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Quand la France se réarme : à Tarbes, les Forges relancées pour fabriquer des munitions

Les députés votent mercredi la loi de programmation militaire. La relocalisation de la fabrication d'armes et de munitions est redevenue cruciale depuis la guerre en Ukraine. Exemple aux Forges de Tarbes (Hautes-Pyrénées), qui ont failli disparaître et qui fournissent aujourd'hui les corps d'obus des canons Caesar.
Article rédigé par franceinfo - Willy Moreau - Alain Gastal
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Des corps d'obus fabriqués aux Forges de Tarbes. (ALAIN GASTAL / RADIO FRANCE)

C'est l'un des effets de la guerre en Ukraine et c'est inédit depuis la fin de la guerre froide, les pays européens se réarment à toute vitesse et la France n'échappe pas à la règle. Les députés doivent voter mercredi 7 juin la loi de programmation militaire, autrement dit le budget de l'armée jusqu'en 2030. Et cela faisait longtemps que l'armée n'avait pas bénéficié d'autant de crédits. 413 milliards d'euros au total, c'est 40% de plus que le précédent budget. Il pourrait atteindre 2% du PIB. La dernière fois que c'est arrivé, c'était sous Jacques Chirac, il y a 25 ans.

La guerre en Ukraine, avec ses attaques aériennes, ses attaques de drones, nous montre à quel point la lutte contre les missiles est primordiale. Le budget de défense aérienne atteindra 5 milliards d'euros, le budget drones va doubler et les moyens pour la cybersécurité vont bondir de 300% : 4 milliards d'euros. Mais la guerre en Ukraine, avec ses combats sur le terrain, rappelle aussi le rôle essentiel des hommes et du matériel militaire. Là, les oppositions se montrent un peu plus sceptiques sur le projet du gouvernement. Concernant les effectifs, 6 300 embauches sont prévues, mais globalement, le nombre de militaires et de civils dans l'armée va rester stable. Pas assez pour compenser les départs. Le budget en hausse va surtout permettre d'augmenter les salaires.

La relocalisation de la production de munitions

En ce qui concerne les avions et les chars, toujours selon les opposants, c'est pire. Environ 2 000 nouveaux blindés livrés en 2030, c'est un tiers de moins qu'annoncé il y a cinq ans. Idem pour les avions : 137 Rafale contre 185. Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, se défend de rogner sur les équipements. L'idée, c'est d'avoir du matériel qui sert et donc un nombre d'engins en cohérence avec les effectifs dans l'armée. En revanche, point stratégique essentiel rappelée par le gouvernement, la relocalisation et la production de munitions qui repart à la hausse pour assurer la souveraineté et approvisionner davantage l'armée ukrainienne.

Un exemple : celui de la seule usine française qui fabrique des corps d'obus, c'est-à-dire des obus sans explosifs à l'intérieur. Elle est située à Tarbes (Hautes-Pyrénées), et elle s'apprête à tourner à plein régime. "Pour vous donner une petite idée, entre 5 000 et 7 000 obus sont tirés en Ukraine chaque jour, notre capacité mensuelle et à peu près de 5 000 à l'heure actuelle", explique Anthony Cesbron, le directeur des Forges de Tarbes. Il l'a compris, il va devoir mettre les bouchées doubles, et même plus que ça.

Dans les prochaines années, les Forges de Tarbes devront multiplier par cinq leur production. Pour l'armée ukrainienne, bien sûr, mais aussi pour reconstituer les stocks de l'armée française, notamment pour les canons Caesar. Et le gros souci, c'est de trouver du personnel. "Nous, on utilise des forgerons, poursuit Anthony Cesbron. Il n'y a plus d'école de forgerons en France et nous n'avons pas d'autre choix que de former les personnes en interne. Donc on embauche des personnes sans qualification que l'on forme sur site."

Les Forges de Tarbes. La presse qui façonne l'acier tourne à 1 100 degrés. (ALAIN GASTAL / RADIO FRANCE)

Le boulot n'est pas facile. Fabriquer un obus de 40 kilos qui doit parcourir une cinquantaine de kilomètres est un travail d'extrême précision. Cédric, ancien chauffeur routier, contrôle la presse de quinze 100 tonnes qui façonne l'acier à 1 100 degrés. "Je suis encore en formation. J'ai commencé à l'usinage et j'ai voulu évoluer dans l'entreprise. Donc j'ai demandé à passer à la forge." Ce qui lui plaît ? "Le fait de toucher à tout, de bouger. C'est assez dynamique."

Cédric, qui aimerait devenir chef de presse, se voit donc un avenir dans l'industrie d'armement, malgré ce qu'a connu l'entreprise ces quinze dernières années. De plan social en reconversion ratée en passant par les redressements judiciaires, elle a failli disparaître à deux reprises. Pierre a 41 ans d'ancienneté. "Il fait partie des murs", disent ses collègues. Il en garde une part d'amertume. "C'était un gâchis parce que ça a été bradé quand ils ont fermé. Tout a été cassé, vendu, c'est parti sur toute la planète, etc. Et puis c'est surtout un savoir-faire qu'on a perdu. Les gens au fur et à mesure sont partis. Sous l'ère Giat Industries [devenu Nexter], il y a un peu plus d'une quinzaine d'années, on faisait de la forge d'obus, de corps en acier, mais on faisait aussi toutes les pièces en aluminium. Aujourd'hui, on ne le fait pas. Et après, pour retrouver ce savoir-faire... On retrouvera, mais c'est compliqué, quand même." Les Forges de Tarbes, 38 salariés aujourd'hui, devrait employer une soixantaine, sans doute d'ici deux ans.

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