"Il n'y a pas plus de monde et on a moins d'argent" : après un été difficile, les festivals s'interrogent sur leur avenir
Stromae, Clara Luciani, Angèle, Orelsan... Vous les avez applaudis cet été sur les plus grandes scènes des festivals, enfin de retour après plusieurs années quasi-complètes d'arrêt en raison de la pandémie de Covid-19. Le public était bien là, mais en coulisses, la plupart de ces grands événements ont vécu l'enfer.
Petit retour en arrière : nous sommes le jeudi 14 juillet vers 23 heures, la première journée des Vieilles Charrues a été un franc succès, Stromae conclut la fête sur la grande scène. Pourtant, 24 heures plus tôt, des éléments de la scène manquaient à l'appel, égarés dans des camions quelque part en Europe. Le directeur Jérôme Tréhorel le dit franchement : le festival a bien failli ne pas ouvrir à l'heure.
Hausse de l'énergie, inflation, pénurie de matériel et de personnel : "Tout ça, on l'a eu, on l'a vécu, ça n'a pas été pas simple et ça a perturbé complètement notre organisation, notre modèle économique aussi. On va être sur des augmentations budgétaires très conséquentes. On parle de 10, 20 voire 30% d'augmentation."
"Cette année, ça passe, c'est génial. Mais demain, comment on envisage la suite ?"
Jérôme Tréhorel, directeur des Vieilles Charruesà franceinfo
Il résume l'équation par cette formule lapidaire : "Il y a davantage de concerts proposés, ils sont plus chers de manière générale, il n'y a pas plus de monde et on a moins d'argent."
Un mois et demi plus tard, son collègue de Rock en Seine Matthieu Ducos faisait le même constat : "Je crois qu'il n'y a malheureusement pas de coût à la baisse. Il y a quelques soucis parfois pour trouver du matériel, des prestataires ou du personnel." Et quand, comme ces deux festivals, on a fait le choix de rallonger la durée de l'événement, et de soigner l'affiche comme jamais, l'équilibre est précaire.
Un tunnel de concerts et un manque de main-d'œuvre
Le secteur subit comme les autres les ravages de l'inflation mais ce qui revient surtout, ce sont les manques. Après le Covid-19, toute l'industrie musicale a repris d'un seul coup avec un tunnel de concerts. "Ils n'avaient pas envisagé la pénurie de main d'œuvre parce que finalement, on a tous redémarré en même temps : les tournées, les stades, les festivals, explique Malika Séguineau, directrice générale du Prodiss, le syndicat représentatif du secteur. Il a fallu recruter massivement un certain nombre de techniciens au même moment. Et que quand il n'y a plus de techniciens compétents, on ne peut pas aller à la boîte d'intérim du coin."
Surtout, beaucoup de salariés et d'intermittents sont partis voir ailleurs avec la pandémie. Un savoir spécifique s'est perdu, récupéré par des secteurs plus rémunérateurs. Petit détour par l'Alsace : avec son entreprise Stacco, Raymond Schweitzer est le leader national du montage de scène. Il fournit les plus gros festivals depuis 40 ans. Mais cet été, selon lui : "Aucun festival n'a réussi à nous fournir la qualité et la quantité de techniciens. Mais nous aussi, on a aussi été incapable de trouver les équipes habituelles sur la quantité et sur la qualité. Ce serait de la magie que ça fonctionne, donc bien sûr qu'il y a du retard. Bien sûr qu'il y a des éléments qu'on ne maîtrise pas. Je pense que le cauchemar a été pour les organisateurs et l'enfer pour le dirigeant que je suis."
Raymond Schweitzer a son avis sur la solution : "Je pense qu'il faut revoir complètement le système de l'intermittence du spectacle. Nous formons des gens pour qu'ils aient un métier, tout ça. Et regardez sur l'été ils peuvent se rendre n'importe où et l'on se retrouve complètement démuni." En attendant, Stacco est en litige avec plusieurs festivals. L'entreprise demande pour des impayés plusieurs dizaines de milliers d'euros aux Vieilles Charrues, encore échaudés par les failles dans le montage de la scène. L'affaire est loin d'être réglée.
Une hausse des coûts sans pouvoir augmenter le prix des billets
Le public semble plutôt au rendez-vous, même s'il y a eu des ratés cet été, les problèmes se superposent. D'où cette analyse de Jean-Paul Roland, le patron des Eurockéennes, qui, en plus, a dû annuler cet été deux soirées sur quatre après le passage d'un orage. "C'est vrai qu'on ne doit pas cacher quand même qu'il y a une grande interrogation sur les nouveaux usages du public, admet Jean-Paul Roland. Le fait d'acheter son billet plus tardivement. Il y a eu beaucoup de reports de concerts. On est quelque part entre une sur-offre et l'effet ciseau avec une inflation et le coût de la vie qui a augmenté."
Le Prodiss était à Biarritz il y a quelques jours pour rassembler tous les acteurs de la filière en assemblée générale. Il était urgent de se parler, de trouver des portes de sortie sans que le public ne soit lésé. "L'ensemble de ces coûts, on ne peut pas le répercuter sur le prix du billet, développe Malika Séguineau. On sait qu'il y a quelque chose qui est extrêmement symbolique. On n'y arrive pas, on ne peut pas le faire."
"On est un peu sans solution aujourd'hui. La grande majorité de nos adhérents nous disent cet été qu'il faut 96 à 97% de remplissage pour que ce soit à l'équilibre. C'est-à-dire que le prochain choc, on ne le passe pas."
Malika Séguineau, directrice générale du Prodissà franceinfo
La ministre de la Culture réunira des représentants des festivals le 3 octobre. Avec la fin des aides d'État pour affronter la pandémie, la situation est alarmante. Il faut recruter d'urgence en espérant que l'inflation ne tue pas les événements déjà à la hausse. C'est la saison 2023 qui se joue dès aujourd'hui.
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