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Football : pourquoi le modèle économique des "grands stades" fonctionne-t-il à l'étranger, mais pas en France ?

À Bordeaux, Paris ou Le Mans, de grandes enceintes construites ces dernières décennies affichent un bilan financier alarmant. Le Covid-19 n'est pas en cause mais plutôt le système de partenariat public-privé.

Article rédigé par franceinfo - Winny Claret
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7min
Le stade Matmut Atlantique de Bordeaux (Gironde), en octobre 2018. (LOUIS DE BERGEVIN / FRANCE-BLEU LOIRE OCÉAN)

Pour comprendre l'origine de la désertion des stades, il faut se rendre en Gironde. En 2010, la France est désignée pays organisateur de l'Euro de football 2016, ce qui pousse plusieurs villes à construire de nouveaux stades, plus grands. À Bordeaux, le Matmut Atlantique, qui a coûté 220 millions d'euros, ouvre en 2015. L'espace manque dans le centre-ville, alors l'édifice sportif est installé au nord, dans le quartier de Bordeaux-Lac, difficile d'accès. Résultat aujourd'hui : le stade est à moitié vide. 22 000 spectateurs en moyenne vont voir les Girondins de Bordeaux jouer en Ligue 1 cette saison, sur 42 000 places.

"Ce n'est pas une super ambiance"

Le Matmut Atlantique sonne creux, comme le décrivent ces paroles de supporters des Girondins de Bordeaux : "C'est morose. Ce n'est pas une super ambiance, vu les matchs qu'ils nous font, ce n'est pas super", "C'est un peu triste, mais ça va aussi avec le niveau de jeu de l'équipe. Forcément, ça ne donne pas envie aux supporters de venir quand il n'y a pas de beaux résultats", "Il se remplira si les joueurs arrivent à avoir un niveau et s'il y a un peu plus d'investissement au niveau de tout ce qui l'accompagne. Je préférais Chaban, [le stade Chaban-Delmas, proche du centre-ville accueille désormais comme résident le club de rugby l'Union Bordeaux Bègles] il y avait une ambiance un petit peu d'arène, c'était beaucoup plus électrique, beaucoup plus passionné. On verra si ça redevient comme ça à un moment donné."

C'est triste pour l'ambiance mais c'est surtout problématique pour les finances du stade. En six ans, l'exploitant enregistre un déficit de 15 millions d'euros. Et il tire la sonnette d'alarme : il faut revoir le contrat avec la Métropole de Bordeaux qui est propriétaire.

Selon le président de Bordeaux Métropole, Alain Anziani, le modèle économique n'est pas le bon : "L'idée qu'un stade aujourd'hui puisse vivre uniquement avec des recettes de billetterie est une idée fausse. Si on dit simplement 'il suffit de faire venir des spectateurs dans un stade pour arriver à couvrir les charges', on n'y arrivera pas, ou alors il faut augmenter de façon très significative le montant des billets."

"Il faut qu' un stade puisse générer d'autres types de ressources que les recettes du guichet."

Alain Anziani, président de Bordeaux Métropole

à franceinfo

La société exploitante, qui est notamment détenue par le groupe Vinci, fait le même constat. Elle défend évidemment l'existence du stade : sans lui, il n'y aurait pas eu de matchs de l'Euro dans le Sud-Ouest ni d'énormes concerts comme ceux de Muse ou Mylène Farmer. Le problème c'est le déséquilibre de ce partenariat public-privé. Au départ, le club des Girondins de Bordeaux devaient être plus investi. C'est ce qu'explique Loïc Duroselle, le président du stade Matmut Atlantique : "Il était prévu que l'exploitation soit mutualisée avec les Girondins de Bordeaux, ça n'a pas du tout été le cas. Aujourd'hui, on a chacun nos équipes commerciales, nos équipes de régie, nos équipes de communication, on doublonne et donc ça, c'est pas un modèle qui est tenable dans la durée. Et donc, il faut qu'on revienne à ces fondements du contrat et je pense, ce sera gagnant pour tout le monde."

Le Stade de France ne satisfait personne

Il y a d'autres stades dans le même cas, comme Le MMArena au Mans, inauguré en 2011. C'est le premier stade, en France, à avoir adopté le nom d'une entreprise, celles des assurances qui lui versent près d'un million d'euros par an. C'est ce qu'on appelle le "naming". Sauf que dix ans plus tard, MMA décide de se retirer. Le stade ne fait pas le plein, après des années de dégringolade sportive et financière du Mans Football Club. Une mauvaise nouvelle pour la ville du Mans qui doit compenser les pertes.

Le cas le plus emblématique est sans aucun doute le Stade de France. L'un des plus iconiques d'Europe, construit pour le Mondial 1998. L'emblème du football français ne satisfait personne : ni l'État qui est propriétaire, ni ses partenaires, à commencer par les Bleus, ni la Fédération française de football qui doit verser huit millions d'euros parce que l'équipe de France joue quatre fois par an à Saint Denis. Cela coûte deux millions d'euros par match à la FFF. Pour Noël le Graët, le président de la Fédération, pas question de renouveler ce contrat qui se termine dans deux ans : "On paye deux millions et on a rarement deux millions de recettes. Si on ne gagne pas d'argent sur notre propre spectacle parce que c'est nous qui le créons, on n'équilibre pas ce que nous devons au Stade de France."

"Le Stade de France, je n'ai rien contre, c'est le modèle économique qui ne nous convient pas."

Noël Le Graët, président de la FFF

à franceinfo

De son côté, l'État doit se poser la question plus globale de l'avenir du Stade de France puisque la concession de 30 ans signée avec Vinci et Bouygues touche à sa fin en 2025. Un rapport doit être remis en janvier 2022 pour trouver la meilleure option pour la suite. Le gouvernement aura deux priorités : le stade doit rester une enceinte sportive tout en pesant moins sur les finances publiques. La facture atteint plusieurs centaines de millions d'euros depuis 1995, entre l'entretien du stade et surtout les indemnités payées à l'exploitant.

Un modèle qui marche en Angleterre et en Allemagne

Selon le journaliste indépendant Jérôme Latta, qui a beaucoup travaillé sur la question, l'erreur de départ dans ces projets de stade a été de copier le modèle anglais ou allemand. Des pays où les stades se remplissent toujours, même dans les plus petits clubs. En France, cela dépendra toujours de l'état de forme d'une équipe. Sans victoire, pas de public et donc de grands stades vides. Un modèle économique trop risqué pour les clubs sans le soutien de l'État et des collectivités.

Le financement public des stades n'est cependant pas nécessairement une mauvaise chose, juge Jérôme Latta : "Les financements directs ou indirects des collectivités locales, ça permet de maintenir un lien organique avec les clubs, d'éviter que ça devienne des entités privées aux mains de propriétaires qui ne vont plus du tout considérer ces clubs comme des patrimoines historiques, collectifs, culturels, locaux, enracinés dans leur territoire." Pour le journaliste, la seule solution c'est de revenir à des tailles de stades plus modestes pour retrouver l'ambiance électrique des matchs, peu importe l'affiche.

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