Livraisons en moins de 10 minutes : "Dans cinq ou dix ans ce sera la norme"
Avec le confinement, beaucoup de Français ont eu recours à la livraison. Désormais, certaines entreprises proposent de tout livrer, y compris votre baguette, en moins de 10 minutes. Une solution de facilité et un "business de la flemme" qui marche bien.
De nouvelles start-up bouleversent le marché de la livraison alimentaire. En un clic, elles livrent vos courses en 10 minutes chrono, sept jours sur sept, 24 heures sur 24. On appelle ça le "quick commerce" ou la livraison ultra-rapide, et ces pratiques ont explosé avec la crise sanitaire.
Pour comprendre comment ça marche, il faut se rendre dans un "dark store", un supermarché où vous ne verrez jamais de clients. Ces petits entrepôts au coeur des villes sont conçus uniquement pour la vente en ligne. On y trouve des "pickers", (préparateurs de commandes). Dès que la commande tombe, la course contre la montre commence : "Le picker a seulement deux minutes pour préparer sa commande. Chaque minute compte. Le défi est toujours là", explique l'un des employés. Puis ce sont les "riders" (les livreurs), comme Alpha, qui prennent le relais. Après avoir mis son casque, rangé les courses dans son sac à dos, il enfourche son vélo électrique et le chronomètre est lancé : "C'est un petit challenge parce qu'il faut le faire en 10 minutes." À l'arrivée, Alpha regarde son chrono : "9 minutes et 38 secondes. Il faut que je le valide avant d'arriver. Là je compose le code puis c'est au sixième étage, sans ascenseur, porte droite."
"La dernière fois que j'ai commandé, j'ai été livré plus rapidement que si j'étais descendu moi-même faire les courses"
Yannick, utilisateur de ces plateformes de commandes en ligneà franceinfo
Derrière la porte, Margaux s'est fait livrer une baguette : "Je trouve ça absolument génial de pouvoir se faire livrer le repas du midi tout en continuant à télétravailler." À la question de savoir si elle n'avait pas le temps d'aller à la boulangerie, elle répond : "Je suis en visio de 8 heures jusqu'à 19 heures. Les joies du télétravail."
Autre quartier, il est 20 heures cette fois. Yannick vient de récupérer sa petite commande : "Je voulais me faire une soupe mais il me manquait de la crème fraîche." Quant à savoir si les livraisons en moins de 10 minutes ne vont pas trop loin, Yannick répond : "Il ne faut pas être dramatique. Vivons avec notre temps et regardons vers l'avant et non pas vers l'arrière. Le progrès tout simplement." Le progrès à moindre frais, les produits ne sont en effet pas beaucoup plus chers. La course coûte le prix d'un ticket de métro : autour de deux euros.
Une quinzaine de sociétés présentes sur le marché
En six mois, une quinzaine d'entreprises sont arrivées sur le marché français et se sont installées dans les grandes villes comme Paris, Lille, Lyon, Nice, ou encore Marseille. La plupart sont étrangères. On trouve des sociétés allemandes comme Flink ou Gorillas mais aussi des sociétés turques, russes, britanniques. Dans le lot, une seule start-up française Cajoo. Elles reposent toutes quasiment sur le même modèle : des coûts fixes réduits au maximum et une chaîne logistique complètement repensée. "On a intégré toute la chaîne logistique dans notre activité", explique Charles d’Harambure, le directeur général de Flink, filiale d’une société allemande arrivée en mai dernier sur le marché français et dont le slogan est "Livré.Délivré". "On achète nos produits à des grossistes, des centrales d’achat et des marques en direct. On stocke nos produits dans nos propres magasins et on livre nos produits avec notre propre flotte de coursiers salariés, détaille-t-il. La grande différence que l’on apporte, c’est qu’avec nous, pas besoin de prendre rendez-vous avec son livreur comme c’est le cas avec des chaînes de distribution classiques. Nous, c’est à la demande. Votre livreur arrive 10 minutes après votre commande."
Maîtriser toute la chaîne logistique ça nous permet de gagner du temps
Charles d'Harambure, directeur général de Flinkà franceinfo.
C'est ce que veulent ces urbains, ces jeunes âgés entre 20 et 40 ans et ultra-connectés qui veulent tout, tout de suite, sans contrainte. Ce que les spécialistes appellent le "business de la flemme" et qui va avec son lot de contradictions, selon Véronique Varlin de l'Observatoire de la société et consommation : "Ça traduit vraiment le tiraillement de l'individu contemporain. D'un côté une quête de sens, aller dans le sens de la réalisation personnelle, donner du sens à l'acte de consommer puisque les consommateurs souhaitent de plus en plus se saisir de cet acte pour lui donner une portée presque politique. Ils ont bien compris que c'était un moyen d'agir sur leur environnement, sur le monde, le cours de la société etc. Et de l'autre côté, ça traduit un plaisir à se laisser-aller, à lâcher prise, à aller du côté de la facilité, peut-être même de la paresse. On est tous un peu flemmards et donc ça pointe aussi des sortes de contradictions internes qui ne vont pas forcément dans le sens de ce que les gens désireraient au fond, mais dont ils ont du mal à se déprendre."
"Ça va prendre un peu de temps pour évangéliser les gens"
Henri Capoul, 28 ans, est patron de Cajoo. Selon lui, sa société ne fait que répondre aux désirs des 150 000 personnes qui ont téléchargé l'application : "L'image un peu facile qu'on peut se faire des utilisateurs d'un tel service, c'est celui qui est devant sa télé, sur son canapé, qui commande et qui ne bouge pas. En revanche, ce qu'on voit à travers nos utilisateurs, c'est que ce sont des personnes qui n'ont pas forcément beaucoup de temps, qui travaillent beaucoup et qui ont envie - quand ils ont du temps libre - de le passer à cuisiner, ou avec des amis à un apéro, ou bien à passer plus de temps à travailler et à s'avancer plutôt que de perdre 45 minutes à aller faire leurs courses. Ce sont dans ces moments-là qu'on apporte une vraie solution aux consommateurs et je pense que ça peut faire peur parce qu'il y a beaucoup de gens qui ne comprennent pas. Ça va prendre un peu de temps aussi pour évangéliser les gens mais je suis convaincu que dans cinq ou 10 ans ce sera la norme."
"La flemme fait partie des raisons pour lesquelles nos clients nous choisissent, souligne pour sa part le directeur général de Flink, Charles d'Harambure. C’est vrai que quand il pleut des cordes et que pour le prix d’un ticket de métro, vous pouvez vous faire livrer vos packs d’eau et packs de bière, ça intéresse…C’est pour ça que ça marche bien. On les délivre de la charge que représentent les courses et ça leur dégage du temps pour faire autre chose que passer du temps dans un supermarché." À l'heure où le e-commerce représente 9% des ventes, la livraison ultra-rapide est un pari sur l'avenir même si, pour l'instant, le modèle économique n'est pas rentable.
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