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Le port d'Anvers véritable porte d'entrée du trafic de drogue en Europe : "Des tonnes de cocaïne peuvent passer"

Depuis 2013, la quantité de cocaïne saisie dans le port d'Anvers a été multipliée par 14. Derrière cette hausse, c'est tout un système de corruption bien ficelé qu'il faut démanteler. Un défi pour les autorités alors que le niveau de violence monte d'un cran.

Article rédigé par Benjamin Illy
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 424 min
Des bateaux amarrés aux quais du port d'Anvers, le 17 janvier 2018. (EMMANUEL DUNAND / AFP)

Le 1er octobre dernier, les douanes annoncent une saisie record de drogue dans le port de Dunkerque : plus d'une tonne de cocaïne interceptée sur un navire de commerce en provenance du Brésil et à destination d'Anvers en Belgique. Selon Europol, le port d'Anvers est devenu "la porte d'entrée" du trafic de cocaïne en Europe. En 2020, plus de 65 tonnes de cocaïne ont été saisies. Un chiffre multiplié par environ 14 depuis 2013. En 2021, l'année n'est pas terminée, mais le record est déjà battu : les douanes belges annoncent 80 tonnes saisies. Parmi les pays expéditeurs : la Colombie, l'Équateur, le Brésil et l'Amérique du Sud. La drogue s'échappe ensuite vers les Pays-Bas et le reste de l'Europe. 40 % de toutes les saisies de cocaïne en Europe sont réalisées à Anvers. Si ce port est perméable aux trafics c'est aussi parce qu'il est immense. Il s'agit du deuxième port européen après Rotterdam. Ce "monstre" s'étend sur plus de 12 000 hectares et  est donc très difficile à verrouiller. 

La drogue cachée dans les conteneurs  

Dans le port d'Anvers, 235 millions de tonnes de marchandises transitent chaque année, les conteneurs se comptent par millions. C'est justement dans ces conteneurs que les cartels cachent leur drogue, souvent au milieu des ananas ou des bananes. Difficile sur place de trouver un employé qui accepte de parler à un journaliste surtout sur un sujet aussi sensible que celui de la drogue. Joris Van Der Aa est journaliste à Gazet Van Antwerpen (GVA), un journal belge néerlandophone. Depuis une vingtaine d'années, il s'est spécialisé dans les affaires criminelles liées au trafic de drogue à Anvers. Il explique comment se passe la corruption dans le port : "On paye des gens, des dockers, des agents de sécurité, des gens qui travaillent sur les quais. De temps en temps, le chef d'une entreprise. Et donc des tonnes de cocaïne peuvent passer." Selon lui, personne ne ferme les yeux au contraire, il s'agirait d'une aide active. "De temps en temps, les travailleurs au port sont menacés ou intimidés. Dans la plupart des cas, ils sont payés."

"Un travailleur qui met un conteneur à une place favorable peut gagner 100 000 euros."

Joris Van Der Aa, journaliste spécialiste des affaires liées à la drogue à Anvers

à franceinfo

Concernant la montée des violences à Anvers ces dernières années à cause du trafic de drogue, Joris Van Der Aa répond qu'il y a eu des "explosions de grenades, des coups de feu sur des maisons... Derrière ces actes, il s'agit probablement de groupes albanais ou italiens ou bien de la mafia marocaine. Ils sont présents aux Pays-Bas mais aussi à Anvers." Ces groupes criminels sont implantés dans plusieurs quartiers à Anvers. Des quartiers en proie à des règlements de compte. C'est le cas à Deurne, un quartier populaire composé de petites maisons en briques dans des rues calmes en apparence. Dani, vit ici. C'est un des rares habitants qui accepte de parler au micro : "Au 15 de cette rue, il y a eu trois grenades qui ont explosé. Le fils de l'ancien propriétaire de cette maison était lié aux trafiquants. Il déchargeait les conteneurs. Il était corrompu. Il a été condamné à cinq ans de prison." 

Deurne, un quartier populaire d'Anvers en Belgique, en proie aux violences liées au trafic de drogue. (BENJAMIN ILLY / RADIO FRANCE)


Alors face à l'insécurité liée aux mafias de la drogue, la police locale a haussé le ton en septembre 2020 avec l'opération "Ronde de Nuit". "Nous sommes sur le terrain avec beaucoup de policiers la nuit, confirme Wouteur Bruyns, le porte-parole de la police d'Anvers. Nous contrôlons, les véhicules, les personnes. Il y a un an, nous avons mené une grosse opération. Plus de 150 agents ont été mobilisés ainsi que des véhicules blindés car nous savons que ceux qui attaquent utilisent des armes de guerre, nous devions donc être préparés."

Mais Wouteur Bruyns en a conscience, "la vraie guerre contre les gros trafiquants, se joue au niveau fédéral". À son niveau, le porte-parole lutte davantage contre ce "business model" où circule beaucoup d'argent. "Les jeunes de nos quartiers accèdent à de grosses voitures, à de beaux vêtements, c'est de l'argent facile."

"À Anvers, en rendant difficile la vente de drogue dans les rues, en limitant les attaques par notre présence, nous espérons que moins de jeunes seront tentés. C'est notre bataille et elle n'est pas finie."

Wouteur Bruyns, porte-parole de la police d'Anvers

à franceinfo

La police fédérale belge mobilise en ce moment 20 % de ses effectifs sur des affaires de trafics de drogue et dresse ce constat : le niveau de violence augmente sous l'influence directe des cartels sud-américains. Des cartels qui ont déjà importé ici leurs méthodes de corruption pour faire circuler la marchandise. Et ce n'est pas tout comme l'explique Éric Van Duyse, porte-parole du parquet fédéral de Belgique. "On a découvert des photos, des vidéos, des images qui glaçaient le sang. Des personnes décapitées, des salles de torture... énumère -t-il. Une criminalité dont on imaginait parfois qu'elle pouvait exister mais nous n'avions pas de preuves. Là, on a une série de preuves éclatantes qui ont débouché - rien que sur le territoire belge - à plus de 300 interpellations."

Le travail est cependant loin d'être terminé sur le port d'Anvers. Les douanes belges le reconnaissent : 80 à 90 % de la drogue arrivant d'Amérique du Sud leur échappe alors que nous parlons déjà de saisies record.

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