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Reportage
"Pas parce qu'on est en treillis qu'on est inaccessibles" : alors que des milliers de soldats manquent à l'appel, l'armée française mise sur les réseaux sociaux pour recruter
Alors qu'Emmanuel Macron prône le réarmement de la société française, des milliers de soldats manquent à l'appel, notamment dans l'armée de Terre. Pour la première fois en dix ans, en 2023, il a manqué environ 2 500 soldats au plus gros recruteur français. C'est le chef d'état-major lui-même qui a tiré la sonnette d'alarme, en automne dernier.
L'armée de Terre par exemple - en gros 120 000 personnes - doit recruter chaque année entre 15 000 et 16 000 soldats. L'an dernier a été compliqué, reconnaît le général Bruno Louisfer, sous-directeur du pôle recrutement jeunesse de l'armée de Terre : "On a eu un premier semestre très difficile à l'instar de beaucoup de recruteurs, qu'ils soient du privé ou du public. Et puis un deuxième semestre beaucoup plus satisfaisant. Mais le retard pris au premier semestre ne nous a pas permis d'atteindre nos objectifs en 2023."
"Un combat de tous les instants"
Dans la Marine, l'objectif a été atteint l'an passé mais l'équilibre reste fragile d'après le capitaine de Corvette François Sechet, responsable RH pour l'Île-de-France, le Centre-Val de Loire et les Outremers. "Ce serait mentir que de dire que c'est très facile de recruter 4 200 jeunes par an. C'est un combat de tous les instants, parce que les jeunes que l'on recrute nous, notamment dans la Marine, ce sont des jeunes qu'on va chercher à partir du niveau bac. Ça nécessite de se remettre en question régulièrement, d'être vraiment à l'écoute de la jeunesse française, de leur présenter comment ils peuvent trouver un vrai épanouissement chez nous", explique le capitaine de Corvette.
Au moment des attentats de 2015, il y avait eu un pic de jeunes volontaires prêts à s'engager. Mais cet élan est retombé pour en arriver à cette situation inédite. Plusieurs facteurs entraînent cette diminution de l'engagement des jeunes. La tension sur le marché de l'emploi fait que l'armée est en concurrence avec le privé, notamment pour trouver des profils techniques : informatique, cyber, maintenance, nucléaire.
Des capacités physiques trop faibles
Autre problème : des jeunes veulent s'engager mais n'ont pas toujours, au départ, les critères physiques requis, à cause de la sédentarité ou du manque de sport. C'est le constat du capitaine Milena, cheffe de section à l'École Nationale des sous-officiers à Saint-Maixent L'École, dans les Deux-Sèvres. "Ce sont des niveaux très faibles. Que ce soit sur des choses très basiques comme des pompes, de la course à pied et après même la natation ou le grimper de corde. Là ou on pourrait se dire que des jeunes qui ont le projet de s'engager dans l'armée se prépareraient physiquement, au moins sur la course à pied et les pompes, on a quelques désillusions", juge-t-il.
Plus généralement, les militaires constatent des problèmes de santé plus récurrents. "Ça peut être du surpoids, ça peut être un problème de traitement des dents, par exemple. Ce que je constate parfois, ce sont des jeunes qui n'ont pas forcément de médecin de famille. Ça veut dire qu'il n'y a pas eu de suivi médical pendant quelques années, et pour nous ça peut être un critère de blocage dans le processus de recrutement", déplore François Sechet.
Mais l'armée l'assure, pas question de baisser le niveau de sélection des recrues, elle a plutôt adapté ses formations selon le capitaine Milena : "On ne s'attend pas à ce qu'un élève qui arrive avec un niveau très faible demain soit notre meilleur cheval de course, 17 partout et puis des performances dignes d'un athlète semi-professionnel. On leur met des objectifs réguliers, deux-trois pompes en plus, dix secondes de moins à la course à pied, deux-trois mouvements de bras en plus sur les cordes... "
"L'objectif n'est pas de dégoûter l'élève en lui disant qu'il est nul. La formation est faite pour être progressive, venez comme vous êtes, tout le monde progresse à son rythme, selon son niveau de départ."
Capitaine Milenafranceinfo
Pour se préparer en amont, l'armée conseille aux jeunes de s'entraîner avec des tutos de coaching sport qui sont envoyés pour les préparations.
L'armée présente sur les réseaux sociaux
Les militaires se fixent toujours cet objectif : 6 000 postes doivent être créés d’ici à 2030. Pour y parvenir, l'armée investit plus d'argent dans les méthodes de recrutement, avec notamment une présence massive sur les réseaux sociaux ou le recours à des influenceurs pour promouvoir les métiers et le matériel de guerre. "C'est aussi une façon de montrer à notre public qu'on est accessibles. Ce n'est pas parce qu'on est en treillis qu'on est inaccessibles, explique le général Bruno Louisfert. Les jeunes que nous avons sont des jeunes de leur époque. Donc ils vivent avec TikTok, Instagram, dans nos rangs. Ça permet de donner l'idée aux jeunes de se dire : 'ah mais je ne pensais pas à ça, je croyais que ce n'était pas fait pour moi, il faudrait quand même que je me renseigne.' Après il faut aussi démystifier les choses, tout le monde n'a pas vocation à être commando parachutiste, il y a beaucoup d'autres métiers dans l'armée de Terre."
Attirer les jeunes en étant honnête sur la réalité du terrain, la disponibilité demandée et les contraintes : c'est l'enjeu des campagnes de recrutement de l'armée de Terre, dont la prochaine aura lieu en septembre prochain. Car l'armée veut recruter mais surtout fidéliser. Aujourd'hui, une recrue sur trois ne va pas au bout de la formation.
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