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Reportage
Les forêts françaises victimes d'une "tempête silencieuse" due au réchauffement climatique
Les forêts françaises souffrent du changement climatique. La forêt domaniale du Corgebin, en lisière de la ville de Chaumont (Haute-Marne), en est un bon exemple. Sur 1 101 hectares, on y trouve des hêtres, chênes, charmes ou épicéas... Ou du moins ce qu’il en reste, comme l'explique Jean-Claude Tissaux, chargé de mission "reconstitution et adaptation au changement climatique" à l'ONF : "Jusqu'en 2017 ou 2018, c'était une forêt relativement dense. En plein, été, c'était sombre, avec beaucoup de feuilles sur les arbres. Là, ça s'est considérablement éclairci."
Autour de lui : des branches, des arbres au sol, d’autres toujours debout, mais tagués d’un point orange. Ces derniers vont être abattus avant qu’ils ne meurent. En Haute-Marne, 40% de la forêt connaît un dépérissement précoce. "Lors de la tempête de 1999, on a vu les bois par terre et ça a été un choc parce que du jour au lendemain, le paysage a changé, poursuit Jean-Claude Tissaux. On est maintenant dans une espèce de tempête silencieuse : il commence à y avoir des trouées, des éclaircies naturelles qui se font par la mortalité naturelle, la chute des arbres."
"C'est l'équivalent en volume de ce que la tempête de 1999 a fait. Je ne sais pas jusqu'où on va aller..."
Jean-Claude Tissaux, ONFà franceinfo
Parmi les explications : la Haute-Marne vient de subir sept années de sécheresse et de chaleur exceptionnelles (à l'exception de 2021). Des conditions climatiques qui signent l'arrêt de mort de nombreux arbres : "Quand l'eau va commencer à manquer dans le sol, ces arbres vont fermer leurs stomates, pour éviter les pertes d'eau interne. Les stomates sont des petits trous sur les feuilles, qui permettent la photosynthèse, explique le spécialiste de l'ONF. L'arbre va récupérer du CO2, le transformer en sucre qui va être utilisé pour son métabolisme ; quand cette fermeture de stomates dure trop longtemps sur des années consécutives, l'arbre ne peut plus faire de sucre et finit par mourir de faim."
Les arbres affaiblis n’arrivent plus à se défendre. Les scolytes, des insectes ravageurs, déciment les épicéas de cette forêt domaniale. D’autres essences n’arrivent plus à développer leurs branches. Les éclaircies créées laissent passer la chaleur, ce qui amplifie la sécheresse et les risques d’incendies. Un cercle vicieux qu’on retrouve partout en France, mais principalement dans l’est du pays.
"Dans un scénario pessimiste, le hêtre disparaît totalement"
Sur son ordinateur dans les locaux de l'ONF à Chaumont, Jean-Claude Tissaux présente des cartes basées sur les données du Giec, pour déterminer "la compatibilité climatique d'une essence à l'horizon 2070, en fonction des scénarios de changement climatique. Il y a une carte pour le hêtre, une carte pour le chêne, pour la même forêt. On se rend compte que si on est vraiment dans un scénario pessimiste, le hêtre disparaît totalement de la forêt."
Ce scénario, avec un réchauffement climatique de quatre degrés, aurait de nombreuses conséquences : économiques (moins de bois à vendre), écologiques (impact sur la biodiversité, sur le maintien des dunes ou des terrains montagneux) et climatiques : la disparition de la forêt amplifie les phénomènes de sécheresse. "La forêt entraîne beaucoup d'évapotranspiration, cela diminue l'air au-dessus. Quand vous avez une masse d'air chaud qui arrive, il y a des précipitations sur la forêt. Et quand on enlève la végétation, on casse le cycle de l'eau : les précipitations ne reviennent pas et la forêt ne peut pas s'établir."
Partant de ce constat alarmant, l’ONF tente différentes approches : d’abord effectuer des coupes sélectives pour limiter la concurrence entre les arbres et favoriser leur pousse, ensuite planter différentes essences pour ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, et enfin tester de nouvelles essences. Devant une parcelle grillagée, Jean-Claude Tissaux explique que "l'essence qui marche relativement bien ici, c'est le cyprès de l'Arizona. Avec les étés relativement chauds et secs comme en 2022, et une année 2023 sèche sur une longue période même en automne, cette essence tire pas mal son épingle du jeu. On entame la troisième année."
"Le but est de voir, à 10 ans, à 15 ans, à 20 ans, à 30 ans ou 40 ans, si l'espèce est envisageable pour le reboisement ou pas."
Jean-Claude Tissaux, ONFà franceinfo
C'est une solution à long terme, donc, et incertaine vu le nombre de paramètres qui expliquent aujourd’hui le dépérissement de nos forêts.
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