"On donne énormément aux autres et on le paye cash" : l'épuisement des soignants après un an de Covid-19
Dans les hôpitaux, la fatigue du personnel est forte à cause de l'épidémie de coronavirus. Le choix franceinfo vous emmène à la rencontre de ces soignants mal en point et des associations qui tentent de les aider.
Un an de crise sanitaire, bientôt 100 000 morts et des soignants en première ligne qui craquent à cause du manque de bras dans les services de réanimation, des journées à rallonge, de la mort omniprésente... Ce qui frappe avec tous ces soignants qui gèrent l’épidémie de Covid-19, c’est que même s’ils sont épuisés ou déprimés, ils veulent tenir pour soigner. Il s’agit de leur vocation mais c’est très dur.
Vincent Porteous est infirmier sage-femme anesthésiste au Samu de Lille, et il n’arrête pas : répondre aux appels du 15, évacuer des malades, vacciner... Il n’en peut plus et cela a des conséquences sur sa famille : "Il y a une vraie fatigue. Il y a une difficulté à jouer son rôle de lien familial. J’ai une maman très âgée, je ne peux pas m’en occuper. Je m’occupe des mamans des autres mais je m’occupe difficilement de la mienne... Ce n’est pas toujours facile, dans sa famille, de le faire accepter... Il y a ses enfants qu’on néglige. On donne énormément aux autres et on le paye cash." En larmes, il n’a pas pu finir l’interview et a demandé d’arrêter, par pudeur. Cet infirmier du Samu de Lille n’est pas le seul à craquer.
Des cas dramatiques
L’association de soins aux professionnels de santé a mis en place un numéro vert 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Des psychologues sont à l’écoute et, depuis un an, le standard explose. Il y a beaucoup d’aides-soignantes et d’infirmières qui appellent. Rien d’étonnant pour le médecin qui dirige cette plateforme téléphoniques, Eric Henry, qui voit passer des cas dramatiques : "On a eu 24 interventions à faire sur des appels de gens qui étaient suicidaires et qu’on a sûrement sauvé d’un acte inéluctable. Ce ne sont pas que des médecins, il y a des infirmiers ou des aides-soignants qui tournent dans ces services parce qu’ils sont épuisés d’être au lit des malades. C’est eux qui voient le patient se dégrader minute après minute et cela a un énorme impact sur leur psychologie." Vingt-quatre tentatives de suicide évitées, grâce à cette plateforme d’écoute nationale, le numéro vert est le 0 805 23 23 36.
Les gens sont fatigués et épuisés, ils se demandent s’ils vont continuer à faire le même métier. Ils en ont marre et subissent des pressions de leur hiérarchie pour que ça tourne.
Eric Henryà franceinfo
Les internes en réanimation sont, eux aussi, particulièrement exposés. Mais cet épuisement ne concerne pas que les soignants, il touche tous ceux qui gèrent cette épidémie de Covid-19.
"Une bulle" de bien-être
Marguerite est assistante médicale dans un hôpital parisien, à Saint-Joseph. Son métier est de caler les rendez-vous pour les opérations. Pour elle, cette troisième vague est celle de trop. "On l’a déjà vécu et ça recommence, on est encore avec des gens qui ont ce Covid, qui débordent... C'est cette répétition qui, pour moi, est difficile. Je pense qu’il y a des gens qui ne se rendent pas compte, tous les gens qui se réunissent, qui font comme si de rien n’était et qui ne pensent qu’à boire... Il faut un peu de solidarité ! il y a des gens qui sont dans les hôpitaux qui sont très fatigués et qui ne s’en vont pas."
Marguerite voit une psychologue dans un espace dédié que l'on appelle "la bulle". Il est installé au cœur de l’hôpital Saint-Joseph. Le personnel vient pour parler ou se reposer. Il y a même des fauteuils massants, du café et de la musique douce. Un espace indispensable, selon la psychologue Marilyn Houel : "Ils sont tous un peu démunis, stressés, inquiets. Ils doivent faire aussi face à l’agressivité des patients. Le Covid fait que les gens sont moins patients et moins tolérants. Le fait de venir ici permet de décompresser, de retrouver un petit peu de sérénité ou de bienveillance."
C'est un médecin de la douleur, Marguerite d’Ussel, qui a eu l’idée de créer cette "bulle". Elle pense qu’il faudra maintenir ce type de services après la crise. "Ce qui est certain, c’est que les conséquence psychiques, voire musculo–squelettiques, de cette crise vont durer, estime-t-elle. Si on peut rester le plus longtemps ouverts comme un fonctionnement classique de l’hôpital, ce sera forcément nécessaire et bénéfique." D’autres "bulles" de bien-être ont été installées au CHU de Grenoble ou à Lille, mais ceux qui travaillent en réanimation et en soins intensifs n’en profitent pas car ils n’ont pas le temps. Or ce sont eux qui en auraient sans doute le plus besoin.
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