Reportage
"Il y a évidemment un sujet de moyens" : les maires en première ligne face à leurs administrés dont la santé mentale se dégrade

Plus d’un Français sur trois a, ou a eu, des troubles mentaux. Franceinfo a donné la parole à ces maires de plus en plus démunis face aux cas graves.
Article rédigé par Willy Moreau
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Jean-Paul Vermot, maire de Morlaix, le 8 juillet 2020. (NICOLAS OLIVIER / RADIO FRANCE)

Quand la santé mentale s’invite dans le bureau du maire. De plus en plus d’élus se disent désemparés face aux problèmes psychiatriques de leurs administrés. Le sujet est devenu si important qu’il fera l’objet, pour la première fois, d’un point spécifique au prochain congrès des maires de France qui aura lieu du 19 au 21 novembre.

À Morlaix, 15 000 habitants au nord-est du Finistère, le maire a fait face à deux drames dans sa commune en l’espace de seulement un an et demi. "On a eu trois domiciles incendiés", explique Jean-Paul Vermot. "On sent encore cette odeur de brûlé, décrit-il, puisque effectivement toute la structure est en bois." L'élu s’arrête devant un bâtiment historique de deux étages, en plein centre-ville. Un habitant atteint de troubles psychiatrique a mis le feu début juillet 2023. Avant l’incendie, le maire avait pris un arrêté pour l’hospitaliser sous contrainte, mais faute de structures adaptées pour le long terme, il avait fini par retourner chez lui.

"L’incendiaire avait tenté de bloquer les portes de ses voisins avec de la mousse expansive, heureusement c'était du bricolage et elles n'ont pas tenu, souligne le maire avant de poursuivre. Je ne sais pas quelle est la pathologie exacte, je sais qu'il est pris en charge en milieu fermé maintenant, parce qu'il a été véritablement jugé dangereux. Il avait même préalablement été jugé comme un malade dangereux. Malheureusement, on n’a pas été suffisamment bons pour éviter ce terrible incendie."

Quand le maire amène lui-même un jeune à l'hôpital psychiatrique

À peine remis de ses émotions, le maire a dû gérer une autre crise, il y a un mois seulement, après les alertes des services sociaux sur l’état psychiatrique d’un jeune adulte. "Et en fait, il n’est pas pris en hôpital psychiatrique et, le surlendemain, il agresse son voisin… à coups de couteau !" Le voisin s’en tire avec des blessures et le jeune homme est arrêté. Le procureur requiert son placement en détention provisoire, mais le juge des libertés et de la détention le libère en attendant une expertise psychiatrique.

"Et il y a deux mois entre la décision du juge et une date d’expertise psychiatrique, se désole Jean-Paul Vermot. Et pendant ce temps-là, nous, on est alertés sur ce jeune homme qui est de retour dans l’espace public, avec une volonté toujours d’être pris en charge. Mais il nous dit très clairement, parce qu’il me le dit à moi directement : 'si on ne me prend pas en charge, ce soir, je vais dans un bar, je m’alcoolise et j’agresse les gens'." Alors le maire, lui-même, avec un adjoint, prend sa voiture et le conduit dans un hôpital psychiatrique qui accepte de le prendre en charge le temps que la procédure judiciaire aboutisse.

Une lettre écrite au Premier ministre

Lassé, fin septembre, Jean-Paul Vermot a pris sa plume : "Monsieur le Premier ministre, je me permets de vous écrire au moment même où vous venez d’annoncer que la santé mentale pourrait être la grande nationale de l’année 2025." Il réclame des solutions pour pallier un sentiment d’impuissance de plus en plus important chez les maires de France.

Les demandes des élus sont variées, mais il y a d’abord la question des moyens. À l’hôpital de Morlaix, qui supporte un bassin de population de 110 000 habitants, 9 postes de psychiatres sur 24 sont vacants. "Notamment en addictologie où on a une partie du problème qui s’amplifie sur cette question des stupéfiants", précise le maire Jean-Paul Vermot.

"Quand il manque 9 médecins psychiatres, il y a évidemment un sujet de moyens."

Jean-Paul Vermot, maire de Morlaix

à franceinfo

Et le problème est national. L’année dernière, la fédération nationale hospitalière évoquait 23% de postes de psychiatres vacants au sein de l’hôpital public. "Je crois qu’on peut aussi agir sur la bonne organisation, les évolutions réglementaires, pour dire comment un ensemble de procédures peuvent se mettre en place pour gérer le meilleur compromis local possible avec mairie, force de l’ordre, justice et hôpital psychiatrique", expose le maire de Morlaix.

Des conseils locaux de santé mentale émergent en France

Dans son bureau, face au beffroi, le maire de Douai Frédéric Chéreau, vice-président de l’association des maires de France en charge de la santé, avance une autre solution. Il a mis en place dans sa commune du Nord une cellule de suivi de cas complexes. "On a un lien avec les psychiatres de l’hôpital. Et on explique quelle est notre vision, nous, depuis la ville, voilà ce que cette personne vit, qu’est-ce qu’on peut faire, est-ce qu’il faut la reloger ? Est-ce qu’il faut renforcer son traitement ? Qu’est-ce que vous en pensez ?, énumère l'élu. Parce que peut-être qu’à l’hôpital, les médecins voient simplement la personne dans un cadre médical, ils ne savent pas forcément quel est son vécu en ville, nous, on peut leur donner un regard sur le contexte : voilà ce qu’il se passe, voilà ce que nous racontent les voisins… Donc, on croise le regard, non pas dans l’optique de punir, mais au contraire d’aider la personne et de lui apporter les solutions les plus adaptées à sa situation."

Le maire nordiste espère aussi l’ouverture d'ici à trois ans d’une résidence spécialisée pour une dizaine d’habitants.

"Plusieurs personnes qui souffrent de schizophrénie et de troubles comparables vont vivre ensemble. Et paradoxalement, c’est un facteur de stabilité, parce que ce sont des personnes qui comprennent ce trouble-là, donc elles l’acceptent beaucoup mieux chez leurs voisins."

le maire de Douai Frédéric Chéreau

à franceinfo

"Et puis dans ce genre de résidence, comme tout le monde est suivi par des travailleurs sociaux, des infirmiers et des médecins psychiatriques, etc. Il y a tout le temps des visites. Et donc un infirmier ou un travailleur social qui passe dans la résidence vient pour une personne, mais en profite pour regarder un peu tout ce qui se passe", poursuit-il. Mais ces initiatives locales devront, selon ces maires, être appuyées par le gouvernement. Il a déjà annoncé vouloir doubler d'ici à trois ans le nombre de maisons des adolescents. Elles sont 125 aujourd’hui, chargées d’accompagner les jeunes et leur famille sur les questions de santé, et notamment de santé mentale.

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