La viande artificielle est-elle l'avenir de l'alimentation ?
Selon ses promoteurs, cette viande pourrait notamment réduire les gaz à effet de serre et la souffrance animale. Mais pour des scientifiques, le procédé ne reproduit pas encore la complexité d’un tissu musculaire.
De la viande artificielle bientôt dans votre assiette ? La technologie est encore expérimentale mais Singapour vient d'autoriser la vente de morceaux de poulet artificiels dans ses restaurants, les autorités sanitaires ont donné leur feu vert la semaine dernière. C'est une première mondiale, explique la start-up américaine qui est à l'origine du projet.
"Un procédé beaucoup plus propre et plus sûr"
C'est un marché juteux, sans mauvais jeux de mots. De la viande, l'humanité en a toujours mangé, et comme nous sommes de plus en plus nombreux, il en faut toujours plus. On estime que la consommation de viande mondiale devrait augmenter de 70% d'ici 2050, ce qui n'est pas sans poser quelques problèmes, pour la planète notamment. L'élevage intensif est une source de méthane, un gaz à effet de serre. Il engendre aussi de la déforestation car il faut de la place pour les animaux alors que justement les forêts sont une barrière naturelle au réchauffement climatique.
La viande artificielle pourrait l'éviter et même répondre à la demande mondiale. Et tout ça très simplement, c’est ce que disent ses promoteurs évidemment. "Quand on voit ce que c’est que l’élevage industriel... Personnellement, c’est plutôt ça qui me fait peur parce que, en fait, la viande cultivée c’est quand même assez simple : on met dans une machine des cellules qui se développe et qui font du muscle", explique Nathalie Rolland, la directrice de l'association "Agriculture cellulaire France".
Tout ça se fait dans une machine au lieu de se faire dans le corps d’un animal, et finalement, il n’y a pas tant de différence que ça.
Nathalie Rolland, association "Agriculture cellulaire France"à franceinfo
"Je le vois comme un procédé beaucoup plus propre et plus sûr, poursuit-elle. C’est l’avenir, je pense, pour une catégorie de consommateur. Des gens qui sont sensibles aux questions environnementales, au bien-être animal ou encore intéressés par les innovations." Mais comme toujours, la réalité est un peu plus complexe.
Le principe est effectivement de prélever des cellules sur un animal mais ce n'est pas si simple. Un échantillon permettrait ainsi de produire jusqu'à 20 000 tonnes de viande, selon les fabricants de viande artificielle.
"On en est à un prototype de laboratoire"
Sauf que, pour l'instant on n'arrive qu'à fabriquer des muscles et cela ne suffit pas à faire de la viande, explique Jean-François Hocquette. "Avec ce processus on obtient surtout des fibres musculaires, explique le directeur de recherche à l'Institut de recherche sur l'agriculture et l'alimentation (Inrae). Mais dans un vrai muscle, ces fibres musculaires sont entourés de tissus conjonctifs. Il va y avoir des nerfs, des vaisseaux sanguins et des cellules de matières grasses. Bien évidement, on n'a pas tout ça quand on fait de la viande de culture."
Moi, j’appelle ça, non pas de la viande de culture, mais un amas de fibre musculaire.
François Hocquette, directeur de recherche à l'Inraeà franceinfo
Autre argument avancé par les promoteurs de la viande artificielle : ses effets bénéfiques sur la planète. On n'en est pas sûr. Un rapport du forum économique mondial évoquait l'an dernier une baisse des gaz à effet de serre de seulement 7%.
Reste un dernier point : notre santé. Dans leurs discours, les fabricants mettent aussi en avant des qualités nutritionnelles équivalentes à de la vraie viande, et il n'y a rien qui le montre, selon le chercheur Jean-François Hocquette : "Aujourd’hui on ne sait pas si c’est bon pour notre santé parce qu’il n’y a pas eu d’étude à grande échelle pour vérifier la qualité nutritionnelle de la viande de culture. On en est à un prototype de laboratoire. Donc, il faudrait sortir des laboratoires et faire des études nutritionnelles comme on le fait d’ailleurs pour n’importe quel aliment."
Des start-up à la recherche de financement
En attendant, les lignes bougent et on parle de plus en plus de la viande artificielle. Peut-être parce que ceux qui en font la promotion sont des petites structures privées qui ont besoin de faire parler d'elles pour attirer des financements. On compte à peu près une cinquantaine de start-up dans la monde aux fonctionnements bien différents des organismes de recherche publics. Des start-up souvent issues de géants de l’agroalimentaire comme Cargill, Tyson Foods ou le groupe français Grimaud, qui fait de la sélection génétique d’animaux.
Ces structures ont aussi su attirer quelques mécènes prestigieux. Entre autres patrons de la Silicon Valley, on retrouve Richard Branson ou Bill Gates. L'ancien patron de Microsoft défend la viande artificielle. "Il y a des entreprises qui s’appelle L’impossible et l’Au-dela de la viande dans lesquelles j’ai investi, explique-t-il dans une émission de Bloomberg en 2019. C’est meilleur pour votre santé car il y a moins de cholestérol mais surtout cela réduit considérablement les émissions de méthane, la cruauté envers les animaux, la production de déchets et les superficies consacrées à l’élevage." Des préoccupations très louables mais des intérêts plus commerciaux.
L'association "Agriculture cellulaire France" pense qu'il y aura de la viande artificielle dans nos assiettes d'ici cinq ans. Mais on n'y est pas encore, la semaine dernière, le ministre de l'Agriculture Julien Denormandie a été très clair : "Est-ce vraiment cela que nous voulons pour nos enfants ? Non. Je le dis clairement : la viande vient du vivant, pas des laboratoires. Comptez sur moi pour qu'en France la viande reste naturelle."
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