Pseudo-coachs en séduction, misogynie, antiféminisme... Comment les masculinistes investissent les réseaux sociaux
Alors que la parole des femmes se libère, un mouvement se développe en totale opposition : le "masculinisme". Ce mouvement, qui part du principe que l'homme souffre de l'émancipation des femmes, prend de l'ampleur. Notamment sur les réseaux sociaux, où fleurissent de très nombreuses vidéos de "masculinistes".
"On est dans une génération d'hommes fragiles, d'hommes 'bêta', les femmes sont plus 'alpha' aujourd'hui que les hommes. C'est un putain de problème", dit l'une de ces vidéos masculinistes. "L'homme bêta" est un des thèmes qui revient le plus souvent, en opposition à l'homme alpha, le mâle dominant, que ces "masculinistes" proposent de devenir. Car selon eux, si un homme n'est pas assez fort, "il se fait 'bêtaiser', il se fait castrer par sa femme. Parce que t'as honte d'être un homme aujourd'hui et tu deviens sa victime, tu deviens son chien, tu fais ce qu'elle veut", assure une autre vidéo.
Sur ces vidéos, il y a énormément de clichés sur les femmes "fragiles psychologiquement" "parce que lorsque vous connaissez les femmes, elles sont très instables, etc. Elles veulent un homme qui sache tout gérer", dit encore une vidéo trouvée sur les réseaux sociaux. Des vidéos qui véhiculent encore d'autres stéréotypes, comme les femmes sont principalement "intéressées par l'argent". Ces masculinistes donnent également des conseils pour éviter certains types de femmes, celles qui sortent trop ou qui s'habillent légèrement par exemple.
Sept à huit millions de personnes concernées
Ces vidéos ont un impact, puisque dans son dernier rapport, le HCE, le Haut Conseil à l'égalité, s'inquiète d'une plus grande adhésion des 24-34 ans à ces clichés masculinistes. Ces comptes sont en effet très suivis, d'après Bloom, société spécialisée dans l'analyse des réseaux sociaux. "Ce n'est pas un phénomène mineur, estime Bruno Breton, le PDG de Bloom, il y a à peu près sept à huit millions d'acteurs qui sont impliqués sur ce sujet. Donc c'est quand même un phénomène." En France, sept millions de personnes commentent, réagissent ou publient des contenus masculinistes, même si tous ne sont pas forcément des militants et la plupart ne sont pas violents. "Ce n'est pas un mouvement radical. Il y en a, mais ce n'est pas la majorité, assure Bruno Breton. Après, à côté, il peut y avoir des communautés qui se forment autour de ces idées-là, qui vont avoir des interventions misogynes, antiféministes, etc. Mais ce n'est pas l'origine de la plupart de ces comptes."
En revanche, dans certains cas le masculinisme peut conduire au pire. Le 25 janvier dernier, le Youtubeur Mickael Philetas a été condamné en appel à la prison à perpétuité pour avoir tué son ex-compagne de 80 coups de couteau, parce qu'il n'a pas supporté qu'elle le quitte. Cet homme avait publié 1 300 vidéos sur la séduction et le masculinisme. L'une des expertes psychiatres a expliqué lors du procès que cet homme avait "la haine des femmes".
Raids numériques contre les femmes
Cette haine, les associations féministes estiment qu'elle "contribue à réduire au silence les activistes féministes et les femmes politiques". C'est ce que dit notamment Lucie Daniel, de l'association féministe Equipop. Pour elle, "le masculinisme est un continuum de violence. C'est-à-dire qu'il y a vraiment un continuum entre le pseudo-coach en séduction qui va donner des conseils aux hommes en ligne et les hommes qui vont finalement passer à l'acte hors ligne, par des actes très violents envers les femmes."
Cette violence parfois physique s'accompagne également d'une violence en ligne, comme en témoigne la multiplication des "raids numériques" sur les réseaux sociaux. "Il y a vraiment l'envie, derrière ces attaques, de réduire au silence ces femmes et finalement de les décourager, déplore la militante. On voit des femmes qui se retirent de l'espace numérique, et on les comprend, par peur d'être justement harcelées."
"C'est aussi une question de démocratie. Il faut que les voix des femmes soient entendues dans ces espaces numériques aussi."
Lucie Daniel, membre de l'association Equipopà franceinfo
Lucie Daniel ajoute que, d'un point de vue politique cette fois, il y a une vraie porosité entre l'extrême droite et le masculinisme.
"Un manque de virilité cruel"
Franceinfo a rencontré une jeune femme d'extrême droite qui défend ces idées-là. Elle est la seule personne sollicitée parmi les masculinistes à avoir accepté de parler. Thaïs D'Escufon est l'ancienne porte-parole de Génération Identitaire, mouvement dissout par le gouvernement il y a trois ans. Elle est désormais créatrice de contenus autour des relations hommes-femmes. Sur ses différents réseaux sociaux, où elle est suivie par 400 000 personnes, elle dit par exemple : "Messieurs, arrêtez de chercher une fille de qualité en boîte de nuit, car elle n'y est pas [...] aucune femme de valeur ne s'habillerait de manière provocante."
"Le fait que je sois une femme qui puisse porter ce type de discours peut interpeller, admet Thaïs D'Escufon. J'en ai conscience parce que la plupart des gens qui tiennent ce discours sont des hommes. Et en général, les féministes vont dire 'c'est dans une logique de lutte des sexes évidente, ce sont des hommes, donc forcément ils défendent leur bout de viande'." La créatrice de contenus se justifie : "Alors que justement, moi je suis une femme qui déplore qu'il y ait un manque de virilité cruel chez mes contemporains masculins. Et je pense qu'il est dans l'intérêt crucial des femmes que les hommes comprennent les femmes à nouveau et sachent les faire vibrer à nouveau parce qu'ils ont saisi quels étaient leurs besoins les plus profonds, que l'idéologie féministe nie."
C'est l'une des illustrations du décalage que dénonce le Haut Conseil à l'égalité, entre, d'un côté, la prise de conscience en France des inégalités entre les femmes et les hommes et, de l'autre, le maintien des stéréotypes qui continuent de forger les mentalités et les comportements.
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