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Reportage
Séisme en Turquie et en Syrie : une semaine après, l'impossible retour à la vie normale des rescapés
Dans le cimetière de Kahramanmaraş, dans le sud de la Turquie, les morts après le terrible séisme se comptent par milliers. Une semaine après, il y a toujours un flux ininterrompu autour des pompes funèbres.
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Ahmed, originaire de Syrie, a perdu quinze proches avant lui. "Il y a mon père, ma mère, ma sœur, ma femme, mes fils, mon frère aîné, sa femme et ses quatre enfants", confie-t-il à francenfo, avant de glisser qu'il n'a pas encore identifié tous les membres disparu de sa famille.
Pour cela, il doit se rendre dans une partie à l'écart du cimetière, surveillée par la police. Sous les bâches numérotées, on retrouve les corps non-identifiés. "Hier, je suis venu ici pour retrouver ma mère et ma sœur. J'ai demandé aux gens où je pouvais les trouver, alors j'ai dû ouvrir les sacs et les identifier. Elles étaient défigurées, je n'arrivais pas à les reconnaître, mais Dieu m'a guidé", explique Ahmed, comme habitué à la mort qui rôde autour de lui.
L'attente des familles de victimes devant les pelleteuses
Une prière résonne dans le cimetière, mais elle ne couvre pas le vacarme d'une pelleteuse qui creuse des trous à la chaîne. Les familles s'enlacent, pleurent et procèdent aux dernières prières autour de centaines de petits monticules. Les noms des victimes sont écrits sur des petites plaques en bois, parfois faute d'identification, il y a simplement des numéros.
Dans la ville, beaucoup de familles n'ont toujours pas pu commencer leur deuil. Devant d'autres pelleteuses, elles attendent des nouvelles de leurs proches. Les secours continuent de remuer les gravats de gravier, de béton, de ferrailles... "Je suis ici depuis le premier séisme, explique Sahal, emmitouflée dans une couverture, devant les restes d'un immeuble de six étages. Je passe tout mon temps dans ma voiture et je reviens sans cesse pour savoir si on a retrouvé mon petit-fils. Il habitait au premier étage de l'immeuble. Pour les étages supérieurs, ils ont retrouvé des personnes vivantes, mais à son étage, c'est impossible.
"Les gens ici attendent simplement de pouvoir récupérer les corps de leurs proches."
Sahalà franceinfo
Avec le travail des 9 000 secouristes venus du monde entier en Turquie, il y a des miracles, pourtant. Dimanche encore, par exemple, un garçon de sept ans et une femme de 62 ans sont sortis vivants des décombres dans la province d'Hatay. Mais aujourd'hui, l'espoir est quasi nul de retrouver des personnes en vie, car les conditions météorologiques sont difficiles. Il fait très froid sur place, les nuits sont glaciales.
Pour les rescapés, les conditions de vie sont désormais épouvantables. Une majeure partie des immeubles sont inhabitables. À Kahramanmaraş, ville vallonnée de 500 000 habitants, les plus chanceux dorment dans des voitures. Pour les autres, il n'y a pas assez de tentes pour tout le monde. C'est le cas d'Hossin Youssef. Ce père de famille dort avec ses enfants en plein air sur un coin d’herbe à côté d’un rond-point. "Partout où vous allez dans le pays, vous trouvez de l’aide. De la nourriture, des vêtements, des affaires pour les enfants… Mais si vous marchez sur 100 mètres ici, vous verrez au moins 50 familles comme nous. Le plus important maintenant, ce sont des tentes ! Les immeubles ont disparu, je m’en fiche du matériel ce qui m’importe, c’est de mettre mes fils en sécurité."
L'impossible retour à une vie normale
La situation est d'autant plus précaire pour les réfugiés syriens. Ils sont très nombreux dans cette région du sud de la Turquie. Daouna fait partie de ces réfugiés. Assise sur un banc à côté d'un feu de bois appelle à l'aide, cette grand-mère de 30 petits-enfants a les larmes au bord des yeux. "On espère que, grâce à Dieu, le gouvernement apportera des tentes pour nos enfants. Je ne veux pas penser comme ça, mais les Turcs, eux, ont des proches, ils ont des endroits où aller... Mais nous, non !"
Quoi qu'il en est : personne n'est sorti indemne de ce terrible séisme. Pour les sauveteurs, aussi, la tâche est rude. "C’est extrêmement dur, confie Shina, arrivée mercredi avec une délégation israélienne. Cela prend les tripes de voir ce qu’il se passe ici, les dégâts sont énormes, beaucoup de personnes sont blessées, mortes… C’est la première fois que je me retrouve dans un événement comme ça. C’est extrêmement choquant. Mais l'important dans notre mission, c’est de voir comment on réussit : nous avons sauvé 18 personnes !"
Dans la ville de Kahramanmaraş, encore meurtrie, personne n'envisage encore l'après-séisme à cette heure. Mais ailleurs à Osmaniye ou encore Gaziantep, les habitants sortent à nouveau. Des épiceries, des magasins de téléphones, de vêtements ont rouverts. On ne peut pas parler pour autant de retour à la normale, car les écoles dans les dix provinces du sud du pays vont rester fermées dix mois, les cours se feront en ligne.
L'État turc, lui, commence à chercher des responsables : comment des immeubles neufs ont-ils pu s’effondrer malgré les normes sismiques ? Les enquêteurs ont déjà écroué plusieurs personnes, dont des promoteurs immobiliers. Dans le sud de la Turquie, une douzaine de personnes du secteur du bâtiment ont été arrêtées pour répondre de la médiocrité des constructions, ont rapporté plusieurs médias locaux ce samedi. Dans le pays, 114 individus sont recherchés par les autorités.
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