Première Guerre mondiale : dans les galeries creusés sous la ligne de front, ces traces des soldats qui "humanisent la guerre"
A l'occasion du 103e anniversaire de l'armistice de la Première Guerre mondiale jeudi, franceinfo est allée à la rencontre de passionnés de ce conflit qui, dans l'Oise, tentent de mettre en valeur des vestiges souterrains.
Alors que la France commémore le 103e anniversaire de l'armistice de la Première guerre mondiale, franceinfo est descendue 20 mètres sous terre, dans la forêt de Moulin-sous-Touvent (Oise). Ici, des passionnés de la Grande Guerre continuent de chercher - et de trouver - des vestiges de ce premier conflit mondial, à seulement une quinzaine de kilomètres de la clairières de Rethondes, où a été signé l'armistice.
Pendant deux ans, la commune de Moulin-sous-Touvent fut sur la ligne de front de cette guerre extrêmement statique. "Voilà une entrée de galerie. Il y en a 20, alignées tous les 30 mètres", décrit Maximilian Hiebinger, président de l'Association des souterrains allemands de Puisaleine et des environs (Asape 14-18). Il arpente ces souterrains, creusés à l'époque sous la ligne de front en direction de l'ennemi, pour permettre aux soldats d'aller surveiller "à l'oreille" sa présence et placer éventuellement des explosifs au bout de la galerie.
Direction une galerie de 100 mètres de long et 1,5 mètre de hauteur, qui arrive sous les positions françaises. On descend comme on le ferait sur un toboggan, c'est-à-dire sur les fesses. "Juste ici, sur votre droite, c'est du barbelé d'époque", désigne François Delaleau, vice-président de l'association chargé des partenariats avec les propriétaires terriens. "On n'est peut-être pas les seuls occupants..., prévient-il en souriant. Il y a des chauve-souris !"
Dans ce vrai gruyère, on comprend que le soldat de l'époque est une taupe géante, qui n'oublie pas de laisser un témoignage. "On s'aperçoit que, 100 ans avant nous, quelqu'un est passé par là, notamment un soldat qui venait de Hambourg. Il a fait un cœur avec les initiales 'HS' et 'EB'. Il s'agit certainement du nom de sa bien-aimée, avec une date qui est à moitié effacée mais on lit bien 1915", décrit François Delaleau.
On trouve des traces de ces soldats dans chacun des cinq abris ou tunnels découverts en deux ans, par ces passionnés dont le dernier cet été. "Il y a des dessins patriotiques mais aussi des dessins plus érotiques", explique Thomas Tétart, le responsable pédagogique, dans une autre galerie, face à une représentation d'un sexe féminin. "Je suis ému face à ce genre de traces parce que je me dis que le soldat, malgré la conjoncture difficile qu'il est en train de vivre – les poux, les rats, le manque de nourriture, l'insalubrité et les bombardements – a pris le temps de laisser un témoignage de lui. Cela me permet d'humaniser la guerre et j'essaie de me mettre à sa place."
Ces visites de galerie permettent aussi de présenter la Première Guerre mondiale aux enfants sous un autre aspect. "Ils aiment le côté souterrain", raconte Thomas Tétart, selon qui cela offre "un côté un peu aventurier qui est intéressant". "C'est une autre manière d'aborder la guerre que par le côté morts, obus, balles et grenades." Sandro, 9 ans et passionné d'histoire, confirme : "Tu peux parfois voir des endroits qui sont majestueux", explique le garçon, intéressé par l'Histoire, de Napoléon à la Grande Guerre. "J'ai envie de toucher la pierre que le soldat a touchée, de ressentir sa chaleur et me dire que ça fait longtemps qu'ils l'ont touchée." L'objectif de Thomas Tétart est atteint :
"Nous voulons transmettre parce que c'est la génération future qui nous permettra de sauver ce patrimoine culturel local"
Thomas Tétart, responsable pédagogique de l'Asape 14-18à franceinfo
Mais préserver et transmettre le patrimoine ne sont pas choses aisées. En effet, "quand vous mettez un patrimoine au jour, vous l'exposez et le rendez plus fragile qu'il ne l'était quand il était un peu caché et inconnu", explique Yves Desfossés, de la direction régionale des Affaires culturelles (Drac).
Effectivement, en cherchant dans les souterrains de l'Oise les vielles bouteilles de vin volées par les Allemands, on trouve... une bouteille de bière récente. Forcément, une fois ouvert, le lieu est potentiellement visité, d'où la nécessité selon l'association d'un soutien financier pour préserver tout cela. Or, si ces découvertes passionnent localement, elles ne sont pas toujours jugées assez extraordinaires par la Drac. "C'est un patrimoine extrêmement répandu. On ne peut donc pas apporter notre soutien financier à toutes les initiatives, justifie Yves Desfossés. La Drac a des actions sur des monuments plus anciens."
Des vestiges "sous-estimés"
La Grande Guerre est donc à la fois presque trop récente aux yeux des autorités culturelles, tout en étant un peu ancienne pour la jeune génération. "En France, on a un problème avec le tourisme de guerre et de mémoire, résume Thomas Tétart. On aimerait entrer en collaboration avec l'Etat et la Drac afin de mettre en valeur un site qui a une importance comme Verdun, le Chemin des Dames ou les plages du Débarquement. Nous sommes dans un secteur sous-estimé ! La Grande Guerre est partout mais aujourd'hui personne ne la valorise."
Sur ce seul territoire, d'après les cartes existantes, il reste au moins cinq à six kilomètres de tunnels à découvrir. Cependant, l'association ne peut intervenir qu'en cas d'affaissement naturel. La Première Guerre mondiale n'a donc pas fini de garder pour elle et sous terre certains de ses secrets.
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