Reportage
"Je ne voterai pas parce que ça ne changera rien pour moi" : à Los Angeles, rencontre avec ces Américains sans-abri victimes de la crise du logement

Dans le comté de Los Angeles, des dizaines de milliers de personnes ne parviennent plus à se loger décemment face à des loyers excessifs et des pénuries de biens. Un sujet éminemment politique que les candidats à la présidentielle doivent traiter.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Kenny vit seul dans sa voiture à Los Angeles, en raison du coût de la vie et de la crise du logement. (FARIDA NOUAR / FRANCEINFO / RADIOFRANCE)

C’est un enjeu majeur de la campagne présidentielle américaine, et les deux candidats Donald Trump et Kamala Harris s’accordent sur ce point : il y a aujourd’hui aux États-Unis une grave crise du logement. Loyers excessifs, achats inaccessibles, pénuries de biens : il manque entre 4 et 7 millions de logements dans le pays.

À Los Angeles, en Californie, l’État le plus riche des États-Unis est aussi celui où les sans-abri se comptent par milliers. Les véhicules de la ville sont ainsi devenus pour beaucoup le dernier refuge pour éviter de finir à la rue. Sur le Washington boulevard par exemple, et des deux côtés de la route, des dizaines de camping-cars sont présents. Holly habite une petite maison devant laquelle se garent ces véhicules. 

"Beaucoup de gens souffrent ici, c’est une crise humanitaire. La classe moyenne n’a plus les moyens, elle n’est même plus à genoux, elle est complètement sous l’eau ! Vous savez, ces gens travaillent vraiment dur. Ils essaient de lutter contre cette crise du logement."

Holly, une habitante de Los Angeles

à franceinfo

Parfois, des personnes vivent à l’intérieur de leurs véhicules, avec des sacs-poubelle aux pieds des camping-cars, ou encore des aliments qui s'aperçoivent au travers de leur vitre. Depuis deux ans, Matt et sa femme Connie habitent dans un de ces camping-cars, qui mesure à peine 5 mètres de long, avec un skate-board pour remplacer la marche cassée de l'escalier. Dans la minuscule cuisine, il n’y a même pas de frigidaire.

"On utilise notre panneau solaire, mais on ne peut charger que nos téléphones portables, ou faire fonctionner la lumière", explique Connie. Dans ce confort rudimentaire, la jeune femme essaie de rendre le lieu plus chaleureux, comme dans le coin chambre. "J’ai mis des tissus pour égayer, et ça, c’est une affiche avec une dame chic qui boit un verre, une autre avec des bébés kangourous, j’adore !".

Matt vit dans un camping-car à Los Angeles, avec sa femme Connie. (FARIDA NOUAR / FRANCEINFO / RADIOFRANCE)

Pourtant, le couple travaille. Lui, dans un barber-shop, elle dans une entreprise de nettoyage. À eux deux, ils gagnent 5 000 dollars par mois, mais cela reste insuffisant pour se loger. "Louer ici, c'est tellement cher ! J’ai un ami qui paie pour une seule chambre près de 1 600 dollars !" Il faut compter 2 500 dollars en moyenne pour un petit studio à Los Angeles. "Notre plan, c'est de survivre en espérant que les choses s’améliorent et qu’on trouvera un endroit, car on économise", précise Matt.

La municipalité a déclaré l'état d'urgence et essaie d’accélérer la construction de logements sociaux, mais cela prend beaucoup de temps. Alors pour éviter de finir sous une tente, Kenny a transformé sa vieille Toyota grise. "J’ai retiré les sièges pour avoir plus d’espace pour m’allonger. Heureusement que je ne suis pas grand".

Ce vétéran de l'armée, d'une cinquantaine d'années et qui porte une casquette, vit à Long Beach dans sa voiture garée près d’un parc. "Je mets plusieurs couvertures, je pose mon oreiller, j'allonge mes jambes et je dors 3 ou 4 heures". À la question, "vous n'avez pas mal au dos ?", Kenny répond évidemment par l'affirmative. Dans son coffre, Kenny possède peu d'affaires. "Je crois que je n’ai que deux ou trois vêtements et ça va parce que je livre seulement de la nourriture, donc les gens ne voient pas que je porte les mêmes habits toute la semaine", confie-t-il. Sa voiture est devenue son seul bien, son refuge depuis 3 ans. "C’est mon business, ma maison, tout".

Quand vient l'heure de se coucher, ce livreur vient de garer à l'abri des regards. "La nuit, la meilleure chose à faire, c’est de rester discret. Si vous descendez un peu plus bas, vous verrez beaucoup de gens dormir dans des tentes. Et la nuit, c'est très dangereux, si j’entends quelque chose comme quelqu’un à ma vitre, je sors mon marteau".

Kenny a entreposé une partie de ses affaires dans le coffre de sa Toyota, qui lui sert de logement à Los Angeles. (FARIDA NOUAR / FRANCEINFO / RADIOFRANCE)

Pour le reste, Kenny doit se débrouiller. "Je vais dans ma salle de sport pour me doucher, à 6h du matin le coffee-shop ouvre et tout le monde fait la queue pour charger son téléphone ou utiliser les toilettes". Pour manger, Kenny se nourrit de fast-food, il n'a pas le choix. Préparer des petits plats dans une cuisine est devenu un rêve inaccessible avec ses 2 000 dollars par mois. "Dans certains endroits, on demande deux mois de caution. Donc il faut avoir déjà minium 4 000 dollars dans sa poche. Ensuite, il faut payer, l’eau, le gaz, toutes les factures, donc si tu arrives à louer un studio, après, il ne te reste rien pour manger. J’essaie toujours d’économiser de l’argent, c’est pour ça que je vis dans ma voiture".

Kenny n’attend rien de l’élection présidentielle de mardi 5 novembre prochain. "Je ne voterai pas parce que républicains ou démocrates, ça ne changera rien pour moi. Ils font toujours des propositions et ensuite, ils balancent tout ça par terre. C’est pour ça que je ne m’intéresse pas aux élections. Je ne sais pas de quoi le futur sera fait, je vis juste au jour le jour". Kenny termine par un fataliste : "C’est comme ça".

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