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Témoignages
"Cette affaire a gâché ma vie" : des lanceurs d'alerte racontent leur vie détruite après leurs révélations

Des lanceurs d’alerte ont vu leur vie bouleversée après avoir pris le risque de dénoncer les agissements des administrations ou entreprises où ils travaillaient. Une nouvelle loi, adoptée au début de l'année 2022, est censée mieux les protéger.

Article rédigé par Stéphane Pair
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Un guide sur l'orientation et la protection des lanceurs d'alerte par la défenseure des droits, le 17 janvier 2020. (CHRISTOPHE MORIN / MAXPPP)

Sans eux pas d'affaires WikiLeaks, Mediator ou Clearstream, les lanceurs d’alerte sont à l'origine de grands scandales du XXIe siècle. En France, ceux qui ont dénoncé l’ont presque toujours payé au prix fort mais depuis le début du mois de septembre une nouvelle loi est là pour les protéger : la loi Waserman.

Ces lanceurs d’alerte ont vu leur vie bouleversée, parfois détruite. C’est le cas de celle que l’on appellera Cécile. Il y a quelques années, cette responsable achat d'un grand organisme public a été la témoin de graves malversations. L’affaire n’a pas été médiatisée mais on parle là d’arrangements qui portent sur des marchés de centaines de milliers d’euros d’argent public, voire des millions. Il y a quelques années, elle dénonce ces faits à sa n+1 avant de partir en congé maternité. Son retour marque le départ de représailles d’une violence qu’elle juge, aujourd’hui encore, inouïe. "Quand l'administration vous tombe dessus, vous ne vous attendez pas à de telles représailles, dénonce Cécile. D'un seul coup c'est vous qui devenez la parjure, la traitre qu'il faut abattre. Et là, le sol se dérobe sous vos pieds."

"On vous met dans des bureaux de passage, personne ne vous parle. Dans les couloirs, les gens chuchotent quand vous passez. Même les gens qui ne vous connaissent pas ont une image de vous qui est abominable. C'est éreintant parce qu'on ne dort plus la nuit, c'est vraiment épouvantable ce que l'on subit. "

Cécile, lanceuse d'alerte

à franceinfo

Cécile a saisi la justice. Avec cette nouvelle loi Waserman, elle n’aurait pas été obligée de prévenir en premier sa hiérarchie. Dans le détail, ce texte précise et diversifie les canaux internes à l'entreprise, ou externes, à la disposition des lanceurs d'alerte pour valider leur démarche. La loi Sapin II était en effet jugée imparfaite car privilégiant le signalement interne auprès de l'employeur, une modalité qui peut être dissuasive ou contreproductive. Le lanceur d'alerte pourra donc désormais s'il le souhaite passer directement par un canal externe : Défenseure des droits, justice, autorité administrative ou personne morale habilitée.

La Défenseure des droits aura un adjoint spécialement chargé d'assister les lanceurs d'alerte. La justice disposera également d'outils supplémentaires pour faciliter la défense de leurs droits. Les "facilitateurs", qui accompagnent le lanceur d'alerte, seront eux aussi mieux reconnus et protégés. Le texte prévoit également des sanctions contre ceux qui chercheraient à étouffer leur action en multipliant des procédures hostiles (procédures "bâillons"), ou leur faire subir des représailles.

"Je m'attendais à plus de soutien de l'État"

Autre lanceur d’alerte, autre histoire, celle de Karim Ben Ali. Lui est sorti malgré lui de l’anonymat. Il y a cinq ans, à bord de son camion, il déverse durant des mois des dizaines de mètres cubes de produits qu'il pense toxiques dans un crassier à Florange pour le compte d'un sous-traitant d'ArcelorMittal. Il dénonce alors ces faits dans une vidéo qui fait grand bruit. Lui et ses deux frères – chauffeurs eux aussi – perdent aussitôt leur emploi. Karim connait la dépression, les queues à la banque alimentaire. En 2021, la cour d'appel de Metz annule les poursuites contre ArcelorMittal pour gestion irrégulière des déchets. Karim, lui, regrette : "Cette affaire, elle a gâché ma vie. Quand un petit bonhomme vient dénoncer un truc dans un grand groupe, eh bien ! ils l'écrasent. En France, les lanceurs d'alerte ne sont pas protégés, ils ne sont pas entourés et ils doivent prendre des avocats à leurs frais. Vu que je l'ai fait en France, je m'attendais à plus de soutien de l'État, du gouvernement… Il n'y avait rien. Il fallait que je sois bien entouré dès le départ pour ne pas avoir tout ça."

Des descentes aux enfers comme celle de Karim ne sont pas des cas isolés. Il faut souvent déménager, trouver un nouvel emploi, faire comprendre la situation aux proches. Le lanceur d'alerte est vite isolé, fragilisé, poussé à la faute mais il n'est pas seul. Des associations expérimentées comme la Maison des Lanceurs d’Alerte ou Anticor comptent sur la nouvelle loi Waserman pour mieux protéger ceux qui osent signaler. La nouvelle législation prévoit certaines exceptions, comme les faits et informations couverts par le secret de la défense nationale, celui des délibérations judiciaires ou le secret médical.

Des centaines de dossiers par an reçus par la Défenseure des droits

Parmi les canaux externes qui peuvent être un soutien des lanceurs d’alerte, il y a donc la Défenseure des droits, et plus précisément, sa numéro 2, Cécile Barrois. Sa mission est de conseiller et protéger parfois des représailles. "On reçoit une centaine de dossiers de lanceurs d'alerte par an, indique-t-elle. Des lanceurs d'alerte qui vont nous demander des informations : 'Quand est-ce que je peux rendre mon alerte publique ?' 'Est-ce que je peux demain appeler un journaliste pour rendre mon alerte publique ?' 'Est-ce que je prends un risque ou pas ?' Ils nous demandent de les orienter en nous disant qu'ils veulent lancer une alerte dans tel domaine et qui peuvent-ils contacter. Et nous on va leur dire telle autorité administrative est plutôt compétente, par exemple l'autorité des marché financier ou l'agence française anti-corruption."

"Il y a aussi des lanceurs d'alerte qui nous saisissent en nous disant : 'Je suis victime de représailles, protégez-moi !' On vérifie qu'ils sont bien victimes de représailles et on les protège. On intervient auprès de leur employeur, auprès des juridictions pour faire annuler les mesures qui ont été prises à leur encontre."

Cécile Barrois, adjointe de la Défenseure des droits en charge de l'accompagnement des lanceurs d'alerte

à franceinfo

"Lancer l'alerte, c’est se mettre en danger. C’est le tarif", nous explique Cécile qui travaillait pour un grand organisme public. L'entourage, la stabilité financière sont très importants quand on s'engage sur ce chemin. Les conseils surtout de ceux qui sont déjà passés par là, leur bienveillance aussi, sont des garanties pour garder la tête hors de l'eau et aller au bout de sa démarche de vérité.

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