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Environnement : la Bretagne désemparée face l’invasion des algues vertes

Certaines plages de la baie de Saint-Brieuc (Côtes-d'Armor) sont entièrement tapissées d’algues vertes, au grand dam des habitants car quand elles pourrissent, elles dégagent des gaz toxiques.

Article rédigé par franceinfo - Luc Chemla
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Des algues vertes en baie de Saint-Brieuc (Bretagne). (LUC CHEMLA / RADIO FRANCE)

À Binic (Côtes-d'Armor), commune touristique de 7 000 habitants de la baie de Saint-Brieuc en Bretagne, le constat est terrible sur les cinq plages. "Depuis 2009, on n’a jamais connu une telle année avec autant d’échouages, se désole le nouveau maire sans étiquette, Paul Chauvin. Toute la plage est couverte, la plage est verte. Ca fait des hectares !" 

Et pourtant chaque matin depuis juillet, les équipes de la ville s’activent avec des engins de chantier pour ramasser ces algues vertes car en pourrissant, elles dégagent une odeur nauséabonde et un gaz potentiellement mortel.

"Ils enlèvent tout ce qu’ils peuvent. Quand ils ont fini leur ramassage, on a des plages propres. Et puis la marée suivante redépose des algues dans la même journée."

Paul Chauvin, maire de Binic

à franceinfo

"D’où une impression de travail de titans, décrit Paul Chauvin, et une incompréhension totale des habitants qui viennent l’après-midi, voient des plages complètement vertes et demandent ce qu’on fait". Le constat est sans appel : depuis le début de l'été, 832 tonnes d’algues vertes ont été ramassées sur les plages de Binic, soit quatre fois plus que l’an dernier.

Des algues vertes échouées sur la plage de la Banche à Binic-Etables-sur-Mer, dans la baie de Saint-Brieuc, dans les Côtes d'Armor. (LUC CHEMLA / RADIO FRANCE)

Et d'autres communes sont évidemment concernées comme Hillion, toujours près de Saint-Brieuc où deux plages sont actuellement fermées.  

La faute à la météo. Elle a offert cette année des conditions parfaites aux algues vertes pour proliférer. "On est arrivé en avril avec le printemps le plus lumineux qu’on ait eu depuis des années. Beaucoup de soleil, ça fait une grosse croissance de début de saison, explique Sylvain Ballu, chef de projet surveillance au Ceva, le centre d'étude et de valorisation des algues. Normalement, elle [l'algue] doit commencer à tirer la langue à partir du mois de mai ou juin, et là, on a eu un regain avec des pluies très intenses. L'équivalent de deux mois et demi de pluie entre le 15 juin et le 15 juillet. À ce moment-là, on redonne du fertilisant aux algues vertes, ce qui fait qu’elles ont refait une croissance."

La météo mais aussi l'agriculture, facteurs favorisants

Selon les premières données du CEVA, 2021 s'annonce comme une des années record dans les côtes d’Armor et le nord du Finistère. Les superficies recouvertes par les couches d’algues vertes pourraient être d’un niveau supérieur de 50 % à la moyenne depuis près de 20 ans.     

Les algues vertes se nourrissent de nitrate. Or le monde agricole utilise des fertilisants riches en nitrate dont une partie fuit vers les cours d'eau et ensuite la mer. Le taux a baissé ces dernières années car certains agriculteurs ont changé leur méthode de production mais ce n'est pas encore assez. Pour y arriver, le maire de Binic, estime que l’État doit beaucoup plus soutenir les agriculteurs. "C’est ça qui n’est pas à la hauteur aujourd’hui, qui n’a pas pu porter ses fruits. On ne peut pas demander à des professionnels de s’engager sur une voie sans avoir de certitudes de maintien de leur revenu."

"L’État leur a promis un accompagnement qui n’a pas été à la hauteur. Il y a des agriculteurs qui se sont engagés sur des productions différentes qui n’ont toujours pas eu leur subvention."

Paul Chauvin

à franceinfo

Face au problème, Paul Chauvin a d'ailleurs fait voter il y a un mois, une motion à son conseil municipal appelant les pouvoirs publics à prendre leurs responsabilités, avec notamment des mesures immédiates à la hauteur des enjeux. "Quand il y a eu par le passé ces phénomènes de marée noire, l’État a tout de suite mis des moyens. On aimerait que pour les marées vertes, les algues vertes il y ait les mêmes moyens. Les algues continuent à proliférer sur nos côtés et on s’en fout. C’est inadmissible, c’est un écœurement et une colère", se désespère l'élu.

De son côté, le préfet de Bretagne, Emmanuel Berthier, a annoncé en septembre que l’État allait mobiliser des moyens supplémentaires et proposer notamment "des contrats de trois ans" aux producteurs et coopératives agricoles pour les inciter à faire baisser le taux de nitrates dans l'eau. Mais changer les méthodes agricoles risque de prendre des années.

L'entrée du Ceva, centre d'étude et de valorisation des algues (Pleubian). (LUC CHEMLA / RADIO FRANCE)

Selon Sylvain Ballu, il existe des solutions, non pas pour éradiquer le problème, mais au moins pour l'atténuer ou aider, comme, par exemple, des nouvelles techniques de ramassage . "Pour l’instant, on ramasse uniquement les algues qui sont en gros paquets en haute-plage parce que ce sont celles qu’on arrive à ramasser avec les outils de travaux publics, note ce chef de projet surveillance au Ceva. 

"Mais avec des outils plus adaptés qui vont ramasser par exemple, les algues flottantes, on pourrait essayer de cibler les périodes où il n’y en a pas beaucoup, propose le chercheur. On pourrait aider le système à se débarrasser de ses stocks en essayant d’enlever à des périodes-clés des biomasses pour éviter qu’il y en ait trop qui soient présentes à nouveau en mars-avril où les conditions deviennent très favorables à la croissance.

"Ça peut être une voie pour arriver à court terme à supprimer une partie des symptômes et même peut-être arriver à faire en sorte que la marée verte ne s’exprime pas de façon aussi massive qu’actuellement." Pour Sylvain Ballu, la France est la championne en Europe des algues vertes mais d'autres pays européens sont également touchés comme le Royaume-Uni, l’Irlande ou encore l’Italie.  

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