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"Très vite, elles sont prises dans des réseaux qui piquent leur argent" : l'engrenage de la prostitution des mineurs

L'ampleur exacte du phénomène n'est pas mesuré. Mais chaque année, il brise des centaines de familles.

Article rédigé par franceinfo, Valentin Dunate
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Un site internet en libre accès propose des annonces de rencontres avec des escort-girls (photo d'illustration). (BRUNO LEVESQUE / MAXPPP)

Ils seraient de 10 000 à 20 000 en France : des enfants, des filles pour la plupart, qui se prostituent. Pour mesurer l'ampleur exacte du phénomène, le gouvernement met en place à partir du mercredi 30 septembre un groupe de travail. Il aura six mois pour rendre ses conclusions et donc tenter de mieux lutter contre cette prostitution qui brise des centaines de familles.

C'est le cas pour cette famille d’un petit village du centre de la France. Pour protéger leur fille, ils témoignent de manière anonyme. Il y a un an, leur fille de 16 ans se fait violer par deux hommes. Ils seront jugés dans les mois qui viennent. Ce viol a tout fait basculer.  "Le viol nous a détruit. Ça la détruit elle. Quand on l’a récupérée, elle nous avait dit : 'Papa mon coeur est mort. Je suis morte' et depuis c’était l’engrenage", raconte le père. "À la suite de ça, elle s’est sentie détruite, poursuit la mère. Elle a rencontré des mauvaises personnes au lycée On sait qu’ils l’ont mis sur un site. On ne sait pas combien il y a eu d’hommes, elle a été dans une cave."

La gendarmerie leur raccroche au nez

Pour connaître cette vérité, ces parents ont passé des nuits entières sur internet à tenter de la retrouver. Là, ils ont compris qu’elle se prostituait en Belgique et sont allés voir les gendarmes. "Je suis très très déçue des gendarmes français, c’est une catastrophe, indique le père. Je leur ai expliqué que c’était par rapport à ma fille, et ils m’ont dit : 'On a des trucs plus importants à faire.' Le père leur rétorque : 'La disparition de ma gamine de 16 ans n’est pas importante'. On me dit : 'Je n’ai pas dit ça.' Je réponds : 'Si, vous l’avez dit', et ils m’ont raccroché au nez et ne m’ont jamais rappelé."

Le 4 janvier dernier, grâce à la police belge, ils récupèrent leur filles. Elle reste quelques jours mais repart aussitôt. C’est comme ça depuis le début de l’année et même pendant le confinement. Leur fille se prostitue un peu partout en France et rentre parfois à la maison, comme la semaine dernière. "Elle nous a appelés en pleine nuit à 4 heures du matin : 'Venez me chercher.'" À ce moment leur fille assure vouloir rester pour le week-end. "J’étais content ! Et vendredi, elle est repartie. J’en ai pleuré tout seul", confie le père qui espérait "passer un bon week-end et aller au restaurant" comme il le faisait une fois par mois. "On se dit : 'C’est bon samedi, on va y aller !', et non, elle est partie. Elle nous a promis de rester mais elle a du recevoir un coup de téléphone", pense le père. "De toute façon, ils marchent au coup de fil. Un coup de téléphone ou un swap et ça repart", déplore la mère.

"Un mécanisme de protection"

Pourquoi la jeune fille, comme des milliers d’autres, retombe dans le piège ? Nous avons posé cette question à Simon Bénard-Courbon, le substitut du procureur au parquet des mineurs de Bobigny et référent en matière de prostitution des mineurs. Dans cette juridiction,  il y a deux signalements par semaine en moyenne. Très souvent, à l'origine de ces affaires, il y a des violences sexuelles. Parfois, la douleur est si profonde que le cerveau met en place un mécanisme complexe pour se protéger. "Dans un dossier, vous aviez une jeune fille qui expliquait que vivre ces passes à répétition, c’était devenu pour elle une addiction comme un alcoolique parce qu’elle avait besoin d’avoir sa dose de violence extrême parce qu’il y a une accoutumance", explique Simon Bénard-Courbon. Le cerveau s’est accoutumé à cette violence extrême répétée. Lorsqu’on essaye de les sortir, elles vont décompenser car c’est un mécanisme de protection."

Quand elles reviennent avec leurs parents dans un cadre sécurisé elles ne vont pas se sentir bien parce qu’elle n’arriveront pas à se dissocier.

Simon Bénard-Courbon, substitut du procureur

Évidemment, chaque histoire est différente mais pour les associations qui suivent ces victimes, on retrouve souvent ce même processus.

Une évaluation difficile

Tout le problème est que l'on ne connaît pas le nombre de ces enfants qui se prostituent. Le groupe de travail mis en place mercredi par le gouvernement devra l’estimer. Mais selon Armelle Le Bigot-Macaux, présidente de l'association Agir contre la prostitution des enfants, ces enfants seraient près de 20 000. Un chiffre à confirmer mais ce qui est sûr selon elle, c'est qu'ils sont de plus en plus nombreux. Notamment, à cause d'un fantasme véhiculé par les réseaux sociaux et certaines émissions de télé, celui de "l'escort" et de l'argent facile. "Elles ne se considèrent pas comme prostituées, elles sont 'escort', indique Armelle Le Bigot-Macaux. Donc, il y a tout cet imaginaire marketing autour de personnes, comme Zahia, qui sont des modèles où on leur fait miroiter de l’argent facile et sans sueur, puis de temps en temps faire une petite faveur". Mais pour la présidente d'association, "entre faire une petite faveur et se taper dix passes par jour ou par nuit, il y a un monde. Très vite, elles sont prises dans des réseaux qui piquent plus de la moitié et souvent l’intégralité de l’argent qu’elles gagnent, sans le moindre risque."

Le nombre d’affaires qui arrivent sur la table des magistrats ne reflètent absolument pas la réalité puisque eux-mêmes disent que ça passe sous les radars et qu’ils ne savent pas gérer ces petits profils qui sont mobiles et se déplacent.

Armelle Le Bigot-Macaux, Agir contre la prostitution des enfants

Il y aura donc des magistrats, des policiers et des psychologues dans le groupe de travail qui, en mars 2021, donnera des pistes pour mieux prévenir cette prostitution et accompagner les victimes.

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