de Santé Publique France.
C'est le cas de Joelle, une quinquagénaire parisienne. "Je bois très peu en termes de quantité, un verre de vin par jour. Ne pas boire est plutôt l'exception. Cinq jours par semaine un à deux verres de vin. Pendant très longtemps, et jusqu'à très récemment, j'ai cru qu'en restant dans ces limites recommandées par les autorités sanitaires, je ne courrai aucun danger", explique-t-elle à franceinfo.
L'alcool dangereux, dès le premier verre
Contrairement aux idées reçues, boire peu n'est pas sans danger : un seul verre de vin par jour augmente de 10% le risque de développer un cancer du sein, par exemple. Pour ce qui est des effets antioxydants du vin rouge, attention, il faudrait en boire des hectolitres pour en bénéficier. C'est évidemment à proscrire.
Ce que l'on sait peu, c'est que l'alcool provoque moins d'accidents de la route ou de cirrhose du foie que de cancers : 28 000 par an. En effet, l'alcool, ou éthanol, est une substance cancérigène, présente dans toutes les boissons alcoolisées : vin, bière, whisky, vodka, gin. Dans une vidéo de l'Institut national du cancer, l'oncologue Jean-Baptiste Méric explique comment l'éthanol agit sur notre organisme. "Une fois ingéré, l'alcool va être transformé en acétaldéhyde, une molécule chimique très réactive qui va entrer en contact avec la bouche, le pharynx, le larynx, l'œsophage, et va localement exercer une action de modification de l'ADN et favoriser le développement de cellules cancéreuses", décrypte l'oncologue. Ce qui peut déclencher un cancer du sein, c'est l'action de l'alcool sur nos hormones.
Si les médecins s'accordent sur le fait que l'alcool est nocif, on ne voit pas de message "boire tue" sur les étiquettes des bouteilles, comme pour les paquets de cigarettes. Le gouvernement est beaucoup moins sévère sur l'alcool que sur le tabac. Cela saute d'ailleurs à l'oreille quand on réécoute Aurélien Rousseau, ancien ministre de la Santé, interrogé le 15 décembre dernier sur franceinfo : "Une consommation raisonnable d'alcool ne produit pas de risque sur le long terme, tandis que sur la cigarette, dès la première cigarette, il y a des risques", expliquait-il.
Un ministre de la Santé qui affirme qu'on ne prend pas de risque en buvant raisonnablement : le type de déclaration qui scandalise le président d'Addiction France, le Docteur Bernard Basset pour qui "la pression du lobby de l'alcool est majeure". "En terme de campagne, il n'en fait pas assez, c'est très clair, ce n'est pas nouveau. L'alcool c'est la deuxième cause de mortalité évitable après le tabac, donc c'est forcément une priorité de santé publique pour tout ministre et on voit que dans les faits, ça ne l'est pas", conclut Bernard Basset. Le gouvernement ne veut pas inciter les Français à ne pas boire d'alcool, il se limite à vouloir réduire les risques.
Les grands alcooliers français sont-ils derrière la frilosité de nos dirigeants ? S'il existe en effet un lobby de l'alcool - qui met en avant les 500 000 emplois générés par la filière vin -, il y a aussi les taxes qui entrent dans les caisses de l'Etat. Sauf que l'alcool coûte en réalité beaucoup plus qu'il ne rapporte d'après l'économiste de la santé Frédéric Bizard.
"Il faut dire au président de la République que lever son verre devant des millions de gens, cela coûte un 'pognon de dingue' à la société"
Frédéric Bizard, économiste de la santéà franceinfo
"Quand on met les coûts liés aux années de vies perdues, les dépenses liées à la perte de productivité, les dépenses pour les finances publiques, notamment les coûts des soins, plus les taxes, on est à une centaine de milliards, soit 4 points de PIB de coût", selon Frédéric Bizard.
Il dénonce par exemple que le geste du Président qui a bu une bière "cul sec" au stade Toulousain en juin dernier. Évidemment, cela n'aide pas à faire passer un message de modération. Pourtant, il le faudrait : plus de 20% des Français dépassent encore les plafonds de consommation recommandés, les fameux deux verres par jour maximum.
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