Reportage
"On nous laisse seuls, c'est une honte" : un mois après les inondations en Espagne, la lente reconstruction des communes les plus touchées

La petite ville de Catarroja a été l'une des plus touchées par les inondations meurtrières d'il y a un mois. Le retour à la normale sera très lent dans cette commune de 30 000 habitants.
Article rédigé par Isabelle Labeyrie
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Un mois après les inondations, des centaines de voitures épaves n'ont toujours pas été enlevées des rues de la ville, le 27 novembre 2024. (ISABELLE LABEYRIE / RADIO FRANCE)

Quand on arrive dans Catarroja, on bascule tout d’un coup dans un autre monde. La route est recouverte d’une couche de boue à moitié sèche engendrant partout beaucoup de poussière. Sur le bas-côté, il y a encore des centaines de carcasses de voiture. "C'est l'une des zones les plus affectées", explique Sandrine, franco-espagnole qui habite Catarroja depuis quinze ans. "Les feux ne marchent plus, il n'y a plus de lumières le soir", poursuit Sandrine.

Le village a été l'un des plus touché par les inondations meurtrières qui ont frappé l'Espagne le 29 octobre. Ces intempéries ont fait près de 230 morts, en très grande majorité dans la région de Valence. Dans les rues de Catarroja, on croise encore des camions qui continuent de pomper, des gens en combinaison blanche et bottes de caoutchouc. Sur la place du marché, comme tous les jours, un camion livre des repas chauds et des sandwichs pour 1 200 personnes.


Dans la longue file d’attente, Isabel est là par nécessité, comme les autres. Les magasins n'ont pas encore ouvert et dans sa cuisine, il ne lui reste qu'un four à micro-ondes. Tout cela la déboussole : "Tous les matins, quand je me lève, j'ai l'impression qu'on est encore le 29 octobre et je me dis mais quel jour on est aujourd'hui ? Pour moi, c'est toujours la même journée." Sa petite-fille elle aussi a du mal à se raccrocher au réel. "Pour moi, ça ressemble encore à un film de zombies, explique la petite-fille. Quand je vois toutes ces voitures cassées et abandonnées, j'ai l'impression que je vais voir des zombies en sortir çà et là. Ça fait vraiment peur."

Un cimetière de voitures à Catarroja, le 27 novembre 2024. (ISABELLE LABEYRIE / RADIO FRANCE)

Des habitants furieux

Lundi soir, ce ne sont pas des zombies mais des habitants en chair et en os qui ont manifesté au pied la mairie, furieux de ne pas être autorisés à nettoyer eux-mêmes les parkings encore inondés de leurs immeubles. "Ça fait un mois qu'ils nous interdisent de sortir les déchets dans la rue parce que c'est l'armée qui doit le faire. Mais l'armée ne vient pas. Un mois comme ça. C'est une honte", se plaint une habitante. "On a des rats qui viennent jusque devant la porte d'entrée, on nous laisse seuls. Tous les politiciens sont des voleurs", s'exclame un autre habitant.

À Catarroja, un mois après la catastrophe, les opérations de déblaiement et de pompage continuent. (ISABELLE LABEYRIE / RADIO FRANCE)

Cette colère contre les élus, la maire Lorena Silvent la comprend. Mais dans ce chaos qui dure, elle rappelle que tout ne dépend pas d’elle : "Les services de base, ça va, mais l'eau arrive au compte-gouttes. L'éclairage public n'est pas rétabli, les écoles ne sont pas ouvertes, les bâtiments publics non plus. Les connexions mobiles fonctionnent mal. On n'a pas de traitement des déchets et on n'a pas non plus de transports réguliers vers Valence."

"On comprend que certaines choses prennent du temps, mais on a besoin de délais, d'instructions claires. Or là, on n'a aucune réponse aux questions que les gens nous posent."

Lorena Silvent, maire de Catarroja

à franceinfo

Les rivalités politiques entre les villes, la région et le gouvernement contribuent à ralentir les prises de décision.

"Le village a perdu son âme"

Le défi pour les communes comme Catarroja après un tel cataclysme est de retenir les habitants, comme les entreprises. De nombreux petits commerçants ne rouvriront pas leur boutique, tout simplement car ce sera trop long et trop cher. Quant aux salariés qui n’ont plus de voiture, ils hésitent à rester. 

À la nuit tombée, sur un banc, nous croisons Silvia, Elsa et Maria, 19 ans, qui passent le temps en jouant à la belote. "Moi, mes parents, ils veulent déménager. Ils disent qu'ils ne veulent plus revivre ce genre de chose", explique l'une d'entre elles. "Moi, je ne veux pas, poursuit une autre. J'ai vécu ici toute ma vie. J'ai mes amis, mais mes parents, eux aussi, ils veulent bouger pour repartir à zéro parce qu'ils ont perdu beaucoup d'argent. Il y a plein de gens qui veulent faire ça."

Une volonté d'exode que confirme Sandrine : "Comment tous ces territoires vont-ils récupérer de cette catastrophe sur le plan économique ? Je n'y crois pas trop. Mais ce que le village a perdu, et c'est le plus important, c'est son âme. Je ne suis pas sûr que ça puisse revenir."  Pourtant la commune vient de décider de maintenir las fallas, les fêtes locales, une institution, qui se tiendront en mars comme prévu.

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