Reportage
"Les drones peuvent gagner des batailles" : comment les dronistes de l'armée ukrainienne tentent de ralentir la progression des Russes

Les drones constituent un élément essentiel de la résistance ukrainienne face à la progression des Russes. Entre innovations et système D, les dronistes mènent également une bataille technologique.
Article rédigé par Camille Magnard - - Sandrine Mallon - Yachar Fazylov
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Dans leur atelier, les mécaniciens du bataillon préparent et améliorent les drones qu'ils reçoivent. (CAMILLE MAGNARD / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

En Ukraine, c'est dans la région du Donbass que se concentre l’essentiel des combats depuis bientôt trois ans. L’armée russe a conquis en novembre près de 725 km² de territoire ukrainien, une percée sans précédent depuis les premières semaines de l’invasion en 2022. Mais cette guerre est aussi une guerre technologique. À Sloviansk, franceinfo a rencontré un bataillon de l’armée ukrainienne qui tente de ralentir cette progression russe avec des drones. Ces drones jouent un rôle essentiel dans ce conflit. Les dronistes russes et ukrainiens se livrent à une bataille technologique.

Le bataillon ukrainien s’est baptisé les "Faucons Féroces", car le faucon est l’oiseau le plus rapide en piqué. Ici, en l’occurrence, le rapace est un énorme drone Vampire à six hélices, de fabrication ukrainienne et piloté par Ninja, un nom de combattant. "On est venu chercher des munitions pour tuer nos ennemis, des cadeaux pour les Russes de neuf kilos et demi chacun. On va les livrer à 6 km derrière le front, là où on a besoin d’eux", assure le soldat.

Dans la réserve de munitions du bataillon des Faucons Féroces. (CAMILLE MAGNARD / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Nous sommes à l’écart du front, dans une ancienne ferme dont le hangar a été transformé en réserve pour les explosifs du bataillon. Ninja et son chauffeur, Andriy, chargent des caisses de munitions sur leur pick-up kaki. Elles serviront dès la nuit venue, dans le secteur de Bakhmut où les Russes mènent sans cesse des offensives.

"Pour le moment il y a des petits groupes d’assaut qui essayent d’avancer, et on arrive à les repousser. Mais plus ils seront nombreux, plus ils arriveront à installer des brouilleurs pour bloquer nos drones, et alors ils pourront avancer. C’est comme ça que le front bouge".

Andriy, chauffeur dans l'armée ukrainienne

à franceinfo

Le bâtiment en tôle d’à côté, c’est l’antre de Volodia, alias "dentiste", son métier avant la guerre. Lui, est l’artificier du bataillon : dans son petit atelier, il prépare les explosifs que les drones se chargeront d’aller larguer sur les positions russes. "Quand j’ai été mobilisé, on m’a envoyé dans plusieurs unités différentes avant que j’arrive chez les dronistes, j’étais technicien sur un gros drone de combat. Je voyais nos gars revenir d’opération exténués, et j’ai commencé à m’occuper de leurs munitions pour qu’ils puissent se reposer, et être plus efficaces".

Depuis, Dentiste passe son temps à bricoler les vieux stocks de munitions soviétiques pour les adapter sur les drones des Faucons, les rendre plus rapides, plus légers et plus destructeurs aussi. "Ça, c’est une grenade antichar soviétique, on y fixe un manche plus léger qu’on imprime nous-mêmes et on y ajoute des éclats de métal pour faire plus de dégâts."

Système D pour innover

Pour réutiliser ces grenades antichars, par exemple, Dentiste utilise des tubes en PVC. Le système D est vraiment la règle pour fabriquer comme il dit ces "sucreries" qu’il prépare pour les Russes. La débrouille, trouver comment innover soi-même, sans attendre que cela vienne d’en haut, c’est la raison d’être de ce bataillon, selon son commandant, Andriy alias Procuror. "L’organisation des approvisionnements dans l’armée ne fonctionne pas bien. On leur commande du matériel, et ils nous le livrent six mois plus tard, quand on en a plus besoin."

"Nous, on rêve que tout ça change enfin, mais en attendant on s’est dit qu’en fabriquant nous-mêmes nos composants, on pourrait être plus efficace, plus vite."

Andriy, commandant d'un bataillon ukrainien

à franceinfo

Arrivés dans un petit village, on tombe sur une petite maison qui ne paye pas de mine, mais à l’intérieur vrombissent des alignements d’imprimantes 3D gérées par Oleksandr. "On en a treize en tout", raconte-t-il. Ici aussi, tout est fait pour améliorer sans cesse les drones et les économiser grâce aux retours des pilotes sur le terrain. "On fabrique des pièces qui n’existaient pas. Par exemple, des pieds : les drones qui se pilotent, les FPV n’en avaient pas et nous, comme on essaye de les faire revenir pour les réutiliser, avec des pieds, ils peuvent se poser facilement sans abîmer leur système de largage en dessous."

Oleksandr gère la dizaine d'imprimantes 3D du bataillon qui fabriquent des pièces pour améliorer les drones militaires. (CAMILLE MAGNARD / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Mais les Russes ne sont pas en reste et Olexandr ne se fait pas d’illusion : chaque camp surveille et copie les inventions de l’autre. Le but est d’avoir toujours une innovation, un temps d’avance, mais Procuror, le commandant du bataillon met en garde contre l’illusion d’une guerre des drones qui ne se livrerait plus qu’à distance, derrière des écrans. "Les drones peuvent gagner des batailles, mais pas la guerre. Une terre n’est conquise que quand un soldat y a mis le pied."

"Les drones doivent jouer un rôle majeur dans la guerre, ils le font d’ailleurs, mais ils ne suffisent pas à remporter la victoire."

Andriy, commandant d'un bataillon ukrainien

à franceinfo

Des hommes, les Faucons Féroces en ont perdu au combat. Tant de numéros dans son téléphone qui ne répondront plus jamais, se lamente Procuror. Le commandant le reconnaît : s’il fait la guerre aujourd’hui, c’est avant tout pour venger les dizaines de milliers d’Ukrainiens, soldats et civils tués depuis le début de l’invasion russe.

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