:
Enquête
Airbags défectueux : après des accidents mortels en France, comment expliquer des rappels si tardifs ?
Tom Benquet a bien cru sa dernière heure arriver. Le 15 novembre 2023, le jeune Béarnais de 19 ans est percuté par la voiture qui arrive en face de lui près de Garlin dans les Pyrénées-Atlantiques. L'airbag de sa Citroën C3 se déclenche mais il est pris d'une violente douleur à l'épaule et surtout, il perd beaucoup de sang.
À l'hôpital, les médecins remarquent un objet métallique de deux centimètres, logé dans son épaule. "C'est comme si j'avais pris une balle", raconte Tom. Un voisin mécanicien lui explique aussi que son airbag n'aurait jamais dû tomber à ses pieds et que ce morceau de métal provient visiblement de son mécanisme. Quelques recherches sur internet suffiront à la famille Benquet pour s'apercevoir que Tom est passé tout près de la mort et qu'il est surtout loin d'être la première victime française de ces airbags au nom tristement connu... Takata, en référence à la firme japonaise fabriquant ce matériel censé protéger les automobilistes.
"Le défaut des Takata, c'est qu'en plus d'éjecter le gaz pour gonfler les coussins de l'airbag, la pièce éclate, explique Christian Grosjean, expert automobile en Suisse. Et ces bouts de métal qui partent peuvent par exemple vous transpercer un œil." Mais pourquoi cette capsule éclate ? Elle contient des cristaux de nitrate d'ammonium qui se transforment en gaz très instable, comme lors de l'explosion du port de Beyrouth en août 2020 ou encore de l'usine AZF en septembre 2001. "En plus de ça, la capsule de ces airbags n'est pas étanche. Elle est soumise à l'humidité et aux variations de température. Le nitrate d'ammonium devient donc très dangereux", explique Frédéric Poitou, chimiste et expert juridique. Ces airbags ont d'ailleurs déjà fait des centaines de victimes aux États-Unis depuis le début des années 2000 sous des climats très différents.
Des lanceurs d'alerte aux États-Unis
En 2014, des salariés de chez Takata aux États-Unis avaient révélé à la presse et à la justice américaine que leur employeur cachait depuis des années de mauvais résultats de tests de ses airbags. Le FBI et la NHTSA, l'autorité américaine de la sécurité routière, lancent alors des enquêtes. "Déjà en 2000, des capsules explosaient dans la chambre forte de notre laboratoire à La Grange [dans l'État de Géorgie] pendant les tests pour Honda", explique David Schumann, un ancien ingénieur américain du fournisseur japonais et auteur du livre In your Face, sorti en 2019, avec son collègue Kevin Fitzgerald. Mais leurs supérieurs vont prétendre que les tests se sont bien passés et vont laisser les constructeurs installer des centaines de millions d'airbags dangereux dans leur volant.
Une fois confondu, Takata va écoper d'une amende de plus d'un milliard de dollars et trois de ses cadres seront condamnés pour fraude et conspiration. Croulant sous les dettes et les procès, le fournisseur japonais fait faillite en 2017. Il représente alors 20% du marché mondial. "Cela a occasionné le plus grand rappel de voitures de l'histoire de l'automobile", rappelle Johann Leblanc, journaliste à l'Automobile Magazine "avec au moins une trentaine de constructeurs concernés et plus d'une centaine de modèles de voitures différentes". Cela coûte tellement cher aux constructeurs qu'ils vont échelonner les rappels de véhicules concernés en commençant par les pays chauds et humides. Mais, entre-temps, de nombreux accidents vont se produire.
Pas de mesure de rappels imposée en France
En France, dès 2013, Honda va faire changer les airbags de certains modèles, puis Toyota dès 2015. Mais pas Citroën, qui continue à équiper certaines de ses C3 notamment avec ce fournisseur voyou. "Quand Takata explique en 2014 qu'il a un problème sur sa première génération d'airbags. Tout le monde lui demande : est-ce que tes airbags d'aujourd'hui ont aussi un problème ? Takata commence par dire que non. Évidemment ! Et vous avez envie de le croire ! Parce que sinon, c'est vous qui avez un énorme problème", reconnait un ancien haut cadre de l'industrie automobile en poste à cette époque. Certains constructeurs sont en effet industriellement très dépendants de Takata. Sa cartouche explosive au nitrate d'ammonium était moins onéreuse que d'autres technologies existantes et elle convenait très bien au marché des petites voitures citadines. Renault n'y a pourtant pas recours. Un ancien responsable sécurité du constructeur, également ancien militaire, connait bien les dangers du nitrate d'ammonium et n'en veut pas dans une voiture. Aucune autorité n'imposera de mesure de rappels en France aux constructeurs, contrairement à ce qui va se passer en Chine, en Corée, en Malaisie, au Japon et en Australie. "Ce sont les gouvernements de ces pays qui ont imposé à tous les constructeurs de rappeler leurs véhicules équipés d'airbags Takata entre 2017 et 2019", reconnait Stéphane Cesareo, le directeur de la communication de Citröen.
Une note de la gendarmerie sur le scandale
En janvier 2024, l'avocat de la famille Benquet, Maitre Christophe Arcaute, ne s'attend pas du tout à relancer ce scandale outre-Atlantique quand il est convoqué pour l'expertise du véhicule C3 de son client. "C'est la première fois que je vois un agent du ministère de la Transition écologique se déplacer pour ce genre de rendez-vous. D'habitude, ce sont des experts des assurances", raconte l'avocat du barreau de Pau. Depuis la loi Climat et résilience de 2020, la France est dotée d'un Service de surveillance du marché des véhicules motorisés, le SSMVM, pour lequel cet agent travaille. Le constructeur est déjà dans son collimateur. "Dès l'été 2023, nous avons demandé à Stellantis de prendre des mesures suite à un accident survenu en Grèce, puisque nous pouvons considérer le climat du Sud de la France comme similaire", explique Catherine Bieth, la cheffe du SSMVM. Très bien informé du problème, le constructeur français est mis en cause dans une vingtaine d'enquêtes judiciaires. Il a même été consulté en 2023 par la gendarmerie pour rédiger une note interne sur les accidents occasionnés par les airbags Takata.
Une note dont la cellule investigation de Radio France a pu prendre connaissance. Elle expose succinctement aux gendarmes le scandale Takata avec des photos des percuteurs d'airbags explosés. Elle plaide également pour que lors des contrôles routiers, en particulier dans les départements d'outre-mer, les agents encouragent les propriétaires de véhicules d'avant 2018 à vérifier qu'ils ne font pas l'objet d'un rappel. Mais à l'époque, il n'y a pas de rappels en métropole. Seulement en outre-mer, parce qu'il y a déjà eu de nombreux accidents et que le taux d'humidité des pays tropicaux fait rouiller la capsule de gaz plus rapidement. C'est donc là que les automobilistes sont a priori les plus en danger. Mais l'accident de Tom Benquet va montrer que cela peut aussi se produire en métropole.
"Pourquoi [en outremer] on ne nous considère pas comme des Français à part entière ?"
Il aura fallu attendre plusieurs mois après la mort d'un autre automobiliste dans les Hautes-Pyrénées, près de Lannemezan, pour que Stellantis annonce le 17 mai 2024 une mesure inédite : un "stop drive". Il s'agit d'un courrier, envoyé à près de 300 000 automobilistes français leur demandant de cesser immédiatement de conduire leur véhicule en raison d'un danger mortel. Il fait la même chose dans d'autres pays du sud de l'Europe et au Maghreb. "En 30 ans de carrière dans l'automobile, je n'ai jamais vu de 'stop drive'", avoue un cadre du secteur. Le constructeur est au pied du mur parce qu'il y a de plus en plus d'accidents.
Beaucoup de clients ne parviennent pas à avoir de rendez-vous au garage pour changer leur airbag et se retrouvent sans solution pour aller au travail. C'est la panique. Ils conduisent leur voiture à leurs risques et périls. Les plaintes se multiplient : celle de l'UFC-Que choisir, puis celle d'un collectif emmené par le cabinet Lèguevaques qui rassemble plus de 2 800 plaignants. Une vraie pagaille qui a visiblement coûté en partie son poste de PDG à Carlos Tavares, débarqué le 2 décembre 2024 de la tête de Stellantis. "La première chose que fait un département après-vente est d'évaluer l'urgence, l'importance, la probabilité, le mode de réparation, la quantité de pièces et la date à laquelle on peut annoncer un rappel pour ne pas créer une ruée sur les concessions et une situation ingérable. Si on arrête tout d'un coup et qu'on a des millions de personnes qui sont sans solution de déplacement pendant des mois, on aura peut-être évité 30 accidents ! Il n'y a pas de choix idéal. C'est la peste ou le choléra !", admet un ancien haut cadre de chez Stellantis.
Un choix qui apparait bien cynique aujourd'hui aux membres de l'association Advairbag, qui regroupe les victimes françaises et leurs proches d'une trentaine d'accidents avec des Citroën C3, DS3, Mazda 6, Toyota Yaris, Ford, Volkswagen Polo, Seat Léon et BMW série 3.
Après deux accidents en métropole, Stellantis lance un "stop drive" alors qu'il a fallu attendre 13 victimes en outre-mer pour que le constructeur prenne la même mesure sur place. "Pourquoi on ne nous considère pas comme des Français à part entière ?", tempête Rosemay Sauger, qui a perdu sa fille Emmanuelle dans l'accident de sa DS3 en 2021 à La Réunion. En effet, fin 2020 le constructeur prévient ses importateurs ultra-marins qu'il faut changer les airbags de plusieurs modèles dont des C3 et DS3, mais sans envoyer de courrier alarmiste comme un "stop drive". "Ce qui nous pousse à déclencher ces rappels, c'est le résultat des différentes analyses que nous avons faites par prélèvement dans différentes zones du globe qui montrent que le risque est plus élevé dans les zones chaudes et humides comme les DOM [départements d'outre-mer]", explique Stéphane Cesareo, directeur de la communication de Citroën.
Des courriers pour prévenir des risques... Après le décès de l'automobiliste
Dans chaque territoire ultramarin, le groupe Stellantis donne à ses importateurs les numéros de châssis des véhicules concernés. À eux ensuite de contacter les propriétaires pour les inviter à venir faire changer leur airbag. Des courriers doivent être envoyés en recommandé puis de façon simple. Selon des documents internes de Stellantis auxquels la cellule investigation de Radio France a pu avoir accès, l'objectif est d'atteindre 100% des propriétaires dans les 24 mois alors qu'environ 20 000 Citroën DS sont concernées à l'époque.
Pourquoi des importateurs, comme le groupe Caillé, n'ont pas envoyé de courrier en 2020 à Emmanuelle Sauger-Fite, décédée au volant de sa DS 3 en septembre 2021 à La Réunion, pour qu'elle fasse changer son airbag ? Son mari va recevoir la lettre après sa mort, envoyée par le service après-vente de Stellantis à Poissy (Yvelines). Un cas loin d'être isolé. "À partir de 2021, on a envoyé des courriers en direct aux clients parce qu'on s'est rendu compte que les distributeurs ne faisaient pas leur job et qu'il y avait encore des accidents", raconte un ancien salarié du service après-vente de Stellantis. En effet, grâce à un logiciel interne, le constructeur sait en temps réel combien d'airbags sont changés par ses concessionnaires et importateurs. De son côté, le groupe Caillé n'a pas souhaité nous répondre.
D'autres importateurs mettent en avant le fait qu'ils ont souvent du mal à trouver tous les propriétaires parce qu'ils n'ont pas accès au fichier des immatriculations à cause du Règlement général de protection des données (RGPD). "C'est un mauvais argument. Le fichier des immatriculations est accessible aux professionnels de l'automobile mandatés par les constructeurs en cas de rappels de sécurité", détaille Nacéra Bekhat, juriste à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). En fait, les changements d'airbags se font graduellement chez les constructeurs comme chez leurs importateurs. Nous avons trouvé le cas de deux personnes d'une même famille qui avaient acheté le même jour deux C3 de 2014 au même concessionnaire à La Réunion. L'un a reçu son courrier en 2020, l'autre en 2021. "L'importateur est rémunéré par le constructeur pour faire les rappels, ça ne lui coûte rien. Mais ça ne lui rapporte pas grand-chose non plus. Quand on sature ses ateliers avec une campagne de rappels, on gagne moins que si c'étaient des clients qui venaient faire leur entretien", explique un ancien responsable de zone outre-mer de Stellantis.
Des experts sécurité chez PSA qui alertent dès 2016
Plusieurs enquêtes judiciaires sont désormais en cours pour comprendre le niveau de responsabilité des importateurs. Mais avant 2020 et les résultats de ses tests, que savait Peugeot-Citroën, filiale de Stellantis ? "Nous n'avons pas eu connaissance d'accidents concernant la France", assure Stéphane Cesareo, le directeur de la communication de Citroën. Le constructeur français explique que les modèles vendus, y compris en outre-mer, étaient équipés d'airbags assemblés en Allemagne et pas aux États-Unis où il y avait eu des problèmes. Un argument qui ne convainc pas vraiment David Schumann, le lanceur d'alerte américain de chez Takata. "99% des gonfleurs d'airbags produits par Takata ont été conçus par la même équipe dans le Michigan pour le monde entier. Et y compris pour l'Allemagne", explique le coauteur du livre In your Face sur ce scandale. Dès 2018, Citroën est pourtant concerné par un accident sur le sol français. "Il y a un service chargé des rappels chez nous et il savait qu'il y avait déjà eu un accident sur une C3 en Guadeloupe dès 2018", nous confie un ancien salarié du repreneur de Takata en Allemagne, Joyson Safety System. "Le service avait le numéro de l'airbag, il devait l'analyser et comprendre ce qu'il s'était passé", conclut-il. Comment Citroën pouvait ne pas être au courant ? "Nous avions décidé de lancer la campagne de rappels avant même d'être contactés par les enquêteurs et les experts, suite aux accidents qui se sont produits avant 2020", rétorque Stéphane Cesareo de la communication de Citroën.
Pourtant, des documents internes que la cellule investigation de Radio France a pu consulter montrent que des experts sécurité du groupe ont alerté dès 2016 sur les airbags Takata et les rappels qu'ils pouvaient entrainer. Ils appelaient le constructeur à ne pas les subir. Dans un mail envoyé par un de ces experts en 2019, il explique avoir fait des propositions à plusieurs hauts cadres du comité exécutif de l'entreprise pour remettre de la robustesse et de la qualité dans leur conception. "Il y a une dérive financière de l'industrie au détriment de la rigueur de conception des produits avec de plus en plus de paris techniques insuffisamment validés pour des raisons de planning et de coûts de développement", écrit l'expert dans son mail. Autrement dit : l'aspect financier risque de prendre le pas sur l'aspect technique. Interrogé sur ce point, la direction de la communication de Citroën estime avoir tenu compte de ces alertes internes puisque les rappels ont été lancés. Il a cependant fallu attendre quatre ans pour envoyer les premiers courriers aux automobilistes.
Des accidents d'airbags sans doute passés sous les radars en Martinique
Selon les informations recueillies par la cellule investigation de Radio France auprès des médecins légistes ultra-marins, il y a eu au moins 15 décès en France dont 14 en outre-mer. La moitié des victimes conduisait des C3, les autres étaient à bord de DS3, Mazda, Toyota, Ford, et Volkswagen. Le plus ancien accident identifié remonte à 2016 sur l'île de La Réunion. Le médecin légiste Jean-Marie Berthezène se souvient d'un examen demandé par les gendarmes du Tampon après la mort d'une jeune femme qui roulait à très faible allure. "On a constaté une plaie assez large sous le menton. Ça nous a surpris, donc on a réalisé un scanner. Et il a révélé la présence d'un corps étranger cylindrique dans le cerveau, de deux à trois centimètres. On est à peu près sûr que c'est le percuteur de l'airbag", raconte le chef de l'Institut médico-légal de La Réunion.
Cette affaire n'a jamais été judiciarisée. La famille a voulu inhumer le corps rapidement sans avoir conscience que le décès n'était peut-être pas lié qu'à un simple malaise au volant. La Réunion compte cinq accidents avec deux décès, il y en a eu quatre en Guyane, dont deux en 2024. La Guadeloupe est la plus touchée par ces accidents d'airbags avec 14 procédures judiciaires dont sept pour homicides involontaires. Aucun cas n'est connu en Martinique. "Pendant longtemps ce sont les légistes de Guadeloupe qui se déplaçaient pour aller faire les autopsies en Martinique, explique le docteur Tania Foucan, médecin légiste au CHU de la Guadeloupe. On ne les faisait pas venir pour tous les accidents de la voie publique, seulement pour des homicides bien particuliers." Il est donc possible que certains accidents liés aux airbags soient passés inaperçus en Martinique.
La fausse piste des tirs par armes à feu
Longtemps, la piste des airbags a été négligée dans l'origine de certains décès ou blessures graves. C'est ce qui s'est passé en décembre 2019 à La Réunion. Au volant de sa C3, Elisa suit la voiture son ex-petit ami. Elle le percute alors qu'il freine au niveau d'un ralentisseur. Le choc n'est pas très fort, mais il déclenche l'airbag qui lui arrache la mâchoire dans un grand bruit. Des passants croient à un coup de feu. L'airbag passager s'est aussi déclenché projetant en avant son éclat d'acier qui fait un trou dans le pare-brise. Le procureur va alors ouvrir une enquête pour tentative de meurtre. Le petit ami d'Elisa est interpellé mais aucune arme n'est retrouvée. Quelques mois plus tard, en août 2020, un expert judiciaire rend un rapport au procureur où il détaille l'explosion de l'airbag Takata de la C3 de la jeune femme. Malgré cela, l'affaire est classée sans suite.
Même chose en mai 2023, Evelyne va être victime de son airbag en Guadeloupe, alors que sa petite-fille est à bord de la voiture. Les pompiers, voyant le trou dans le pare-brise et la gravité de ses blessures pensent, là encore, à un tir par arme à feu. Une polémique va même agiter l'Assemblée nationale sur la circulation des armes en outre-mer. Le procureur de Basse-Terre va alors clarifier les choses et préciser dans une conférence de presse que c'est bien l'airbag qui est en cause. Mais cette fois, le dossier est transmis à un juge d'instruction pour homicide involontaire.
C'est à partir de ce moment-là, en mai 2023, que Stellantis va envoyer des courriers demandant de cesser immédiatement de conduire leurs véhicules ("stop drive") à certains propriétaires ultramarins. Trop tard pour Tristan Guérin, tué quelques jours après Evelyne, en Guadeloupe, là encore par l'airbag de sa C3. "On se demande pourquoi les constructeurs, la justice et l'Etat ont mis autant de temps à réagir", tempête son père Bruno Guérin, président de l'association Advairbag. De son côté, l'avocat de l'association plaide depuis longtemps pour que la justice regroupe les différentes affaires, notamment des Antilles et de Guyane. "Une enquête unique pourrait apporter une réponse plus forte aux victimes", estime Maitre Charles-Henri Coppet, qui défend aussi 16 familles dont 7 victimes décédées.
Des airbags qui se déclenchent tout seuls ?
Une autre question se pose, en marge de ce scandale des airbags Takata. Est-il possible qu'ils se déclenchent spontanément, sans le moindre choc ? Le directeur de la communication de Citroën, Stéphane Cesareo, le dément catégoriquement : "En aucun cas, l'airbag ne se déclenche tout seul ! C'est forcément consécutif à un accident." Pourtant, plusieurs cas sèment le doute. Ainsi, Clémite Belfine se trouvait sur la route juste derrière la C3 de son amie Evelyne en mai 2023 à Gourbeyre, en Guadeloupe. "J'ai entendu un grand boom. J'ai cru que son pneu avait explosé parce que juste après la voiture est partie sur le bas-côté ", témoigne Clémite qui a recueilli la petite-fille de la victime couverte de sang, juste après l'accident. Aux Etats Unis, la NHTSA, l'autorité de la sécurité routière, a confirmé à la cellule investigation de Radio France enquêter sur ce qu'elle appelle des "déploiements spontanés" des airbags. L'analyse des boites noires de plusieurs véhicules accidentés, en cours d'examen par la justice permettra également peut-être d'y voir plus clair. Et de savoir notamment ce qui s'est réellement passé lors du dernier accident recensé en Guadeloupe, le 8 décembre 2024. Emilie a perdu le contrôle de sa Polo de 2012 pour une raison encore inconnue. Elle a été tuée par son airbag, le visage criblé par des pièces métalliques.
Au moins 500 000 automobilistes concernés par des rappels potentiels de véhicules
Le conjoint de cette dernière victime connue, Valery, travaille dans le secteur automobile en Guadeloupe. Il était bien conscient des risques de ces airbags. "J'avais fait vérifier plusieurs fois en 2024 par mes collègues de chez Volkswagen si mon véhicule et celui de ma femme étaient concernés par un rappel sécurité et ils ne l'étaient pas", explique-t-il à la cellule investigation de Radio France.
Depuis, Volkswagen a fait publier le 23 décembre 2024 dans France-Antilles un communiqué pour inciter les conducteurs de certains modèles comme des Passat, des Polo et des Golf de 2006 à 2017 à ramener leur véhicule au garage. Pourquoi ces automobilistes n'ont pas été prévenus plus tôt qu'ils avaient des airbags Takata au nitrate d'ammonium potentiellement dangereux ? Sollicité pour cette enquête, le Service de surveillance du marché automobile du ministère français des Transports (SSMVM) a annoncé qu'il allait créer début janvier 2025 une page internet dédiée aux modèles et aux marques concernés par ces rappels pour alerter les automobilistes. Il estime qu'il y a encore 100 000 automobilistes outre-mer qui n'ont pas contacté leur concessionnaire pour changer l'airbag.
Selon un décompte fait auprès d'une vingtaine de marques concernées par ce rappel, la cellule investigation de Radio France estime qu'au moins 500 000 automobilistes sont dans ce cas dans la France entière. Certains constructeurs comme Ford, BMW, Audi, Volkswagen et Seat n'ont pas souhaité donner cette information. Ils sont encore moins prolixes lorsqu'on leur demande combien de véhicules ont des airbags Takata au nitrate d'ammonium. "Chaque constructeur est responsable des listes de véhicules qui se rapportent aux rappels qu'ils déclarent. Je vous mentirais si je vous disais que j'étais complètement sûre que tous les véhicules ont fait l'objet d'un rappel", reconnait Catherine Bieth, responsable du service de surveillance du marché automobile.
Une nouvelle génération d'airbags tout aussi dangereuse
Si Takata a fait faillite en 2017, le scandale est loin d'être terminé. En effet, après ses premiers échecs en laboratoire pour tester ses airbags, Takata a ajouté un agent déshydratant dans la capsule explosive de sa seconde génération d'airbags afin qu'ils résistent plus longtemps aux tests des constructeurs. Mais le problème reste identique une fois l'agent saturé d'humidité : le nitrate d'ammonium est de nouveau instable et le résultat peut être le même. "La deuxième génération des airbags Takata est aussi dangereuse que la première", affirme David Schumann, le lanceur d'alerte américain de chez Takata. En plus des 100 millions d'airbags de première génération, Takata a fabriqué encore 100 millions d'airbags avec cet agent déshydratant. C'est donc aussi cette nouvelle génération qui est en cause dans les accidents d'aujourd'hui. En tous cas, quand le véhicule a été construit après 2008.
Les constructeurs ont-ils vraiment rappelé tous les véhicules sur lesquels ils ont installés des airbags au nitrate d'ammonium ? Comment le savoir ? "Il faut demander à son concessionnaire de regarder quelle est la marque de votre airbag et qu'il vous signe une décharge ensuite pour garantir qu'il est bien conforme. Quitte à payer de sa poche ce diagnostic", explique Valéry qui vient d'enterrer son épouse.
En novembre 2024, plusieurs députés grecs, italiens et maltais ont posé des questions à la Commission européenne pour savoir comment elle entendait protéger les consommateurs concernés. Interrogée également par la cellule investigation de Radio France, la Commission européenne renvoie la responsabilité aux autorités de chaque État membre. Pas sûr que cela suffise à éviter de nouveaux accidents en 2025.
Alerter la cellule investigation de Radio France :
Pour transmettre une information à la cellule investigation de Radio France de manière anonyme et sécurisée, vous pouvez cliquer sur alerter.radiofrance.fr
Lancez la conversation
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.